dimanche 30 octobre 2016

Le lobby, Trump et Hillary

Bruno Guigue        

Dans son édition du 27 octobre, le quotidien israélien « Haaretz » révèle que les cinq principaux donateurs de la campagne d’Hillary Clinton sont juifs. C’est le « top five donors ».

Je cite dans le texte pour éviter les mauvais procès. « They are Donald Sussman, a hedge fund manager; J.B. Pritzker, a venture capitalist, and his wife, M.K.; Haim Saban, the Israeli-American entertainment mogul, and his wife, Cheryl; George Soros, another hedge funder and a major backer of liberal causes, and Daniel Abraham, a backer of liberal pro-Israel causes and the founder of SlimFast. »
Bigre. On a même les noms ! Comment est-ce possible ? Juge suprême du vice et de la vertu directement branché sur Yahvé, le CRIF va-t-il porter plainte contre « Haaretz » pour avoir osé colporter des clichés antisémites ? Va-t-il accuser Hillary Clinton de contribuer aux thèses complotistes en prenant un malin plaisir à solliciter les fonds provenant de la communauté juive ? Que fait la police ?  En tout cas, il sera difficile d’accuser d’antisémitisme ceux qui en parlent, puisque la presse israélienne elle-même ne s’en prive pas.
Cette bienveillance communautaire à l’égard de la candidate démocrate, évidemment, n’est pas le fruit du hasard. Depuis son discours devant l’AIPAC, le 21 mars, Hillary Clinton est littéralement adoubée par un lobby pro-israélien (dont on rappellera encore une fois qu’il a une existence officielle) qui y voit la meilleure avocate de ses ambitions. Il faut dire que pour lui faire plaisir ladite candidate a sorti l’artillerie lourde, et pas seulement au sens figuré. Elle a soigneusement caressé son auditoire dans le sens du poil, en lui tenant un langage qu’on peut résumer en trois points.
Premièrement, non seulement Israël et les USA appartiennent au même monde, le monde merveilleux de la démocratie et de la civilisation, mais ils en sont les leaders naturels. C’est pourquoi leur union (voulue par Dieu en personne, a-t-elle omis de préciser) est indéfectible. « Nous sommes deux nations construites par des immigrants et des exilés cherchant à vivre et à adorer dans la liberté, des nations fondées sur des principes d’égalité, de tolérance et de pluralisme. Israël et l’Amérique sont .. une lumière destinée à éclairer les nations en raison de ces valeurs« . (Avis à ceux qui tâtonnent dans l’obscurité, ce condominium fluorescent est la solution à leur problème).
Deuxièmement, ce monde, bien que dirigé par un tandem aussi lumineux, est malheureusement engagé dans une lutte à mort avec les forces du mal. Ces entités diaboliques, on les connaît. Ce sont l’Iran, le Hezbollah et la résistance palestinienne. L’accord sur le nucléaire iranien est un bon accord, dit Mme Clinton, s’il empêche la République islamique de se doter de l’arme nucléaire. Mais si le moindre risque existe, il faudra passer à l’offensive. « Si les dirigeants de l’Iran violent leur engagement de ne pas faire de recherche, mettre au point ou acquérir des armes nucléaires, les Etats-Unis agiront pour le faire cesser, et nous le ferons en utilisant la force si nécessaire. »
Troisièmement, et c’est essentiel, Israël et l’Amérique doivent absolument conserver leur suprématie militaire. Mieux, il faut livrer de nouveaux armements à nos amis israéliens qui souffrent tant du terrorisme perpétré par des fanatiques assoiffés de sang. « Les Etats-Unis doivent fournir à Israël la technologie de défense la plus sophistiquée« , ce qui inclut « les défenses israéliennes par missiles avec de nouveaux systèmes comme les Arrow 3 et les David’s Sling, deux générations de missiles financées et mises au point par Israël et les USA« . Vous voulez de la grosse artillerie, en voilà.
Camp du bien, forces démoniaques, arsenal de destruction massive. Tel est en substance le message de la candidate. Le triptyque salvateur. La sainte trinité. Lorsqu’elle détaille l’arsenal destiné à préserver Israël des barbares, Mme Clinton adresse aussi un clin d’oeil au complexe militaro-industriel. Dont acte. Les magnats de l’armement et les matamores en pré-retraite ne ménageront pas non plus leur appui à cette candidate au discours viril. Elle sera donc soutenue par le lobby pro-israélien, le lobby des marchands de canon et, bien sûr, le lobby des financiers de Wall Street. Hillary Clinton cumule les avantages client. C’est clair : elle est la candidate organique de l’oligarchie prédatrice qui dirige le pays.
