N’étant
pas pilote de chasse, ni doté des ailes d’un ange, c’est donc aux
côtés des gens ordinaires, depuis le plancher, que j’ai vécu à peu près
tous les bombardements depuis un demi-siècle de guerres. Et je peux vous
assurer que les bombes, même « chirurgicales » tuent. Et surtout des
innocents.
Pour entrer dans l’intime, j’ai aussi fait du journalisme
pour tenter, modestement, de dire que les guerres ne sont pas jolies.
J’ai échoué. François Hollande – et les supporters des tueries
justes – n’ont toujours pas découvert que cette horreur provoque le
chaos et la mort. À leur tour – un siècle plus tard – ces pacifistes à
sens unique, militants des « frappes humanitaires », vivent-ils la
sidération qui a touché de nombreux journalistes en 1914 ? Ceux qui
couvraient le front au début de la Grande guerre et qui titraient ainsi
leurs articles : « Les balles boches ne tuent pas ! ».
Seules
tuent les bombes russes et leurs clones syriennes. Et j’ose ajouter
que les fameux « barils d’explosifs », lancés par l’aviation de Damas, et
qui indignent à juste titre les Pujadas, sont moins meurtriers qu’un
unique missile vendu par Matra. Je vais vous révéler un autre secret :
la guerre c’est la guerre. Et c’est une saloperie. Et cela inclus donc
les mortiers et obus, parfois chargés de gaz, lancés à Alep par les
exemplaires djihadistes « modérés ».
Revenons aux fondamentaux :
une guerre est toujours bonne. On dit « il nous faudrait une bonne
guerre ». Sauf que l’appréciation, le sens du bon, change de champ
quand on franchit la ligne de front.
Prenez l’exemplaire François
Hollande, à l’époque de la si regrettée SFIO. Son maître Mollet, la
cigarette au bec, a jadis copieusement bombardé douars et mechtas en
Algérie... Pas de quoi faner une rose. Les chats ne faisant pas des
chiens, Hollande est fidèle à la doctrine, c’est à son tour un Lucky
Luke de la bombe. Un temps, comme le ridicule héros d’une opérette
d’Offenbach, il a trépigné en poussant des cris : « Il faut bombarder
Damas ! ». C’était supposer que les célestes et explosives ferrailles,
chéries de l’Elysée, n’allaient tuer que des méchants ? Oublions qu’il y
a deux mois, visant de fourbes et cruels djihadistes dans la région de
Raqqa, les Rafales français ont volé les vies de plus d’une centaine de
paysans. Hermétiques jusqu’au bout aux principes humanistes de la guerre
d’ingérence, ces sans-dents ont ignoré qu’ils allaient mourir pour une
juste cause.
Les indignations sont comme les guerres,
asymétriques. Ainsi, pendant qu’à juste titre nous pleurons sur les
martyrisés d’Alep (ceux des deux « camps »), équipés de bombes
françaises l’Arabie Saoudite – aidée du merveilleux Qatar – pulvérisent
des centaines de vies au Yémen. Qui les pleure ? Personne puisque les
maîtres des sanglots, Le Drian et Pujadas, rient dans ce cimetière.
Je
vois encore les yeux épouvantés des Serbes quand l’OTAN a fait pleuvoir
les missiles Tomawak, ceux du bon droit, sur Belgrade et le Kosovo...
Avant, en 1991, j’avais vu ceux des Irakiens purifiés eux aussi par le
feu céleste. Avec dans le lot quelques bombes signées « Tonton », un
président français qui ne mégotait pas avec les valeurs coloniales de
son parti. La faute à Saddam Hussein. L’imbécile autocrate avait tenté
de récupérer le Koweït, une version locale de « l’Alsace-Lorraine ». Une
petite péninsule, en fait un bidon de pétrole, mis de côté par les
anglais quand ces derniers ont naguère dépecé le Moyen Orient en traçant
les frontières au mieux de leurs intérêts.
J’étais donc à Bagdad
le jour où un avion furtif étasunien a largué deux bombes sur un abri
d’al-Amirya. Quand je suis arrivé, le béton du bunker perforé était si
brûlant qu’il a fallu des heures avant de pouvoir y pénétrer. À
l’intérieur on a compté quatre cents femmes, vieillards et enfants, ou
du moins leurs restes carbonisés. Avez-vous entendu dire que les Etats
Unis se sont excusés pour ce crime ? Que le pilote a été mis en prison ?
Que la CPI a diligenté ses implacables procureurs ? Non puisque cette
justice « blanche » agit seulement contre les trublions noirs quand ils
nuisent à l’Occident. Avez-vous entendu dire, aussi, que les bourreaux
israéliens de Sabra et Chatila et leurs mercenaires libanais, où les
bombes étaient des balles et des couteaux, ont été sanctionnés,
simplement réprouvés ? Non. L’ONU a alors dénoncé « un acte de
génocide » puis le monde juste, celui qui veille sur des Droits de
l’Homme qui lui tiennent lieu de CAC 40, est revenu à ses vraies
valeurs : l’argent.
Tout ce chaos de souvenirs pour vous répéter
que la guerre ne porte jamais de dentelles. Qu’elle est, toutes bombes
confondues, barbare et injuste. Et que ce ne sont plus les militaires
mais d’abord les civils qui y perdent la vie. Imaginez les jours
tranquilles du pilote de drone installé dans une chic banlieue
étasunienne... Le midi il va chercher ses gosses à l’école, l’après-midi
il tue, et le soir rentre chez lui pour tondre la pelouse ; avant de
regarder une série à la télé. Elle n’est pas belle la mort ?
Chronique publiée dans le numéro de Novembre du mensuel Afrique-Asie
mediapart.fr
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