Je ne lui en veux pas. Benoît Hamon n’a pas eu le temps de me
téléphoner depuis sa victoire contre Valls. Pourtant il disait dans sa
campagne qu’il me contacterait dès le lendemain du vote interne au PS.
De toute façon, je suis à la campagne cette semaine. Je ne lui en veux
pas car j’aurai mal pris d’être calé entre un rendez vous chez
Cazeneuve, un autre chez Hollande ou bien juste derrière sa rencontre
avec le groupe des parlementaires PS, à qui il fut dit que la démarche
vers moi est essentiellement destinée a me marginaliser. Je préfère
cette pause dans les postures car l’image serait très brouillée et
négative pour moi si je figurais dans une telle série. En effet, un
nombre considérable de gens ne supportent plus l’idée de voter PS, quel
que soit l’emballage. Un nombre remarquable de gens n’ont aucune envie
de se faire faire une deuxième fois le coup du Bourget ou de « la
renégociation du traité européen » ! Ces personnes savent avec quel
aplomb un candidat PS peut mentir sur les sujets essentiels et tromper
tout le monde sans vergogne. On a payé pour voir !
Je crois que bien des politiciens ne comprennent rien à cet état
d’esprit protestataire. Ils pensent qu’un peu de pipeau unitaire
couvrira bien vite les protestations. La tentation est forte pour
ceux-là de jouer le numéro classique de « celui qui refuse l’unité sera
électoralement puni ». C’était le grand must des années de l’union de la
gauche. Mais celle-ci avait été construite en 20 ans (au moins). Et
elle s’appuyait sur une classe ouvrière et une nouvelle classe moyenne
nombreuse, socialement structurée politiquement liée a une
superstructure dense de syndicats, d’associations et de partis influents
et organisés. Ce monde a disparu. La conscience du ridicule d’un
programme commun imaginé, écrit, et signé 70 jours avant le premier tour
de l’élection n’a pas l’air d’effleurer ceux qui s’y abandonnent. Et
comment gérer un programme commun quand le PS n’a toujours pas le sien,
en propre et que Hamon l’annonce pour la mi-mars ? Au passage, je me
demande où sont passées toutes les bonnes âmes qui glapissaient « le programme d’abord, le casting après » il y a de cela quelques mois.
Les incantations unitaires ne prennent pas en compte qu’en mettant le
doigt dans la tambouille des cartels de partis nous détruirions le rassemblement que nous avons construit.
Cela n’a rien à voir avec la compétition des personnes-candidates ! Ce
qui est en jeu c’est l’appréciation qu’on se fait du moment politique et
de l’état des consciences. Il est vrai qu’il existe une « gauche
traditionnelle » à qui les raisonnements des années 70/80 parlent
toujours quand bien même aucune des bases sociales et psychologique de
l’époque n’existe plus. Je ne méprise pas ce fait. Je tâche de lui
répondre sur des bases rationnelles de conviction. Mais ce secteur
méconnaît gravement la crise morale qui a déchiré les profondeurs de la
société et notamment les milieux populaires du fait de la politique
menée par la « gôche » au gouvernement.
Lorsque je demande des garanties de bonne foi à Benoît Hamon,
je ne pose pas des problèmes de personnes comme l’affirme si
frivolement Cécile Duflot. Je rends compte d’une exigence populaire que
n’importe qui peut entendre autour de lui sitôt qu’il sort du premier
cercle des belles personnes. Et je crois que je fais bien. Car la
lecture détaillée de ce qu’on me dit est souvent très perturbante. Ainsi
quand je pose la question du refus des candidatures PS aux législatives
pour les responsables du désastre quinquennal. La réponse de Cécile
Duflot interrogée à mon sujet est typique : « Il se trompe en posant
la question des personnes. Il ne faut fermer la porte à personne. Si El
Khomri accepte le fait qu’il faut abroger une large partie de sa loi et
qu’elle est d’accord sur la politique que nous voulons mener… »
Vous avez bien lu. Ce serait une question de personne et pas une
question politique. Et l’abrogation de la loi El Khomri ne concernerait
qu’une partie de celle-ci. Certes « large »… Cette impression de faire
l’objet d’un piège dans lequel mon accord servirait de caution à une
amnistie générale des anciens ministres ne se dissipe pas facilement.
Surtout quand je lis qu’il s’agit de me « siphonner », de « creuser le trou » avec moi et ainsi de suite.
Certes, de mon côté je ne veux pas passer l’occasion que présente
l’investiture de Benoît Hamon. Il peut être l’homme qui fera le ménage
au PS. Celui qui changerait du tout au tout le cap de ce parti. Il faut
en faire le pari. Il est très important pour nous que la droite du PS
soit progressivement soumise ou expulsée par un courant de gauche de ce
parti, si approximatif soit-il. Il faut donc l’y aider. Sans illusion,
certes, mais franchement. Il y a une volonté populaire de ce côté. En
effet l’étude des votes montre que la moitié des participants au vote de
cette primaire du PS n’étaient pas membre ni sympathisante des partis
au gouvernement. Et parmi eux un bon nombre venait de nos rangs en dépit
de tout ce que j’ai pu dire avec d’autres pour demander aux nôtres de
ne pas participer à cette consultation. Il est donc évident que la
demande numéro un des participants est de dégager Valls, non pour des
raisons de personne, encore une fois, mais par opposition à la politique
gouvernementale qu’il incarne. C’est cette politique qu’il faut
extirper du PS pour que ce parti puisse encore servir à quelque chose
dans le futur.
