vendredi 21 octobre 2016

Juppé ? Non, merci

Juppé ? Non, merciDenis Sieffert          

Le plus important est de songer à reconstruire la gauche. Et il n’est pas prouvé que la renaissance de la gauche sera plus facile avec Juppé qu’avec aucun de ses concurrents.

Notre semaine politique a été marquée par trois hommes dont les destins n’ont pas fini de se croiser dans ces préliminaires à la campagne électorale. Le premier – chronologiquement – est François Hollande. En accusant de « lâcheté » la magistrature, dans un ouvrage dont le titre est d’une cruelle ironie [1], n’a-t-il fait que commettre une nouvelle bourde ? Pas si simple. Le Président, candidat virtuel à sa succession, a peut-être voulu, une fois encore, plaire à la droite. Celle-ci n’a-t-elle pas stigmatisé à plusieurs reprises – et sans fondement aucun – le « laxisme » de la justice ? « Laxisme », « lâcheté », la nuance aura échappé au technocrate, plutôt homme de chiffres. C’est son syndrome « déchéance de la nationalité » : braconner sur les terres de la droite au mépris de tout principe. Jusqu’à être pris à son propre piège.
En tout cas, ce mot de trop aura agi comme une délivrance sur quelques caciques du PS qui n’attendaient visiblement que cela pour reprendre leur liberté de parole, quand ce n’est pas, comme Malek Boutih, pour lancer la candidature Valls. Il y avait pourtant d’autres surprises dans le fatras des confidences présidentielles. On y apprend par exemple que François Hollande est opposé à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Que ne l’a-t-il dit plus tôt ? Et que ne fait-il taire son colérique Premier ministre ? L’opération vérité se transforme en opération mensonge. Si François Hollande dit la vérité aujourd’hui, c’est qu’il a menti hier. À moins que ce soit l’inverse. Misère et dévastation pour la gauche, pour la politique, et la fonction présidentielle !
Un homme, à droite, entend bien profiter de la comparaison. C’est notre deuxième personnage de la semaine : Alain Juppé. Il fait implicitement campagne sur la dignité de la fonction. Car nous en sommes là : être propre sur soi, ni trop vulgaire ni trop désinvolte, suffit de nos jours à faire un excellent candidat. Les sondages font de lui le favori de la primaire. Ce n’est pas notre affaire. À ce détail près qu’il pourrait terrasser son grand rival, Nicolas Sarkozy, en recevant l’appoint d’un nombre non négligeable de voix de gauche. Faut-il jeter l’anathème sur ces électeurs de gauche qui se mobilisent pour éliminer l’ancien Président, démagogue anti-musulman et amoureux dépité de Patrick Buisson ? Évidemment non. C’est la liberté de chacun. Et ils ne font que prendre acte de la faillite morale du gouvernement. Je ne puis donc ici exprimer qu’un sentiment personnel. Pour ma part, je me garderai bien de me mêler de cette primaire qui apparaît de plus en plus comme une course folle au libéralisme. Une course dans laquelle Juppé n’est pas le dernier (voir pp. 12 à 14, l’analyse de Michel Soudais). Tout y passe dans son programme, du report de l’âge de la retraite à l’augmentation de la durée hebdomadaire du travail, et à la suppression de dizaines de milliers de postes de fonctionnaires. Ici, un peu plus que ses rivaux, et là un peu moins…
Cette question biaisée du « vote tactique » nous est posée non par Alain Juppé, mais par le tandem Hollande-Valls. Qui donc a enfermé l’électeur de gauche dans cette impasse ? Qui lui a demandé de voter Estrosi aux régionales ? Certes, en 2002, nous avons été nombreux à voter Chirac, en croyant que c’était juste un mauvais moment à passer. Un accident de l’histoire. Aujourd’hui, il s’agit d’un fol engrenage qui menace de nous emporter très loin. C’est donc pour moi une évidence : je n’irai pas, le col relevé, voter Juppé à la primaire. Le plus important est de songer à reconstruire la gauche. Et il n’est pas prouvé que la renaissance de la gauche sera plus facile avec Juppé qu’avec aucun de ses concurrents.
Un autre argument plaide contre l’illusion Juppé. Voter pour lui, c’est tenir pour acquise la défaite de la gauche en avril 2017. Et c’est même proposer à un hypothétique et miraculeux candidat de gauche qui se serait hissé au deuxième tour le plus redoutable des adversaires. Point trop de tactique, donc. Il y en a un en tout cas qui n’a pas abdiqué, et c’est notre troisième homme : Jean-Luc Mélenchon. Sa France insoumise commence sérieusement à prendre forme. Son projet est révolutionnaire au sens le plus littéral du mot. Il ne faut pas tant en retenir le programme, l’âge de la retraite à 60 ans, ou les 32 heures hebdomadaires, ni même la centralité désormais acquise de l’écologie, que la méthode. Ce processus constituant rebat les cartes institutionnelles, repense les équilibres de notre société, et pose la question démocratique. Dans ce grand ménage, la Ve République est balayée. Et avec elle, cette fonction présidentielle tellement dégradée. Hélas, avec Mélenchon, il y a souvent une ombre au tableau. Et c’est aujourd’hui cette faiblesse incompréhensible pour Poutine. Si on osait sourire du sujet, on dirait à la manière de Billy Wilder « nobody’s perfect ». Mais c’est un peu trop grave pour cela. Non seulement à propos de la Syrie, mais surtout pour ce que ça dit de la relation de chacun au pouvoir. Et c’est d’autant plus dommage que cela nous apparaît comme parfaitement contradictoire avec tout ce que Mélenchon est en train de construire, et qui force le respect.

[1] Un Président ne devrait pas dire ça, Stock.

politis.fr

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