Hier,
notre belle presse nous expliquait doctement que, vu le calendrier,
Fillon ne risque pas de mise en examen avant le premier tour de
l’élection présidentielle. Donc, en gros, le Parquet fait de la
gesticulation. C’est un peu plus compliqué...
Fillon
entretient cette « vérité alternative » en affirmant qu’il renoncera
s’il est mis en examen. Sous-entendu, « les juges n’auront pas le temps
de me mettre en examen, et donc je serai candidat ». Sauf que dans un
dossier aussi simple, la mise en examen, qui peut être très rapide,
n’est pas un passage obligé...
I
L’AFFAIRE…
Nous
sommes sur une affaire simple. Il s’agit de savoir si une série de
contrats de travail, bien rémunérés, avaient une contrepartie effective
au bénéfice de celui qui paye, ou s'il y avait la volonté de bénéficier
d’une rémunération indue. Dans une telle affaire, l’auteur de
l’infraction et le receleur sont indissociables.
- François, t’es tout rouge…
- Je l’aime…
1/ Le volet « assemblée »
Outre
sa rémunération, un député dispose d’une somme de 9.561 € par mois pour
rémunérer des collaborateurs, jusqu’à cinq. Selon le règlement de
l’Assemblée nationale, le collaborateur joue « le rôle que chaque député
lui fixe à l’intérieur de l’équipe qu’il a recrutée ». L’emploi doit
donc correspondre à un travail prédéterminé.
- Dis, François, pourquoi du tousses ?
- Je ne tousse pas, je chantonne...
L’infraction, c’est le détournement de fonds publics (Code pénal, art. 432-15), qui sanctionne le fait de faire bénéficier d’une rémunération sans travail effectif, le bénéficiaire étant alors receleur.
- Là, tu parles de moi, je suis choquée !
- Non, Pénélope, j’explique juste la loi pénale.
On
voit déjà l’argumentation : l’homme politique ne détient pas l’argent.
Il propose, mais ne dispose pas. Juridiquement, la dépense est le fait
de la compta de l’Assemblée… Sauf que dans un arrêt du 30 mai 2001 (n° 00-84102),
la Cour de cassation, en chambre criminelle, a jugé que le critère
était d’avoir la « disposition de la dotation sur laquelle était imputée
la dépense ». Donc, l’Assemblée ordonne la dépense dès lors que le
critère formel est respecté – embauche dans la famille, selon les
critères réglementaires – mais c’est le député qui a sa disposition
« l’imputation de la dépense ».
2/ Le volet « La Revue des deux mondes »
On
change d’infraction, pour se retrouver avec un grand classique, l’abus
de biens sociaux, car le payeur est un organisme privé.
Là aussi se pose la question du travail effectif au service de la revue.
3/ La prescription
La
prescription, de trois ans pour de telles infractions ? Selon une
jurisprudence établie, elle joue à partir du moment où les autorités de
poursuites ont été en moyen d’apprécier la possibilité de l’existence
d’une infraction. Selon le règlement de l’assemblée, l’embauche de
l’épouse est licite… Ce sous réserve que cet emploi corresponde à une
prestation effective au service du parlementaire, en fonction du rôle
qui lui a été donné par ce parlementaire, donc impossible de savoir. De
plus, au regard de la séparation des pouvoirs, le Parquet, autorité
judiciaire, ne peut pas d'emblée se mêler du travail parlementaire.
Donc
pas de prescription. J’ajoute que les parlementaires viennent de voter
une loi pour remettre en cause ce régime de la prescription, mais la
règle ne jouera que pour l’avenir. C’est marron pour Fillon
II
L’ENQUETE
1/ Une enquête trop rapide ?
C’est
la critique la plus idiote. Le Parquet, lisant la presse, découvre des
éléments susceptibles de constituer des infractions pénales, et en
application de l’article 40 du code de procédure pénale, il peut ouvrir
une enquête.
Le
Parquet n’est pas exactement un demeuré, et il comprend vite que, du
fait de ces révélations, il se retrouve au cœur de la présidentielle.
Il
peut faire semblant de n’avoir rien entendu, et laisser passer six mois
pour que la présidentielle se déroule tranquillement… Sauf qu’une telle
affaire porte violemment atteinte à l’ordre public, et va amener à des
réactions tous azimuts. En charge de l’application de la loi pénale, il
se doit d’agir pour assurer sa maîtrise des poursuites en fonction des
événements qui marquent l’opinion. C'est une manière de forger
l’adhésion à la loi – et à l’esprit de justice – ce qui est la base la
société.
Aussi,
l’ouverture immédiate d’une enquête préliminaire après des révélations
d’impact national est le plus logique des actes de procédure.
2/ Comment prouver la réalité de ce travail ?
C’est
l’enjeu de l’enquête. Quand il y a tout d’un système à reconstituer,
cela peut justifier d’une instruction, mais avec cette affaire, la
matière de l’enquête paraît assez simple.
