samedi 22 octobre 2016

Le droit international, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU et moi

Majed Bamya            

J’étais âgé de 6 ans quand j’ai pris la plus importante décision de ma vie. Je n’étais pas pleinement conscient des implications de celle-ci, mais j’avais confiance que mon choix soit en fait ma destinée : je vivrai pour servir mon pays et le libérer de l’occupation et de l’oppression. Je n’avais alors aucune idée de la façon dont je le ferais.

Et je suis sûr que la plupart d’entre vous pardonneraient à un enfant de 6 ans de ne pas savoir comment atteindre un tel but. Je dois admettre qu’encore aujourd’hui je ne suis pas assuré du chemin qui conduit à cette destination exigeante. Mais j’ai confiance que nos pas, l’un après l’autre, nous amèneront là, envers et contre tout.
Il y a eu beaucoup de décisions le long du chemin, pour choisir une direction plutôt qu’une autre, à maintes reprises, toujours en me demandant si je me rapprochais ou si je m’éloignais de la réalisation du rêve de longue date. Et la longue marche vers la liberté a continué, entre les pays et les continents. Et quand j’ai été confronté au choix de quelles études poursuivre, je me suis trouvé à choisir le droit. Quel meilleur signe de notre ténacité, peut-être même de l’entêtement, que d’étudier le droit international, et les droits qu’il offre, ceux-là mêmes dont nous sommes privés. Il est vrai que dans les années 1940, à un moment où le monde promulguait les textes les plus importants pour faire respecter les droits, parmi lesquels la Charte de l’ONU, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les Conventions de Genève, les Palestiniens étaient confrontés à la Nakba (catastrophe) et à leur déplacement et à leur remplacement, toujours en cours 7 décennies après. Mais je croyais que, tandis que la détermination de notre peuple était la vraie voix de notre lutte, il était important de s’en faire l’écho de façon à ce que tous puissent l’entendre, et quel meilleur langage pour ce faire que le droit international. J’ai cessé de compter les heures, j’ai lutté contre le sommeil comme contre un ennemi, et poursuivi avec tous les os de mon corps , et tous les strates de mon esprit cette ascension en direction d’un sommet toujours fuyant. Tout cela n’était rien en comparaison des profondes souffrances et des sacrifices ultimes que beaucoup, notamment de ma génération, enduraient, volontairement ou involontairement, pour préserver l’espace nécessaire pour que le rêve puisse un jour fleurir.
J’ai rejoint la diplomatie palestinienne, en étant fier de l’héritage des fondateurs, certains ayant été martyrisés pour avoir donné une voix à notre peuple, contribuant à rendre impossible de nier son existence. J’ai eu l’honneur de me voir confiée la création du premier département du droit international et des traités internationaux au sein du Ministère des Affaires Etrangères. La Palestine, état maintenant intégré au système de l’ONU, partie à plus de cinquante Conventions-clés, affirmait lentement mais sûrement son existence juridique sur la scène internationale, avec l’espoir que ceci se transforme en souveraineté sur le terrain. Pendant cette période, la Palestine a adhéré à la CPI et ce qui semblait impossible un jour, à savoir traduire en justice les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité à l’encontre de notre peuple, est devenu une possibilité pour laquelle nous luttions de toute notre force et notre résolution. La justice, pas la vengeance. L’universalité, pas deux poids, deux mesures. Le droit au-dessus de la force.
Le droit international, que j’ai passé des années à étudier, n’a pas pu nous protéger de ce que nous avons enduré et que nous continuons à endurer. Mais alors qu’il a échoué à obtenir justice, il permet de la faire connaître. Et j’ai trouvé du réconfort dans la précision du droit international, dans sa condamnation des actions et des politiques d’Israël, de cette occupation coloniale dans ses multiples manifestations. Le malaise d’Israël à l’évocation du droit international, les contorsions dont ont besoin ses alliés pour faire éviter une condamnation d’Israël, m’ont amené à penser que ceci était un outil efficace qui, en même temps que la lutte de notre peuple sur le terrain, inverserait à la longue les tendances mêmes semant le désespoir dans nos coeurs.
Mais s’il y a quelque chose que nous ayons appris au long du chemin, c’est l’ironie de l’histoire, et son rapport étroit à l’absurdité. Nous avons vu notre terre être l’objet d’une partition contre la volonté de ses habitants. Nous avions presque disparu de la géographie et nous étions sur le point d’être exclu de l’histoire s’il n’y avait pas eu la ténacité et la résistance mythiques des Palestiniens et la solidarité de tant de personnes dans le monde. Nous avons vu la puissance coloniale nier notre existence même, puis reconnaître en partie notre existence pour nier nos droits, et ensuite reconnaître une partie de nos droits tout en accélérant et enracinant son colonialisme. J’ai pensé que j’avais vu tout cela.
