Il fallait bien que le méli-mélo politico-médiatique
soigneusement concocté entre terroristes, casseurs, syndicalistes et
hooligans finisse par servir à quelque chose.
La manœuvre est cynique mais habile. En sortant de sa boîte à malice
cette histoire de primaire réservée à la « gauche de gouvernement »,
Jean-Christophe Cambadélis a réussi, reconnaissons-le, un joli coup sur
le petit échiquier de la politique politicienne. Quoique, dans cet
univers, la sincérité soit toujours douteuse, il s’agit – si on a bien
compris – de voler au secours de François Hollande. Il n’est pas
nécessaire d’espérer pour entreprendre… Il est vrai qu’à 14 % d’opinions
favorables dans les sondages, c’était ça ou rien. Au pire, François
Hollande devra rendre les armes devant un Arnaud Montebourg ou un Benoît
Hamon. Un président de la Ve République finissant colleur d’affiches au
service de ses contempteurs, ça ne manquerait pas de piquant ! Mais
quand on connaît le système médiatique, le poids de la notoriété, les
moyens d’un appareil politique rompu à cet exercice, l’hypothèse paraît
hautement improbable.
Le pari est beaucoup plus risqué pour ceux qui s’engageront dans
cette galère. Faisons un cas à part pour Gérard Filoche, qui n’a sans
doute pas de grandes ambitions élyséennes, mais qui pourrait utiliser
une tribune inespérée pour faire entendre une critique sociale
implacable. Ou même Pierre Larrouturou, qui pourra venir défendre les
thèmes qui lui sont (et nous sont) chers. Mais les
autres, ceux qui n’iront pas seulement pour la beauté du geste, mais
pour gagner ? Ils se retrouveront, s’ils sont battus, pieds et poings
liés, bâillonnés, et condamnés, fût-ce du bout des lèvres, à faire
l’éloge de leur vainqueur. Le chantage à la droite et à l’extrême droite
fera le reste.
On en revient toujours à la même question s’agissant des primaires.
Pour en accepter le principe, il faut avoir encore quelque chose en
commun avec ses concurrents. Quelque chose qui rende supportable, le
moment venu, un ralliement, pour ne pas dire une allégeance. C’est
peut-être là que les frondeurs diront les limites de leur fronde. S’ils
entrent dans la compétition, c’est qu’ils ne jugent pas impensable de
finir au service de celui qu’ils vitupèrent depuis deux ans. Ce n’aurait
donc été que cela, une querelle de famille ! La logique serait alors du
côté de ceux qui refusent la primaire à la sauce Cambadélis : les
Verts, Pierre Laurent, Ensemble !… Reste que la manœuvre n’est pas sans
effets sur eux non plus. Pour organiser une primaire de l’autre gauche,
non gouvernementale, les communistes, notamment, ont besoin
impérativement d’attirer les frondeurs dans leur jeu. Sans eux, ils
seraient bien seuls. Conclusion : Cambadélis aurait finalement donné
raison à Mélenchon, qui s’est extrait de la mêlée quand il était encore
temps, et qui rivalise désormais dans les sondages avec François
Hollande.
On me dira que tout cela est bien petit. Mais ces grenouillages nous
donnent une idée de ce qui mobilise les cerveaux en haut lieu. La
manœuvre, toujours la manœuvre ! Le microscope plutôt que la longue vue !
Ce que confirme ces jours-ci une autre décision de l’exécutif, celle
d’interdire les manifestations contre la loi travail. Disons-le
franchement : il s’agit moins de manœuvre que de manipulation.
On sentait le coup venir. Depuis la reconduction de l’état d’urgence
et son application extensive visant des militants associatifs et des
écologistes, c’est tout un climat qui est entretenu. La place occupée
dans ce tableau par Manuel Valls, sa rhétorique rageuse et provocatrice
ont tendu à l’extrême les relations sociales. Il fallait bien que le
méli-mélo politico-médiatique soigneusement concocté entre terroristes,
casseurs, syndicalistes et hooligans finisse par servir à quelque chose.
Or, pour le gouvernement, la grande affaire, c’est la loi travail. Tous
les moyens auront été bons. Aucune véritable concertation préalable, un
débat parlementaire escamoté et, pour finir, l’interdiction des
manifestations syndicales. On pourrait appeler ça « du bon usage des
casseurs ».
Car il faut revenir sur cette catégorie diabolique. Elle est
multiple. Elle compte sans aucun doute ses habituels théoriciens du
chaos. Ils ont toujours existé. Mais on y trouve aussi quelques
silhouettes suspectes. Des témoins se sont plusieurs fois étonnés de la
facilité avec laquelle une poignée de professionnels de la castagne
pouvaient, à chaque manifestation, revêtir leurs habits de combat, ou
les remiser dans leurs sacs, à portée de matraque des CRS.
Et des policiers eux-mêmes se sont émus d’être laissés sans ordres
quand ils pouvaient encore anticiper les affrontements. Enfin, il y a
une troisième catégorie de « casseurs ». Des jeunes, des manifestants
peut-être, qui ne croient plus en la démocratie parce que tout est
verrouillé au niveau politique, et qui sont au comble de l’exaspération.
À qui la faute ?
La morale de cette semaine, c’est que la boîte à
malice du Premier secrétaire du PS n’est pas inépuisable. On peut y
trouver de quoi entraîner quelques opposants peu résolus dans une
primaire piégeuse, mais sûrement pas de quoi faire oublier au pays un
profond malaise social et une crise démocratique dont l’exécutif porte
l’entière responsabilité.
politis.fr
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