Elle a toutes les chances, du coup, de vérifier à son profit la loi non écrite de l’élection présidentielle. Cette loi dit en effet que le candidat élu est celui qui a dépensé le plus pour sa campagne électorale. Comme Barack Obama en 2012, Hillary Clinton va sans doute battre un nouveau record, expédiant dans les cordes un concurrent qui comptait surtout sur sa fortune personnelle. Ce handicap est d’autant plus important qu’il était difficile, pour Donald Trump, de faire jeu égal avec son adversaire du côté des donateurs juifs. Flairant le danger, il a alors tenté d’allumer des contre-feux, quitte à faire de la surenchère.
Invité lui aussi à l’assemblée annuelle de l’AIPAC, le 21 mars, le candidat républicain a tout fait, visiblement, pour faire oublier ses déclarations antérieures. Il refusait de prendre position sur la question palestinienne tant qu’il ne serait pas à la Maison-Blanche. Il hésitait à dire si les États-Unis devaient reconnaître ou non Jérusalem comme capitale d’Israël. Il disait que l’Etat hébreu devait payer l’aide militaire octroyée par les USA. Désormais, c’est fini. Aux oubliettes. En vingt minutes, il a dit à son auditoire ce qu’il voulait entendre et obtenu des salves d’applaudissements. Debout. En « standing ovation ».
Il a commencé par dire qu’il était un « soutien de longue date et ami réel d’Israël ». Avec lui à la présidence des États-Unis, a-t-il assuré, Israël ne serait plus traité « comme un citoyen de seconde zone » ! Manifestement décidé à faire mieux que Clinton, il a accusé l’Iran d’être « le plus grand sponsor du terrorisme mondial » , d’établir en Syrie un nouveau front dans le Golan contre Israël, de fournir des armes sophistiquées au Hezbollah libanais, et de soutenir le Hamas et le Djihad islamique en leur versant de l’argent en rémunération des attaques terroristes.
Mais ce discours complaisant n’a pas suffi. Délaissé par les siens, Trump manque de supporters parmi les donateurs juifs du parti républicain. Ces bailleurs de fonds à l’ancienne, sponsors traditionnels du parti conservateur, sont rebutés par la rhétorique d’un candidat hostile au libre-échange et allergique au « système ». Ils préfèrent se tourner vers une candidate qui n’a jamais lésiné dans son soutien à Israël, au complexe militaro-industriel et à Wall Street. L’argent n’a pas d’odeur, et l’important c’est le business. Pour Donald Trump, du coup, la tâche est rude.
C’est la panique à bord. Il faut faire quelque chose. À neuf semaines du scrutin, le candidat républicain abat sa dernière carte. Elle lui permettra, espère-t-il, de damer le pion à Hillary Clinton, de la prendre à revers sur son propre terrain. Le 26 septembre, après avoir rencontré Benjamin Netanyahou à New York, il promet de reconnaître Jérusalem comme « la capitale indivisible d’Israël » et d’y installer l’ambassade américaine s’il est élu à la présidence. Violation flagrante du droit international, fabuleux cadeau à l’Etat d’Israël, ce fait accompli serait lourd de conséquences. Mais difficile de faire mieux pour séduire le lobby. Une véritable corbeille de la mariée. Pour quel résultat ? Réponse le 8 novembre.

Elle est belle, l’élection présidentielle américaine. Une course à l’échalote entre deux candidats qui rivalisent d’obséquiosité pour dire aux riches et aux puissants ce qu’ils veulent entendre. Habiles marionnettistes, Netanyahou et ses mandataires auront manipulé jusqu’au bout les deux pantins désarticulés qui se disputent un pouvoir fantoche au paradis des lobbies. Le lobby, Trump et Hillary, c’est un ménage à trois, mais il finira à deux. En attendant, cette joute électorale aura au moins clarifié la question de savoir si un candidat pouvait se soustraire à cette mascarade. Visiblement non.

Bruno Guigue (27/10/2016)

Bruno Guigue, ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.

asi.ch 

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