Le traité commercial entre l’Union européenne et le Canada prévoit que les litiges entre investisseurs étrangers et États
soient jugés par une Cour spéciale. C'est dangereux pour nos lois, nos
droits et notre Constitution. Explications et entretiens.
Le
1er avril (non ce n’est pas un poisson) entre en vigueur
« provisoirement » l’AECG (accord économique et commercial global) dit
CETA entre le Canada et l’Union européenne.
Les courageux le liront, cet Accord ou Traité de 1598 pages téléchargeable en langue française sur le site de la Commission europénne est davantage commercial qu’économique, social et environnemental.
Il comporte surtout une clause (articles 8.18 à 8.45 de l’Accord) qui
prévoit qu’en cas de litiges, les différends entre les parties
signataires du Traité EU/Canada soient jugés par la Cour internationale
d’investissement, une sorte de tribunal d'arbitrage permanent.
De quoi s’agit-il et en quoi cela intéresse le citoyen français ?
Outre l’impact sur l’emploi, les services publics, l’environnement et la santé alimentaire dont on peut avoir une idée dans la proposition de résolution européenne des
députés Front de Gauche adoptée par l’Assemblée nationale « Pour un
débat démocratique sur le CETA UE/Canada », l’AECG ou CETA permet aux
investisseurs de passer outre le droit européen et national en faisant
régler leurs différends par une cour spéciale dite « Cour internationale
d’investissement » ou ICS (International Court System). Cette cour
remplace les tribunaux d'arbitrage qui font la loi dans les autres
traités.
Cependant, le rapporteur de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale, le député Marc Dolez
souligne que « les risques pour le droit des États à réguler sont les
mêmes : des investisseurs pourront attaquer des décisions de politique
publique, par exemple l’interdiction des OGM, et, s’ils gagnent,
contraindre les États à leur verser des millions d’euros à titre de
compensation. »
Dans ce cas à quoi servent nos parlements qui légifèrent et nos
tribunaux qui jugent ? À quoi servent le Parlement européen et la Cour
de justice européenne ?
Certes le traité UE/Canada reconnaît le droit de réglementer de
chaque Etat (jusqu’à quand ?) mais pas d’imposer sa règlementation aux
investisseurs étrangers (et non aux nationaux) relevant du CETA. En cas
de différends, ils peuvent saisir la Cour internationale
d’investissement dont la décision s’impose aux états membres.
« C’est une atteinte à la souveraineté de l’Etat » pour 107 députés
Front de gauche, PS et EELV qui viennent de saisir le Conseil
constitutionnel en application de l’article 54 de la Constitution. LIRE L'ARTICLE COMPLET
C’est quoi cette Cour internationale d’investissement ?
Même si le nom change, il s’agit bien d’un tribunal d'arbitrage mais
qui devient permanent et dont la décision est susceptible d’appel devant
une cour d’appel d'arbitrage. Cette concession de la Commission
européenne face à la montée de la contestation ne change rien au fond.
Il est chapeauté par un Comité mixte lui-même sous l’égide du CIRDI - centre-international-de-reglement-des-differends-sur-l'investissement
derrière lequel se cache la Banque mondiale. C’est ce Comité ou
commission mixte qui nomme les 15 juges de la Cour à raison de 5 juges
de l’Union européenne, 5 du Canada et 5 de pays tiers.
Selon l’article 8.30 de l’Accord ou du Traité, ces juges très bien
payés par le CIRDI mais aussi au nombre d’affaires jugées sont
« indépendants, ne suivent les instructions d’aucune organisation ni
gouvernement et ne jugent par un différend donnant lieu à conflit
d’intérêts direct ou indirect. Ils se conforment aux lignes directives
de l’association internationale du barreau sur les conflits d’intérêts
dans l’arbitrage international. »
Ceci est très théorique puisque qu'aucune sanction n'est prévue et parmi les questions les plus fréquemment posées,
la direction générale du commerce de la Commission européenne répond à
la question « qu’est-ce que le système de règlement des différends ? » :
« le règlement des différends est un système visant à protéger les
investisseurs étrangers de mesures discriminatoires ou de traitements
inéquitables de la part des pouvoirs publics ».
Par exemple, notre principe constitutionnel de précaution peut être
jugé discriminatoire pour un investisseur étranger. Idem pour notre
règlementation sur les OGM, les pesticides, les droits sociaux, les
services publics.
Par ailleurs, seuls les investisseurs étrangers (pas les nationaux)
peuvent saisir cette Cour après l’échec d’une médiation. De plus
l’investisseur peut exiger qu’un seul membre du tribunal instruise sa
plainte ou le différend.
Quoiqu’il en soit, dans un communiqué "L'UE à votre portée",
le gouvernement du Canada se réjouit de cet accord qu’il considère
comme « progressiste pour renforcer la classe moyenne » et un bon moyen
de « pénétrer le marché de l’UE ».
Mathilde Dupré juriste à l'institut Verben et Frédéric Viale, juriste membre d'Attac nous
expliquent, dans un entretien, à quoi sert ce tribunal d'arbitrage et
les conséquences pour nos droits et notre Constitution.
humanite.fr
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