Volet parlementaire
S’il
y un travail effectif, on va retrouver une masse d’appels téléphoniques
et d’e-mails, montrant ce travail, comme pour tout un chacun, outre les
agendas et les documents. Facile à vérifier car Fillon a donné le cadre
: relecture de discours, prise de rendez-vous, participation des
manifestations publiques, et revue de presse. Et puis toutes sortes de
précisions pratique sur ce travail: le lieu, les interlocuteurs,
l'organisation... Pas besoin de juge d’instruction pour une telle
enquête.
Fillon
lui-même reconnait que c'est simple. Il a dit qu'il avait toutes les
preuves, mais qu'il les réservait à la justice, et il a mandaté son
avocat pour apporter un premier lot de preuves aux enquêteurs.
Fillon
travaillait avec son épouse, et lui versait les 4.750 € prévus par le
statut. Faisons les crédules, et admettons. Mais quand Fillon devient
ministre, et qu’il est remplacé par son suppléant, Marc Joulaud, Madame
abandonne son héros de mari, pour se dévouer à Marc Joulaud, et celui-ci
est tellement admiratif du travail qu’il double la paie, pour arriver
aux 8.000 € par mois. Là encore, la police va demander de justifier des
appels téléphoniques, des échanges de e-mails, et des agendas, avec le
suppléant devenu député.
Le
Marc Joulaud n’est manifestement pas trop costaud. En juin 2012, il
s’est pris une raclée devant Stéphane le Foll, qui l’a emporté avec
59,45 %. Depuis, il a été recyclé parlementaire européen, ce qui est un
scandale de plus, avec ce pseudo-souverainiste de Fillon qui considère
le Parlement européen comme la maison de retraite de son suppléant.
Volet « Revue des deux mondes »
Même simplicité de l’enquête pour la collaboration avec le suppléant, et a Revue des deux mondes. Tu montres ton contrat, la réalité de ton travail via les échanges de mails, ou ça chauffe...
III
ALORS, LES SUITES PENALES ?
Les
enquêteurs n’ont que peu de témoins extérieurs à entendre, et les
investigations sont simples. Aussi, une audition de toutes les personnes
concernées d'ici quinze jours est possible. Sous la pression
médiatique, Fillon va d'ailleurs bientôt demander à être entendu, genre
je n'ai rien à cacher.
1/ La mise en examen n’est pas un passage obligé
Nous
sommes actuellement dans la phase de l’enquête préliminaire, sous la
direction du Parquet. L’enquête préliminaire, c’est le travail policier
de base. Si on passe à l’information judiciaire, sous le contrôle du
juge d’instruction, on accède à de nouveaux moyens d’investigation, mais
dans la mesure où l’enquête préliminaire, par les interrogatoires et
les investigations courantes, dont les perquisitions, permet d’en savoir
suffisamment, il n'y a pas lieu de saisir un juge d'instruction... et
donc il n'y a pas de mise en examen. Lorsqu’une personne est entendue
dans le cadre de l’enquête préliminaire, elle a désormais droit à
l’assistance d’un avocat, alors tout va très bien.
-
Les procédés simplistes de mon collaborateur ne nécessitent pas de
passer par une mise en examen, réservée aux affaires sérieuses !
- T'as raison, Sarko.
Aussi,
c’est méconnaître la procédure pénale que de relativiser cette phase.
Dans l’immense majorité des cas, plus de 90 %, l’enquête préliminaire
suffit pour prendre la décision d'orientation du dossier. Si l’enquête
préliminaire laisse apparaître des éléments concrétisant les charges, le
Parquet peut alors faire citer directement les personnes concernées
devant le tribunal correctionnel.
2/ Une mise en examen, s'il le faut, peut intervenir rapidement
C’est
seulement si l'affaire parait trop complexe qu’il est alors nécessaire
de mettre fin à l’enquête préliminaire pour ouvrir une information
judiciaire, confiée à un juge d’instruction.
Si
le juge instruction découvre qu’il existe des charges sérieuses contre
telle ou telle personne, il a alors l’obligation de prononcer la mise en
examen, qui est un droit de la défense. Et il doit alors le faire sans
délai, pour que le procès soit équitable.
* * *
Donc keep cool.
Le sabreur des 500 000 emplois n’a pas eu le temps de détruire les
services publics de la police et de la justice, qui sauront traiter au
mieux cette curieuse et argentée histoire familiale.
Après,
à supposer que tout ceci soit légal, la destruction politique va jouer
tout son effet, et c'est bien parti.
Comment un gus, qui connaît tout de
cette histoire familiale, peut-il oser se porter candidat à l’élection
présidentielle ? Fillon, qui vantait son exemplarité va s’effondrer dans
les sondages, ce qui va très vite créer la rébellion au sein des
Républicains. Ils attendent leur heure et ne laisseront pas passer
2017. Mais alors qui pour remplacer Fillon : Juppé ? Sarko ? Raffarin,
Wauquiez ? Dati ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire