J’ai traité dans mon discours de Lyon
(et Paris pour mon hologramme !) de la situation sociale précaire de
très nombreux créateurs, notamment les auteurs, dessinateurs ou les
peintres. J’y reviens car j’ai proposé une idée que je ne retrouve pas
dans le débat public. Et elle compte pour moi.
Les créateurs ne
bénéficient pas du régime protecteur de l’intermittence du spectacle.
Ils travaillent comme indépendants, sans droit aux arrêts maladie ou
maternité. Et surtout ils n’ont que des droits minimaux à la retraite.
40 % d’entre eux vivent donc sous le seuil de pauvreté. Les artistes que
j’ai rencontrés lors de ma visite au salon de la Bande dessinée
d’Angoulême fin janvier m’ont alerté sur ce sujet. Dans ce domaine comme
dans tant d’autres, l’ample tissu que contient notre pays ne tient plus
que par l’abnégation de ceux qui le font vivre. Ça n’est pas
acceptable. Les créateurs font l’art, nourrissent la culture qui, une
fois partagée, devient collective. Là est le terreau qui nourrit ensuite
toutes les imaginations, toutes les créations dans les autres domaines
et jusqu’au plus éloignés. Ils sont absolument vitaux pour une société
développée.
Il faut donc trouver un moyen pour mettre fin à la précarité des
créateurs les plus concernés par l’absence de protection sociale digne
de ce nom. Notre programme L’Avenir en commun propose d’étendre
le système de l’intermittence du spectacle à l’ensemble des créateurs.
Chacun aura ainsi les moyens de se consacrer à son travail et d’en vivre
dignement, malgré l’irrégularité intrinsèque de ses activités. Pour
financer cela, on peut modifier les règles du droit d’auteur.
Actuellement, les œuvres (littéraires et artistiques : livres, pièces
de théâtre, partitions et enregistrement de musique, cinéma…) sont
soumises aux droits d’auteur. C’est-à-dire qu’une redevance doit être
versée pour leur reproduction ou leur interprétation. Cela vaut par
exemple si l’on souhaite utiliser une chanson d’un musicien vivant ou
mort récemment, dans un film. Cette taxe est obligatoire tant que
l’auteur est en vie, et jusqu’à 70 ans après sa mort. Elle est versée à
des sociétés de gestion de droit. Il existe par exemple, la Société des
Auteurs Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM), la Société des
Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) ou la Société Civile des
Auteurs Multimédia (SCAM). Ces sociétés collectent et reversent la
redevance aux auteurs puis à leurs « ayants-droits » jusqu’à 70 ans
après le 1er janvier suivant la mort de leur auteur. La
redevance est variable en fonction de l’utilisation qui est faite de
l’œuvre. Ainsi, la taxe est plus élevée si l’œuvre est utilisée pour des
visées commerciales. Elle est moindre s’il s’agit d’une activité
associative. Sont exemptées de droit également les utilisations d’œuvres
à visée pédagogique, pour les enseignants notamment.
Une fois cette période de 70 ans écoulée, l’œuvre est dite libre de
droits, et donc son interprétation ou sa reproduction est gratuite. Doit
néanmoins être respecté le droit moral de l’auteur au respect de
l’intégrité de son œuvre : il est ainsi interdit de la modifier.
Les œuvres sont libres de droit cette fois quelle que soit leur utilisation. Une troupe de théâtre amateur peut jouer Hernani
de Victor Hugo gratuitement. Mais un éditeur peut également vendre
cette pièce de théâtre sous forme de livre, en ne payant aucun droit.
Pourtant, c’est une activité très rentable. Ainsi Maupassant, Molière,
Zola ou Hugo ont vendu chacun plus de 3 millions de livres de janvier
2004 à janvier 2012. Ils sont en effet aux programmes scolaires. Chaque
année, les ventes de chacun de ces auteurs excédent 3 millions d’euros.
Je propose donc d’instituer un « domaine public commun » qui serait
constitué de l’ensemble des œuvres qui ne sont plus soumises à droits
d’auteurs. La mise en place d’une redevance sur ce « domaine public
commun » permettrait de participer au financement du régime de Sécurité
sociale pour les artistes précaires, notamment ceux qui ne peuvent pas
cotiser au régime des intermittents du spectacle. Cette redevance serait
instaurée uniquement pour l’utilisation commerciale des œuvres du
domaine public. Ainsi, l’utilisation ou la reproduction d’œuvres pour
des buts non lucratifs (notre exemple de la troupe de théâtre amateur)
resteraient gratuites.
