Tous les Israéliens qui brisent le silence sur l’occupation et les
autres crimes accomplissent leur devoir patriotique, humain et moral.
C’est la raison pour laquelle le leader de Yesh Atid, Yaïr Lapid, les
craint tellement.
Ce n’est qu’à l’étranger que l’on peut mener le débat sur
l’occupation. Ce n’est en effet que dans une société libre et
démocratique où la population sait ce qui se passe qu’un tel débat est
possible. Il ne peut donc se dérouler en Israël, pas plus qu’on ne peut
discuter des Yazidis en Irak ou de l’homosexualité ou des journalistes
en Russie.
Israël règne sur deux sociétés qui sont l’une et l’autre incapables
de débattre de l’occupation. Il y a, d’un côté, la société juive qui vit
dans le déni et la répression, qui n’est au courant de rien et ne veut
rien savoir, et, de l’autre, la société palestinienne qui est au courant
de tout ce qui concerne l’occupation, mais qui est privée de droits.
Dans ce contexte où il y a, d’un côté, une société qui détient le
pouvoir mais ne reconnaît pas la situation réelle et, de l’autre, une
société qui connaît cette situation mais à qui personne ne demande son
opinion, il est impératif de faire sortir le débat, de faire en sorte
que le monde sache à quoi ressemble l’occupation israélienne et
connaisse ses crimes. C’est la seule manière d’y mettre un terme.
L’argument selon lequel ce serait là une mesure anti-démocratique est
l’un des plus éhontés et des plus hypocrites qui aient jamais été
exprimés en Israël. Il ne semble plus y avoir de limites à l’hypocrisie
et à l’effronterie.
Yair Lapid, le dirigeant de Yesh Atid, veut régler les choses à
l’intérieur, comme on le fait dans une cour hassidique de Gour [la
dynastie hassidique la plus importante en Israël], comme on le faisait
autrefois dans les kibboutz et comme on le fait dans les familles du
crime organisé.
Lapid a écrit sur Facebook : « Breaking the Silence [initiatives de
soldats apportant des témoignages sur les crimes de l’occupation] n’est
pas intéressé à influencer la société israélienne depuis l’intérieur et
préfère nous calomnier à l’extérieur. »
Il estime que l’édition anglaise de Haaretz est un partenaire dans ce
crime de diffamation. Yair McCarthy mène d’ailleurs une guerre sans
limites contre l’édition anglaise de ce journal ; il met même en cause
la nomination de la prochaine éditrice de l’édition anglaise sous
prétexte que son mari fait partie de Breaking the Silence. Accusé de
sexisme, il a modifié une petite partie de sa déclaration.
Les soldats et les vétérans de Breaking the Silence ont le devoir de
renseigner tout le monde – et Haaretz a le devoir de le transmettre à
tout le monde – en Israël, mais surtout ailleurs dans le monde. Les
crimes de l’occupation doivent être connus partout. Les choses ne
peuvent pas être « réglées entre nous », « chez nous », parce que chez
nous il y a un système de lavage de cerveau et de blanchiment des crimes
qui atteint de nouveaux sommets. Maintenant on prétend non seulement
qu’il n’y a pas de crime, mais en plus qu’il n’y a pas d’occupation. On
ne peut pas débattre avec des gens qui sont autant coupés de la réalité,
de cette réalité qui est que les crimes de l’occupation sont horribles
et ne font qu’empirer.
Le monde devrait être informé de chaque exécution, de l’apartheid
dans la distribution de l’eau, des arrestations de masse – 4800
personnes ont été arrêtées lors de la récente vague de violence, dont
1400 enfants. Au cours de la deuxième Intifada 80.000 Palestiniens ont
été emprisonnés et on a distribué 24.000 ordres pour emprisonner des
dizaines de milliers de personnes sans procès.
Comment pourrions-nous ne pas informer tout le monde ? Comment le
dire aux Israéliens qui voient dans chaque Palestinien un terroriste et
dans chaque terroriste quelqu’un qui doit mourir ? Comment ne pas
alerter le monde du fait qu’au moins un million de Palestiniens ont été
emprisonnés en Israël depuis le début de l’occupation ? Comment ne pas
dire que 60 parlementaires palestiniens ont été arrêtés dans ce pays qui
soi-disant ne procède pas à des arrestations pour des raisons
politiques ? Un pays où les gens sont séquestrés dans leurs lits toutes
les nuits, sans décision de justice et parfois sans aucune raison. Si
nous ne dénonçons pas tout cela, qui sera au courant ? Et si personne
n’est au courant, comment tout cela prendra-t-il fin ?
L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’était pas une question de
politique intérieure, pas plus que l’apartheid en Afrique du Sud, dont
les opposants ont voyagé à travers le monde pour dénoncer les crimes.
Diffuser ces informations est une manière de mobiliser la communauté
internationale, ce qui est parfois le dernier recours.
Toutes ces personnes qui brisent le silence en Israël font leur
devoir patriotique, humain et moral. Lapid sait que Breaking the Silence
et Haaretz n’existeraient pas si ce qu’ils rapportaient n’était pas
vrai. Les Lapid savent que ces informations sont vraies ; c’est pour
cela qu’ils en ont tellement peur et pourquoi ils les combattent aussi
férocement.
Mais on a au moins réussi une chose : le simple fait de savoir que
quelque chose brûle sous les pieds des Lapid – ou plutôt au-dessus de
leur tête – nous donne une petite lueur d’espoir.
Article publié dans Haaretz le 10 juillet 2016. Traduction A l’Encontre
En photo : Gidéon Levy
Union Juive Française pour la Paix
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