J’étais
âgé de 6 ans quand j’ai pris la plus importante décision de ma vie. Je
n’étais pas pleinement conscient des implications de celle-ci, mais
j’avais confiance que mon choix soit en fait ma destinée : je vivrai
pour servir mon pays et le libérer de l’occupation et de l’oppression.
Je n’avais alors aucune idée de la façon dont je le ferais.
Et je suis
sûr que la plupart d’entre vous pardonneraient à un enfant de 6 ans de
ne pas savoir comment atteindre un tel but. Je dois admettre qu’encore
aujourd’hui je ne suis pas assuré du chemin qui conduit à cette
destination exigeante. Mais j’ai confiance que nos pas, l’un après
l’autre, nous amèneront là, envers et contre tout.
Il y a eu beaucoup de décisions le long du chemin, pour choisir une
direction plutôt qu’une autre, à maintes reprises, toujours en me
demandant si je me rapprochais ou si je m’éloignais de la réalisation
du rêve de longue date. Et la longue marche vers la liberté a continué,
entre les pays et les continents. Et quand j’ai été confronté au choix
de quelles études poursuivre, je me suis trouvé à choisir le droit. Quel
meilleur signe de notre ténacité, peut-être même de l’entêtement, que
d’étudier le droit international, et les droits qu’il offre, ceux-là
mêmes dont nous sommes privés. Il est vrai que dans les années 1940, à
un moment où le monde promulguait les textes les plus importants pour
faire respecter les droits, parmi lesquels la Charte de l’ONU, la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les Conventions de
Genève, les Palestiniens étaient confrontés à la Nakba (catastrophe) et à
leur déplacement et à leur remplacement, toujours en cours 7 décennies
après. Mais je croyais que, tandis que la détermination de notre peuple
était la vraie voix de notre lutte, il était important de s’en faire
l’écho de façon à ce que tous puissent l’entendre, et quel meilleur
langage pour ce faire que le droit international. J’ai cessé de compter
les heures, j’ai lutté contre le sommeil comme contre un ennemi, et
poursuivi avec tous les os de mon corps , et tous les strates de mon
esprit cette ascension en direction d’un sommet toujours fuyant. Tout
cela n’était rien en comparaison des profondes souffrances et des
sacrifices ultimes que beaucoup, notamment de ma génération, enduraient,
volontairement ou involontairement, pour préserver l’espace nécessaire
pour que le rêve puisse un jour fleurir.
J’ai rejoint la diplomatie palestinienne, en étant fier de l’héritage
des fondateurs, certains ayant été martyrisés pour avoir donné une voix
à notre peuple, contribuant à rendre impossible de nier son existence.
J’ai eu l’honneur de me voir confiée la création du premier département
du droit international et des traités internationaux au sein du
Ministère des Affaires Etrangères. La Palestine, état maintenant intégré
au système de l’ONU, partie à plus de cinquante Conventions-clés,
affirmait lentement mais sûrement son existence juridique sur la scène
internationale, avec l’espoir que ceci se transforme en souveraineté
sur le terrain. Pendant cette période, la Palestine a adhéré à la CPI
et ce qui semblait impossible un jour, à savoir traduire en justice les
auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité à l’encontre
de notre peuple, est devenu une possibilité pour laquelle nous luttions
de toute notre force et notre résolution. La justice, pas la vengeance.
L’universalité, pas deux poids, deux mesures. Le droit au-dessus de la
force.
Le droit international, que j’ai passé des années à étudier, n’a pas pu
nous protéger de ce que nous avons enduré et que nous continuons à
endurer. Mais alors qu’il a échoué à obtenir justice, il permet de la
faire connaître. Et j’ai trouvé du réconfort dans la précision du droit
international, dans sa condamnation des actions et des politiques
d’Israël, de cette occupation coloniale dans ses multiples
manifestations. Le malaise d’Israël à l’évocation du droit
international, les contorsions dont ont besoin ses alliés pour faire
éviter une condamnation d’Israël, m’ont amené à penser que ceci était un
outil efficace qui, en même temps que la lutte de notre peuple sur le
terrain, inverserait à la longue les tendances mêmes semant le désespoir
dans nos coeurs.
Mais s’il y a quelque chose que nous ayons appris au long du chemin,
c’est l’ironie de l’histoire, et son rapport étroit à l’absurdité. Nous
avons vu notre terre être l’objet d’une partition contre la volonté de
ses habitants. Nous avions presque disparu de la géographie et nous
étions sur le point d’être exclu de l’histoire s’il n’y avait pas eu la
ténacité et la résistance mythiques des Palestiniens et la solidarité de
tant de personnes dans le monde. Nous avons vu la puissance coloniale
nier notre existence même, puis reconnaître en partie notre existence
pour nier nos droits, et ensuite reconnaître une partie de nos droits
tout en accélérant et enracinant son colonialisme. J’ai pensé que
j’avais vu tout cela.
