Le sergent franco-israélien Elor Azaria a donc été
condamné à 18 mois de prison pour avoir, de sang froid, tué d’une balle
dans la tête un Palestinien blessé, gisant à terre, qui ne représentait
plus de danger pour personne.
La peine est pour le moins dérisoire, mais
en fait c’est “signé pas de chance” pour Azaria
: si les faits n’avaient pas été filmés et largement diffusés via
l’internet, non seulement il n’aurait pas été poursuivi, mais il y a
même des chances qu’il ait eu droit à des félicitations de ses chefs.
Pour mémoire, en 2015 le parlement israélien a voté une loi qui rend
le fait de jeter une pierre sur un véhicule en mouvement à Jérusalem-Est
passible de 20 ans de prison (10 ans “seulement” si l’intention de
causer des blessures aux occupants du véhicule n’est pas prouvée – étant
entendu que les Palestiniens poursuivis sont condamnés dans plus de 90%
des cas).
Mais, puisque l’armée n’a pas pu se dispenser de le juger – en dépit
du soutien dont il a bénéficié dans l’opinion israélienne et dans le
monde politique en particulier – il a bien fallu le condamner, et du
même coup en faire un héros national qui – sa proximité avec
l’extrême-droite, bien avant mars 2016 étant semble-t-il établie –
pourrait fort bien se retrouver à la Knesset dans un avenir assez
proche.
Le journaliste Gili Cohen du quotidien israélien Haaretz a voulu comparer
le plus objectivement et le plus précisément possible la peine
prononcée contre le nouveau héros de la droite israélienne, en passant
en revue une série de sanctions prises contre des militaires israéliens.
“Les tribunaux militaires adoptent habituellement une ligne dure quand des principes sont en jeu”, écrit-il. “Le
cas du sergent Elor Azaria, condamné par un tribunal militaire à 18
mois de prison militaire, 18 mois de période probatoire et la
rétrogradation au rang de soldat de 2ème classe, soulève de
sérieuses questions quant à savoir comment cette peine a été déterminée,
et comment cela s’insère dans les lignes de conduite des tribunaux
militaires”.
“Si chaque crime est différent, et si un homicide ne peut être
comparé à une désertion, l’usage de drogue ou des voies de fait,
l’examen d’un certain nombre de cas jugés par les tribunaux militaires
montrent comment ces lignes de conduite sont appliquées”.
Voici le “palmarès” établi par Gili Cohen :
- Un soldat qui a volontairement mis le feu à un avion du musée de la Force aérienne a été condamné, dans le cadre d’une peine négociée [1], pour destruction volontaire d’aéronef à 18 mois de prison et au paiement d’une amende de 5.400 shekels (1.450 USD), ce qui est le montant maximum prévu par la loi militaire.
- Un soldat qui a déserté pendant plus de trois ans, se soustrayant au service obligatoire, a été condamné à 14 mois de prison.
- Un sous-officier qui a pénétré par effraction dans un bunker de l’armée et dérobé une grande quantité d’armes (10 missiles anti-tank, 34 grenades à fragmentation, des explosifs et des milliers de balles) et les a revendues, a été condamné à 15 ans de prison. Son complice a été condamné à 9 ans de prison.
- Un soldat reconnu coupable de mauvais traitements sur des Palestiniens, à qui il avait infligé des chocs électriques en utilisant un appareillage médical, a été condamné à 9 mois de prison.
- Un soldat qui avait accidentellement tiré sur un ami et l’avait tué a été condamné pour homicide (la même qualification pénale retenue contre Azaria – NDLR) a été condamné à 28 mois de prison (peine négociée).
- Un soldat reconnu coupable d’avoir divulgué des informations classifiées à des activistes d’extrême-droite a été condamné à 45 mois de prison.
- Un soldat qui a volé deux missiles anti-tank et 13 grenades à main a été condamné à 5 ans de prison (peine négociée). L’accord passé avec l’accusation prévoyait la restitution des missiles et de quatre des grenades. Un soldat reconnu coupable de complicité a été condamné à 39 mois de prison.
- Un soldat qui avait frappé un autre soldat en utilisant un verre brisé en guise d’arme a été condamné (peine négociée) à 9 mois de prison.
- Un soldat qui avait fumé de la marijuana et un autre type de stupéfiant connu comme “Nice Guy” [2], y compris alors qu’il était de garde comme sentinelle dans un poste militaire, a été condamné à 11 mois de prison (peine négociée).
- Un soldat qui en avait attaqué un autre avec un couteau de cuisine et l’avait légèrement blessé, a été condamné à 15 mois de prison
De ce palmarès on peut donc déduire que tuer d’une balle dans la tête
un Palestinien déjà blessé et hors d’état de nuire, à Hébron, est
beaucoup moins grave que voler des armes dans les magasins de l’armée
pour les revendre (9 à 15 ans) ou trahir des secrets militaires (45
mois), ou encore tuer accidentellement un Juif (28 mois), mais un tout
petit peu plus grave que fumer un joint pendant le service (11 mois)…Mais surtout, surtout, la règle d’or c’est de s’arranger pour ne pas
être filmé, l’impunité est alors pratiquement garantie à 100% !
Notes
[1] une procédure de “plea bargain”
courante en droit anglo-saxon (sur lequel les lois israéliennes sont
largement fondées) : la personne poursuivie admet sa culpabilité et la
peine est négociée avec l’accusation. Des procédures semblables ont été
assez récemment introduites en France, où on parle de “comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité”, et en Belgique où il est question de “transaction pénale”. Nous indiquons “peine négociée” pour les cas de “plea bargain” dans cette liste – NDLR
[2] Marijuana synthétique
[2] Marijuana synthétique
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