J’ai vu et j’ai traversé beaucoup de choses qui ont mis mes convictions à l’épreuve. J’ai été frappé et insulté par les soldats israéliens d’occupation, j’ai été menacé par les colons, tenu en joue par un homme hurlant dans une langue que je ne comprenais pas, j’ai vu un homme abattu et tué sous mes yeux, et tant d’hommes blessés. Je sais ce qu’est le sang, son épaisseur et sa couleur vive rendant le corps plus pâle quand il s’en échappe. Et le droit international ne peut pas ressusciter celui qui est mort, ni guérir ceux qui ont été blessés. Il n’a pas pu arrêter les bombes frappant les maisons et les écoles, les mosquées et les églises, les hôpitaux et les cliniques de Gaza, il n’a pas pu fournir un abri à ceux privés de tout refuge, assiégés et bombardés. Il n’a pas pu démanteler une colonie ou même empêcher son extension, ou nous protéger de la violence des colons à Jérusalem, Naplouse ou Hébron, ou arrêter la construction d’un mur détruisant nos foyers et bouleversant nos rêves. Il n’a pas pu arrêter notre transfert forcé maintes et maintes fois. Malgré de nombreuses résolutions et Conventions affirmant nos droits, nous sommes encore une nation de réfugiés et un peuple vivant sous occupation coloniale. Je savais tout cela et pourtant cela n’a pas pu ébranler ma conviction qu’en inscrivant nos droits dans les livres de droit universels nous avancions vers leur réalisation. Et je n’ai jamais pensé que cette conviction serait le plus mise à l’épreuve non à Jérusalem, mais à New York.
J’avais hâte d’assister aux réunions à l’ONU, y compris à celles du 6ème comité, consacré aux questions juridiques, promouvant essentiellement le respect du droit international. Je voulais parler de la Palestine, et de son engagement pour le droit international malgré tout ce qu’elle a enduré, ou peut-être à cause de cela, de la protection des civils en tant que pierre angulaire du DHI (Droit Humanitaire International) et des attaques aveugles en tant qu’épine dorsale de la doctrine militaire israélienne. Je voulais parler du près d’un million de Palestiniens arbitrairement arrêtés en 50 ans et de comment des milliers de prisonniers semaient les graines de la liberté de façon que nous puissions un jour faire moisson de la liberté. Je voulais parler du blocus à l’encontre de 2 millions de Palestiniens, du régime colonial comprenant le mur, de la discrimination et de la ségrégation des deux côtés de la Ligne Verte, des millions de réfugiés de Palestine of Palestine et de leur droit au retour que le monde continue à ignorer et de leurs souffrances de l’ Irak au Liban, de Jabaliya à Yarmouk. Yarmouk, la blessure ouverte qui saigne tous les jours. Je voulais parler de ce colonialisme d’après la décolonisation, de la réapparition de l’apartheid.
Mais à l’ONU, quand vous vous adressez à quelque comité, vous vous adressez à son Président. Il arrive ainsi que ce Président en ce qui concerne cette session ne soit autre que l’Ambassadeur d’Israël à l’ONU, Danny Danon. Une personne qui ne croit pas en la justice ni à la primauté du droit international. Une personne qui n’adhère pas à l’indivisibilité et à l’universalité des libertés fondamentales et des droits de l’homme. Et de façon plus importante une personne qui représente un régime colonial qui croit profondément qu’il est habilité à enfreindre, à nier, à violer, toute règle et tout principe. Je suis intimement convaincu que présider ce comité au lieu de le diriger, encouragera davantage Israël dans ses violations du droit international. Et le destin a fait de moi celui qui s’adressait au Comité à la première réunion présidée par l’Ambassadeur d’Israël. Un représentant des occupés parlant de droit international dans une réunion présidée par un représentant de la puissance occupante.
Le droit international ne nous a pas protégés, parce que le droit international est aussi puissant que la volonté des Etats et des institutions internationales chargés de le mettre en place. La justice n’est pas réalisée seulement en déclarant le droit, elle demande sa mise en vigueur. Sans mise en vigueur, il n’y a pas d’exigence de rendre des comptes, et avec l’impunité il y a toujours une répétition des crimes. Nous sommes un témoignage vivant de cette réalité. Danny Danon devrait être devant un tribunal pour répondre des crimes de son gouvernement et non en train de présider le comité juridique à l’ONU. Et ce moment viendra, tôt ou tard. 

Mais il doit être rappelé que chaque minute de retard signifie plus de souffrances pour les Palestiniens. Et je n’oublie pas les colonies, le mur, la maison détruite, l’arbre déraciné, le réfugié, le prisonnier, le blocus, et l’épaisseur du sang et sa couleur vive, rendant le corps plus pâle quand il s’en échappe.

Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers.
Majed Bamya, né en 1983 aux Emirats Arabes Unis, est un diplomate et un poète palestinien. Il est directeur du département des conventions internationales et chargé du dossier des prisonniers palestiniens auprès du ministère palestinien des Affaires étrangères.

Aucun commentaire: