Dans son édition du 27 octobre, le quotidien israélien « Haaretz »
révèle que les cinq principaux donateurs de la campagne d’Hillary
Clinton sont juifs. C’est le « top five donors ».
Je cite dans le texte pour éviter les mauvais procès. « They
are Donald Sussman, a hedge fund manager; J.B. Pritzker, a venture
capitalist, and his wife, M.K.; Haim Saban, the Israeli-American
entertainment mogul, and his wife, Cheryl; George Soros, another hedge
funder and a major backer of liberal causes, and Daniel Abraham, a
backer of liberal pro-Israel causes and the founder of SlimFast. »
Bigre.
On a même les noms ! Comment est-ce possible ? Juge suprême du vice et
de la vertu directement branché sur Yahvé, le CRIF va-t-il porter
plainte contre « Haaretz » pour avoir osé colporter des clichés
antisémites ? Va-t-il accuser Hillary Clinton de contribuer aux thèses
complotistes en prenant un malin plaisir à solliciter les fonds
provenant de la communauté juive ? Que fait la police ? En tout cas, il
sera difficile d’accuser d’antisémitisme ceux qui en parlent, puisque
la presse israélienne elle-même ne s’en prive pas.
Cette
bienveillance communautaire à l’égard de la candidate démocrate,
évidemment, n’est pas le fruit du hasard. Depuis son discours devant
l’AIPAC, le 21 mars, Hillary Clinton est littéralement adoubée par un
lobby pro-israélien (dont on rappellera encore une fois qu’il a une
existence officielle) qui y voit la meilleure avocate de ses ambitions.
Il faut dire que pour lui faire plaisir ladite candidate a sorti
l’artillerie lourde, et pas seulement au sens figuré. Elle a
soigneusement caressé son auditoire dans le sens du poil, en lui tenant
un langage qu’on peut résumer en trois points.
Premièrement, non
seulement Israël et les USA appartiennent au même monde, le monde
merveilleux de la démocratie et de la civilisation, mais ils en sont les
leaders naturels. C’est pourquoi leur union (voulue par Dieu en
personne, a-t-elle omis de préciser) est indéfectible. « Nous sommes
deux nations construites par des immigrants et des exilés cherchant à
vivre et à adorer dans la liberté, des nations fondées sur des principes
d’égalité, de tolérance et de pluralisme. Israël et l’Amérique sont ..
une lumière destinée à éclairer les nations en raison de ces valeurs« . (Avis à ceux qui tâtonnent dans l’obscurité, ce condominium fluorescent est la solution à leur problème).
Deuxièmement,
ce monde, bien que dirigé par un tandem aussi lumineux, est
malheureusement engagé dans une lutte à mort avec les forces du mal. Ces
entités diaboliques, on les connaît. Ce sont l’Iran, le Hezbollah et la
résistance palestinienne. L’accord sur le nucléaire iranien est un bon
accord, dit Mme Clinton, s’il empêche la République islamique de se
doter de l’arme nucléaire. Mais si le moindre risque existe, il faudra
passer à l’offensive. « Si les dirigeants de l’Iran violent leur
engagement de ne pas faire de recherche, mettre au point ou acquérir des
armes nucléaires, les Etats-Unis agiront pour le faire cesser, et nous
le ferons en utilisant la force si nécessaire. »
Troisièmement,
et c’est essentiel, Israël et l’Amérique doivent absolument conserver
leur suprématie militaire. Mieux, il faut livrer de nouveaux armements à
nos amis israéliens qui souffrent tant du terrorisme perpétré par des
fanatiques assoiffés de sang. « Les Etats-Unis doivent fournir à Israël la technologie de défense la plus sophistiquée« , ce qui inclut « les
défenses israéliennes par missiles avec de nouveaux systèmes comme les
Arrow 3 et les David’s Sling, deux générations de missiles financées et
mises au point par Israël et les USA« . Vous voulez de la grosse artillerie, en voilà.
Camp
du bien, forces démoniaques, arsenal de destruction massive. Tel est en
substance le message de la candidate. Le triptyque salvateur. La sainte
trinité. Lorsqu’elle détaille l’arsenal destiné à préserver Israël des
barbares, Mme Clinton adresse aussi un clin d’oeil au complexe
militaro-industriel. Dont acte. Les magnats de l’armement et les
matamores en pré-retraite ne ménageront pas non plus leur appui à cette
candidate au discours viril. Elle sera donc soutenue par le lobby
pro-israélien, le lobby des marchands de canon et, bien sûr, le lobby
des financiers de Wall Street. Hillary Clinton cumule les avantages
client. C’est clair : elle est la candidate organique de l’oligarchie
prédatrice qui dirige le pays.