Bien sûr, le montant de la redevance qui sera instituée doit être
étudié de façon à ne pas contraindre l’utilisation des œuvres. Ce droit
d’utilisation des œuvres du « domaine public commun » sera ainsi réduit
par rapport au droit normal.
La gestion de cette redevance pourrait être confiée aux créateurs ou à
leurs coopératives, sur le modèle des sociétés qui existent aujourd’hui
comme je l’ai indiqué (SACEM, SACD, SCAM…). La forme de la protection
sociale à mettre en place pourrait être assez simple. On peut imaginer
un système calqué sur celui des intermittents : des droits à chômage
permettant de vivre décemment, dès lors que le bénéficiaire a
suffisamment cotisé sur une période de référence. La gestion de ce
système de protection sociale pourrait être confiée à la Maison des
artistes. Elle a d’ores et déjà pour mission de gérer la Sécurité
sociale des artistes et auteurs. Mais elle pourrait être aussi articulée
avec des organismes du type coopérative ou association à but d’emploi,
que sais-je, en tous cas ce qui correspondrait le mieux à la manière
d’être et de coopérer des créateurs entre eux.
Cette idée de protection sociale élargie pour les artistes, je ne
l’ai pas inventé. Elle est déjà discutée et portée dans plusieurs
syndicats d’artistes ou auteurs comme les auteurs de bande dessinée.
C’est d’ailleurs l’un d’entre eux, Benoît Peeters, l’organisateur des
états-généraux de la bande dessinée à Angoulême, qui me l’a présentée. La
mise en place d’un tel système était également présente dans le rapport
rendu par Pierre Lescure. Ce rapport, commandé par François Hollande et
Aurélie Filippetti sur l’« acte 2 numérique de l’exception culturelle »
n’a pas été suivi d’effet. Il faut dire que c’était la période noire du
début du quinquennat Hollande. Pendant deux ans, le budget de la
culture a été baissé de 6 % ! C’était la première baisse du budget de la
culture depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Avec la règle qui prévaut aujourd’hui, ce « domaine public commun »
prendrait effet 70 ans après la mort de l’artiste. Mais on pourrait
aller plus loin. L’artiste vit des droits d’auteurs qui lui sont versés
de son vivant et c’est tout à fait logique. La perception de droits
d’auteurs par ses héritiers, pendant 70 ans après sa mort peut, elle, se
discuter. Pour Victor Hugo d’ailleurs, seul l’auteur était légitime à
percevoir des droits. Il écrivait ainsi en 1878 « L’héritier du sang
est l’héritier du sang. L’écrivain, en tant qu’écrivain, n’a qu’un
héritier, c’est l’héritier de l’esprit, c’est l’esprit humain, c’est le
domaine public. Voilà la vérité absolue. ». Pour ma part je ne me
prononce pas pour la suppression des droits d’auteurs pour les héritiers
car à cette étape je ne veux rien brusquer : il s’agit de faire avancer
une idée dans le débat public. Mais, auteur moi-même de 14 livres, je
pense que c’est vraiment un sujet de discussion et on pourrait limiter
nettement la durée de cet héritage.
Jusqu’à récemment, la législation française prévoyait le maintien de
redevances au bénéfice des ayant-droits de l’auteur, 50 ans seulement
après sa mort. On pourrait revenir à cette durée. Les plus proches –
veuf ou veuve, enfants – garderaient ainsi un lien privilégié avec
l’œuvre de leur parent décédé. On pourrait également imaginer que les
droits d’auteurs perçus par les ayants-droits soient dégressifs. Ainsi,
ils seraient identiques à ceux perçus par l’auteur de son vivant pendant
25 ans après sa mort. Puis pendant les 25 ans suivants ils seraient
diminués de moitié. L’autre moitié serait versée pour financer la
protection sociale des auteurs vivants que je viens d’évoquer. Au bout
de 50 ans, les œuvres entreraient dans le « domaine public commun ».
Par ce mécanisme, chacun y trouverait son compte : l’auteur pendant
la durée de sa vie, les ayant-droits pendant encore 50 ans après sa mort
avec une dégressivité au bout de 25 ans. Enfin, les autres artistes en
vie et en création qui bénéficieraient du nouveau système de protection
sociale ainsi financé.
Je sais que nous aurons bien du mal à faire entrer les débats sur la
culture dans la brève campagne qui va suivre la publication des
programmes des autres candidats qui en sont encore à le rédiger ou à
préparer leur chiffrage. Mais je suis certain qu’en l’ayant mis dans
notre programme, nous avons déjà fait murir l’idée.
Jean-Luc Mélenchon
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