J’ai vu et j’ai traversé beaucoup de choses qui ont mis mes
convictions à l’épreuve. J’ai été frappé et insulté par les soldats
israéliens d’occupation, j’ai été menacé par les colons, tenu en joue
par un homme hurlant dans une langue que je ne comprenais pas, j’ai vu
un homme abattu et tué sous mes yeux, et tant d’hommes blessés. Je sais
ce qu’est le sang, son épaisseur et sa couleur vive rendant le corps
plus pâle quand il s’en échappe. Et le droit international ne peut pas
ressusciter celui qui est mort, ni guérir ceux qui ont été blessés. Il
n’a pas pu arrêter les bombes frappant les maisons et les écoles, les
mosquées et les églises, les hôpitaux et les cliniques de Gaza, il n’a
pas pu fournir un abri à ceux privés de tout refuge, assiégés et
bombardés. Il n’a pas pu démanteler une colonie ou même empêcher son
extension, ou nous protéger de la violence des colons à Jérusalem,
Naplouse ou Hébron, ou arrêter la construction d’un mur détruisant nos
foyers et bouleversant nos rêves. Il n’a pas pu arrêter notre transfert
forcé maintes et maintes fois. Malgré de nombreuses résolutions et
Conventions affirmant nos droits, nous sommes encore une nation de
réfugiés et un peuple vivant sous occupation coloniale. Je savais tout
cela et pourtant cela n’a pas pu ébranler ma conviction qu’en
inscrivant nos droits dans les livres de droit universels nous avancions
vers leur réalisation. Et je n’ai jamais pensé que cette conviction
serait le plus mise à l’épreuve non à Jérusalem, mais à New York.
J’avais hâte d’assister aux réunions à l’ONU, y compris à celles du
6ème comité, consacré aux questions juridiques, promouvant
essentiellement le respect du droit international. Je voulais parler de
la Palestine, et de son engagement pour le droit international malgré
tout ce qu’elle a enduré, ou peut-être à cause de cela, de la protection
des civils en tant que pierre angulaire du DHI (Droit Humanitaire
International) et des attaques aveugles en tant qu’épine dorsale de la
doctrine militaire israélienne. Je voulais parler du près d’un million
de Palestiniens arbitrairement arrêtés en 50 ans et de comment des
milliers de prisonniers semaient les graines de la liberté de façon que
nous puissions un jour faire moisson de la liberté. Je voulais parler
du blocus à l’encontre de 2 millions de Palestiniens, du régime
colonial comprenant le mur, de la discrimination et de la ségrégation
des deux côtés de la Ligne Verte, des millions de réfugiés de Palestine
of Palestine et de leur droit au retour que le monde continue à ignorer
et de leurs souffrances de l’ Irak au Liban, de Jabaliya à Yarmouk.
Yarmouk, la blessure ouverte qui saigne tous les jours. Je voulais
parler de ce colonialisme d’après la décolonisation, de la réapparition
de l’apartheid.
Mais à l’ONU, quand vous vous adressez à quelque comité, vous vous
adressez à son Président. Il arrive ainsi que ce Président en ce qui
concerne cette session ne soit autre que l’Ambassadeur d’Israël à l’ONU,
Danny Danon. Une personne qui ne croit pas en la justice ni à la
primauté du droit international. Une personne qui n’adhère pas à
l’indivisibilité et à l’universalité des libertés fondamentales et des
droits de l’homme. Et de façon plus importante une personne qui
représente un régime colonial qui croit profondément qu’il est habilité à
enfreindre, à nier, à violer, toute règle et tout principe. Je suis
intimement convaincu que présider ce comité au lieu de le diriger,
encouragera davantage Israël dans ses violations du droit international.
Et le destin a fait de moi celui qui s’adressait au Comité à la
première réunion présidée par l’Ambassadeur d’Israël. Un représentant
des occupés parlant de droit international dans une réunion présidée par
un représentant de la puissance occupante.
Le droit international ne nous a pas protégés, parce que le droit
international est aussi puissant que la volonté des Etats et des
institutions internationales chargés de le mettre en place. La justice
n’est pas réalisée seulement en déclarant le droit, elle demande sa
mise en vigueur. Sans mise en vigueur, il n’y a pas d’exigence de rendre
des comptes, et avec l’impunité il y a toujours une répétition des
crimes. Nous sommes un témoignage vivant de cette réalité. Danny Danon
devrait être devant un tribunal pour répondre des crimes de son
gouvernement et non en train de présider le comité juridique à l’ONU. Et
ce moment viendra, tôt ou tard.
Mais il doit être rappelé que chaque
minute de retard signifie plus de souffrances pour les Palestiniens. Et
je n’oublie pas les colonies, le mur, la maison détruite, l’arbre
déraciné, le réfugié, le prisonnier, le blocus, et l’épaisseur du sang
et sa couleur vive, rendant le corps plus pâle quand il s’en échappe.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers.
Majed Bamya, né en 1983 aux Emirats Arabes Unis, est un diplomate
et un poète palestinien. Il est directeur du département des conventions
internationales et chargé du dossier des prisonniers palestiniens
auprès du ministère palestinien des Affaires étrangères.