Enas Taha, un habitant du village palestinien de Kafr al-Deek en Cisjordanie occupée, est aujourd’hui désespérée.
« Depuis que la crise [de l’eau] a commencé en juin, la municipalité a
été en mesure de fournir de l’eau pour à peine une heure deux fois par
semaine », a déclaré Taha à Al Jazeera. « Je vérifie les prévisions
météo tous les jours. Ils ont annoncé de la pluie il y a trois semaines,
mais elle n’est pas encore venue. La seule chose que je peux faire est
de prier Dieu. »
De nombreuses communautés de Cisjordanie sont confrontées à des
problèmes similaires, au milieu d’une grave pénurie d’eau qui dure
depuis des mois. Dans les gouvernorats de Salfit, Djénine et d’Hébron,
certains villages sont restés aussi longtemps que 40 jours d’affilée
sans eau courante.
À la mi-juillet, les habitants de la région de Bethléem ont organisé
un sit-in quotidien pour protester contre les pénuries, ce qui a
déclenché des affrontements entre jeunes Palestiniens et forces
israéliennes d’occupation.
« C’est une situation très angoissante. Je dois réfléchir à chaque
goutte d’eau que j’utilise », a déclaré Taha. « Nous avons à peine assez
pour boire, cuisiner, prendre une douche et utiliser la salle de bains.
Parfois, je ne fais pas la lessive ni ne nettoie la maison pendant des
semaines. Il fait chaud et tout poussiéreux. C’est épuisant… »
Certains Palestiniens en ont fait une plaisanterie en disant que le
collecteur de factures pour l’eau passe chez eux plus souvent que l’eau.
Comme la demande augmente, le coût de l’eau potable a grimpé en flèche,
certaines familles dépensant jusqu’à 30% de leurs maigres revenus pour
en acheter.
Israël met en œuvre une politique de coupures d’eau chaque été, mais
cette année, cette politique a atteint un sommet sans précédent. Au
début de juin, la compagnie des eaux israélienne Mekorot a informé
l’Autorité Palestinienne pour l’Eau (PWA) de coupures d’alimentation
estivales totalisant plus de 50% [du temps et des volumes] – et ces
coupures, même si maintenant moins dramatiques, restent en vigueur
aujourd’hui, plus d’un mois après la fin officielle de l’été.
« Nous sommes en contact régulier avec [Mekorot] pour trouver une
solution, mais ils nous donnent constamment différentes excuses, comme
l’augmentation de la demande, l’augmentation de la température, etc, » a
déclaré à Al Jazeera Deeb Abdelghafour, le directeur du département
palestinien pour les ressources en eau.
L’idée que la région souffrirait d’un manque d’eau est un mythe,
a-t-il a ajouté: « Cela fait des décennies que nous avons été confrontés
à une pénurie, et la raison n’en est pas naturelle, mais artificielle –
c’est l’œuvre de l’occupation israélienne et du contrôle israélien sur
les ressources en eau dans les Territoires palestiniens. »
Les responsables israéliens ont prétendu que les ressources en eau
sont partagées de façon égale entre Israël et les Territoires
palestiniens sous occupation. Le coordonnateur des activités
israéliennes dans les territoires – une unité de l’armée israélienne – a
prétendu qu’Israël fournissait 64 millions de mètres cubes d’eau aux
Palestiniens chaque année, même s’il est seulement tenu de fournir 30
millions dans le cadre des accords d’Oslo.
Cependant, la disparité est évidente face à la luxuriance des
jardins, des parcs et des piscines dans les colonies israéliennes
illégales. La principale différence est que les villages palestiniens en
Cisjordanie ne sont pas connectés au réseau national de l’eau, comptant
plutôt sur les réserves souterraines locales.
Les Palestiniens vivant dans des régions éloignées ont été les plus
durement touchés par la crise de l’eau, les villages étant plus pauvres
et les mauvaises routes d’accès impliquant souvent des coûts
supplémentaires pour la livraison.
« Nous avons besoin de camions 4×4 spéciaux pour rouler sur les
routes non pavées, et cela peut prendre jusqu’à deux heures pour
atteindre les communautés », a déclaré Hafez Hureini, un habitant du
village au-Tuwani et responsable du Comité Populaire pour le sud
d’Hébron.
Au cours de l’été, les médias israéliens ont rapporté que les
colonies juives illégales en Cisjordanie ont également souffert de
perturbations quotidiennes dans l’approvisionnement en eau, ce qui
incite le gouvernement israélien à mettre en place un nouveau site de
forage, Ariel 1, qui fournirait 250 mètres cubes d’eau par heure.
Abdelrahman Tamimi, directeur du Groupe palestinien d’hydrologie pour
l’eau et l’environnement, a déclaré que ce n’est pas là que l’eau est
le plus nécessaire.
« Les puits devraient être forés làoù la demande est importante,
comme au nord et au sud de Jénine, au sud d’Hébron, ou nord-ouest de la
vallée du Jourdain. Pourquoi Ariel ? Alors qu’il y a déjà un puits ? Ils
pourraient simplement améliorer la capacité du puis existant … [Cette
mesure] n’est certainement pas prise pour alimenter les communautés
palestiniennes, » a déclaré Tamimi à Al Jazeera.
En attendant, Israël a accusé les Palestiniens de puiser dans le
réseau, l’Autorité de l’eau israélienne affirmant que 5000 mètres cubes
d’eau sont détournés chaque jour par les Palestiniens.
« Nous sommes conscients qu’il y a du détournement d’eau … Cependant,
nous devrions nous demander pourquoi les gens en sont réduits à cela ?
Tout simplement parce qu’ils en ont besoin », a déclaré Abdelghafour.
Dans le même temps, l’augmentation des besoins en eau en raison de la
croissance des populations israélienne et palestinienne pousse à ses
limites l’infrastructure de l’eau existante. La majeure partie du réseau
pour l’eau a été installée en 1967, quand Israël a occupé la
Cisjordanie. Aujourd’hui, les calibres des tuyaux sont insuffisants et
le système arrive en fin de vie.
« Mais améliorer l’infrastructure même uniquement dans la zone A et B
est un casse-tête », a déclaré Abdelghafour. « Ils [Israël] imposent
des procédures longues et compliquées, avant de délivrer des permis
d’importer même pour les plus petites pièces ou équipements. »
Les données publiées par l’Autorité de l’eau israélienne montrent
qu’une forte expansion de l’agriculture dans les colonies a conduit à
une hausse estimée de 20 à 40% dans leur consommation en eau cette
année.
« L'[Autorité palestinienne] n’a pas de solution pour la crise de
l’eau. À mon avis, Israël a profité de cet été pour appliquer plus de
pression sur nous afin que nous achetions de l’eau désalinisée, de sorte
qu’ils puissent totalement allouer les eaux souterraines aux colonies
et pour leur expansion à venir, » dit Tamimi.
Depuis 2005, cinq usines de dessalinisation ont été construites en
Israël, produisant à présent environ 50% de l’approvisionnement en eau
du pays.
« Nous ne voulons pas abandonner nos droits historiques sur nos
ressources naturelles, en échange d’une eau issue des usines de
dessalinisation », a déclaré Abdelghafour. « Une fois que nos droits
fondamentaux seront respectés, avec une répartition équitable des
ressources et sur la base du droit international, alors nous pourrons
penser à d’autres options de développement, telles que la
dessalinisation ou le retraitement des eaux usées. »
24 octobre 2016 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine
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