Elle a toutes les chances, du coup,
de vérifier à son profit la loi non écrite de l’élection
présidentielle. Cette loi dit en effet que le candidat élu est celui qui
a dépensé le plus pour sa campagne électorale. Comme Barack Obama en
2012, Hillary Clinton va sans doute battre un nouveau record, expédiant
dans les cordes un concurrent qui comptait surtout sur sa fortune
personnelle. Ce handicap est d’autant plus important qu’il était
difficile, pour Donald Trump, de faire jeu égal avec son adversaire du
côté des donateurs juifs. Flairant le danger, il a alors tenté d’allumer
des contre-feux, quitte à faire de la surenchère.
Invité lui
aussi à l’assemblée annuelle de l’AIPAC, le 21 mars, le candidat
républicain a tout fait, visiblement, pour faire oublier ses
déclarations antérieures. Il refusait de prendre position sur la
question palestinienne tant qu’il ne serait pas à la Maison-Blanche. Il
hésitait à dire si les États-Unis devaient reconnaître ou non Jérusalem
comme capitale d’Israël. Il disait que l’Etat hébreu devait payer l’aide
militaire octroyée par les USA. Désormais, c’est fini. Aux oubliettes.
En vingt minutes, il a dit à son auditoire ce qu’il voulait entendre et
obtenu des salves d’applaudissements. Debout. En « standing ovation ».
Il
a commencé par dire qu’il était un « soutien de longue date et ami réel
d’Israël ». Avec lui à la présidence des États-Unis, a-t-il assuré,
Israël ne serait plus traité « comme un citoyen de seconde zone » ! Manifestement décidé à faire mieux que Clinton, il a accusé l’Iran d’être « le plus grand sponsor du terrorisme mondial » ,
d’établir en Syrie un nouveau front dans le Golan contre Israël, de
fournir des armes sophistiquées au Hezbollah libanais, et de soutenir le
Hamas et le Djihad islamique en leur versant de l’argent en
rémunération des attaques terroristes.
Mais ce discours
complaisant n’a pas suffi. Délaissé par les siens, Trump manque de
supporters parmi les donateurs juifs du parti républicain. Ces bailleurs
de fonds à l’ancienne, sponsors traditionnels du parti conservateur,
sont rebutés par la rhétorique d’un candidat hostile au libre-échange et
allergique au « système ». Ils préfèrent se tourner vers une candidate
qui n’a jamais lésiné dans son soutien à Israël, au complexe
militaro-industriel et à Wall Street. L’argent n’a pas d’odeur, et
l’important c’est le business. Pour Donald Trump, du coup, la tâche est
rude.
C’est
la panique à bord. Il faut faire quelque chose. À neuf semaines du
scrutin, le candidat républicain abat sa dernière carte. Elle lui
permettra, espère-t-il, de damer le pion à Hillary Clinton, de la
prendre à revers sur son propre terrain. Le 26 septembre, après avoir
rencontré Benjamin Netanyahou à New York, il promet de reconnaître
Jérusalem comme « la capitale indivisible d’Israël » et d’y
installer l’ambassade américaine s’il est élu à la présidence. Violation
flagrante du droit international, fabuleux cadeau à l’Etat d’Israël, ce
fait accompli serait lourd de conséquences. Mais difficile de faire
mieux pour séduire le lobby. Une véritable corbeille de la mariée. Pour
quel résultat ? Réponse le 8 novembre.
Elle est belle, l’élection
présidentielle américaine. Une course à l’échalote entre deux candidats
qui rivalisent d’obséquiosité pour dire aux riches et aux puissants ce
qu’ils veulent entendre. Habiles marionnettistes, Netanyahou et ses
mandataires auront manipulé jusqu’au bout les deux pantins désarticulés
qui se disputent un pouvoir fantoche au paradis des lobbies. Le lobby,
Trump et Hillary, c’est un ménage à trois, mais il finira à deux. En
attendant, cette joute électorale aura au moins clarifié la question de
savoir si un candidat pouvait se soustraire à cette mascarade.
Visiblement non.
Bruno Guigue (27/10/2016)
Bruno Guigue, ex-haut
fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de
La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.
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