vendredi 4 novembre 2016

Le fichage de 60 millions de Français mériterait un débat parlementaire

ImagePascal Riché

Il faut toujours se méfier des règlements publiés à la veille de week-ends prolongés : beaucoup sont scélérats.

Le gouvernement, dans l'indifférence générale, a publié, le 31 octobre au Journal Officiel, un décret créant un vaste fichier biométrique dit TES, comme "Titres électroniques sécurisés". Dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, de nombreux citoyens approuveront probablement cette initiative. Il faut pourtant être conscient qu'il s'agit d'un recul de nos libertés.
Le projet est de regrouper dans une seule base de données toutes les informations liées aux passeports et aux cartes nationales d'identité. Pas seulement les noms, adresses, couleur des yeux, mais aussi les photographies, les empreintes digitales, la signature numérisée, le numéro de téléphone, l'adresse email : de quoi permettre, potentiellement, l'identification d'une personne à tout moment, y compris à son insu. L'effrayant "fichier pour tous" que prépare le gouvernement.

Un tel projet de fichier centralisé des Français a toujours été contesté. À la Libération, le fichier national créé en octobre 1940 pour permettre à la police de l'Etat Français à mieux contrôler les habitants a été détruit. Il n'était pas jugé compatible avec l'idée de démocratie.
Puis est venu, début 1974 sous Georges Pompidou, le si cyniquement nommé "projet Safari", comme "Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus". Il s'agissait d'interconnecter les fichiers nominatifs de l'administration par le biais du numéro Insee. Soucieux des libertés, des lanceurs d'alertes, au courant du projet, avaient donné l'information au "Monde" qui avait publié un long article titré "'Safari, ou la chasse aux Français". À noter que le ministre de l'intérieur qui avait concocté ce grand fichier informatisé était un certain Jacques Chirac.
Une levée de boucliers avait suivi la publication de ce scoop, poussant le gouvernement à abandonner le projet et à créer la si nécessaire Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

En 2012, le "fichier des gens honnêtes".

En 2012, la droite a relancé un projet de gigantesque base de données sur les Français : ce qu'on a alors appelé le "fichier des gens honnêtes". Des parlementaires avaient saisi le Conseil constitutionnel contre un projet jugé liberticide. Parmi eux, l'actuel ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas. Les Sages avaient censuré le projet de loi, qui ouvrait la voie à l'identification de toute personne, criminelle ou non, via une analyse biométrique (empreinte digitale, reconnaissance oculaire via l'iris, proportions du visage...).
C'est désormais ceux-là même qui contestaient le "fichier des gens honnêtes" – les socialistes – qui reprennent l'idée d'un vaste fichier national, avec ce "TES". La CNIL, chargé de veiller à nos libertés, a émis des réserves face à la création d'un tel fichier, mais le gouvernement est passé outre.
Il n'est pas choquant que la police puisse s'assurer qu'un document d'identité qu'on lui présente n'est pas falsifié, mais il y a d'autres moyens pour y parvenir que de créer un fichier centralisé de 60 millions d'individus, qui par la suite risque de servir à bien d'autres usages. Une puce sur chaque document suffirait, par exemple.

Une telle initiative, pour le moins, aurait mérité un projet de loi débattu au Parlement, face à l'opinion. La lutte contre le terrorisme ne doit pas tout justifier, et surtout pas la restriction de nos libertés par simple décret passé en catimini, sans suivre les recommandations de la CNIL, l'autorité indépendante chargée de veiller à nos libertés face à l'informatique. Il est à souhaiter que le gouvernement retire son décret, ou que le Conseil d'Etat soit saisi et corrige cette anomalie.

news-republic.com

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