Le jour venu, je verrai Benoît Hamon. Je l’ai dit depuis le début :
je suis prêt a boire le café et à écouter comment il répond à nos
exigences de clarté. En effet, il ne peut prétendre à la fois nous
tendre la main et recycler dans sa campagne tout le PS dont nous avons
combattu la politique ces dernières années. Je l’ai dit plusieurs fois
ces derniers jours. Je le redis bien volontiers et très tranquillement :
discuter oui, mais participer à des combines non ! En effet, Benoît
Hamon parle de former une majorité gouvernementale. Mais on ne peut pas
former une majorité gouvernementale cohérente et stable sans avoir
tranché avant les grandes questions. Je ne prends qu’un exemple :
comment prétendre demain abroger la loi El Khomri en reconduisant la
masse des députés qui l’ont soutenue hier ? En tant que « frondeur »,
Benoît Hamon est bien placé pour savoir que quand c’est flou, il y a un
loup, et que ça finit par créer toute sorte de difficultés. L’une, et
non la moindre, est qu’il s’agit de gouverner un grand pays sur un
programme audacieux, non ? Comment pouvoir le faire si nous embarquons
comme députés autant de gens qui sont absolument hostiles à cette
politique ?
Pourtant, les premiers signes donnés allaient tous dans le sens d’une
nouvelle tentative de « synthèse » a la sauce hollandaise bien connue.
Sa première semaine de candidat du PS l’a ainsi conduit à aller
rencontrer, à sa demande, le Premier ministre Bernard Cazeneuve puis
François Hollande. Sur France 2, lundi 30 janvier au soir, il a ainsi
déclaré n’avoir « jamais considéré que le bilan du quinquennat était indéfendable » et ce contrairement à ce que disait, par exemple, Arnaud Montebourg dans la primaire. Il ne cesse de répéter qu’il faut « se tourner vers l’avenir ». Comment est-ce possible avec ceux qui défendent le passé ?
En réponse à ma question concernant la cohérence de sa candidature
avec celles que le PS propose aux élections législatives de juin, Benoît
Hamon a aussi été très clair. C’était dans une vidéo en direct sur sa
page Facebook le 2 février. Un internaute lui a demandé s’il soutenait
la candidature de Mme El Khomri pour être députée du 18e arrondissement de Paris en juin prochain. La réponse de Benoît Hamon est claire : « on
peut avoir combattu la loi travail sans considérer que le rassemblement
ne se fait qu’à la condition d’offrir la tête politique de qui que ce
soit ». A-t-on bien compris que Myriam El Khomri a le soutien de
Benoît Hamon pour les législatives ? Évidemment, cet argument « d’offrir
les têtes » vise à nous faire passer pour des guillotineurs. Ce ne sont
évidemment pas des têtes qu’il faut trancher mais les contradictions et
les grandes questions politiques du moment. J’ai déjà dit que je ne
demandais pas de têtes sur des piques mais juste qu’on ne se paie pas la
tête des gens qui ont déjà été beaucoup trompés !
El Khomri n’est évidemment pas la seule concernée. C’est une logique
politique qui est en cause. On ne peut prétendre former une majorité
cohérente pour abroger la loi El Khomri tout en proposant d’élire Mme El
Khomri comme députée. On ne peut prétendre écrire une nouvelle page en
reconduisant M. Valls dans sa circonscription d’Évry. On ne peut faire « battre le cœur de la gauche
» en proposant aux électeurs de réélire M. Le Foll dans la Sarthe ou M.
Sapin dans l’Indre, etc... Et comment croire aux promesses de
réorientation de l’Union européenne par ceux-là même qui ont approuvé la
non-renégociation du traité budgétaire Sarkozy-Merkel en 2012 ?
Le journal Le Monde a compté : pas moins de 16 ministres
actuels sont présentés par le PS pour les législatives de juin prochain,
sans compter les trois que je viens de citer à l’instant. Ce sera donc
une vingtaine au total ! Sont par exemple déjà investis outre Mme El
Khomri, le très vallsiste Jean-Marie Le Guen, le ministre des budgets
d’austérité Christian Eckert, la ministre du burn-out des hôpitaux
Marisol Touraine, les ministres de la reconduction de l’état d’urgence
et des violences policières non sanctionnées Jean-Jacques Urvoas et
Bruno Le Roux, etc...
La question est encore plus profonde que ça. Le PS a investi déjà 400
candidats aux élections législatives sur les 577 circonscriptions du
pays. Un citoyen a fait un décompte très précis
des engagements des uns et des autres. Le résultat est sans appel.
Parmi les 400 candidats du PS, les deux-tiers ont été des soutiens
actifs et enthousiastes de toutes les mesures des gouvernements Ayrault
et Valls : traité budgétaire européen en 2012, pacte de responsabilité
et crédit d’impôt compétitivité, loi Macron, loi Travail, etc. Cela
représente 255 candidats. À l’inverse seuls 14% des candidats, soit une
cinquantaine, ont émis des critiques régulières. Les autres ont
savamment évité de prendre des positions trop claires. C’est encore plus
édifiant si l’on regarde uniquement les députés sortants réinvestis !
Là, ce sont 86% des députés sortants réinvestis qui ont approuvé la
ligne de François Hollande depuis 2012 ! Soit 143 députés que Benoît
Hamon et le PS proposent donc de reconduire !
Comment former une majorité gouvernementale avec un tel attelage ?
Est-ce avec toutes ces personnes élues ou réélues demain députés que
Benoît Hamon entend appliquer son programme ? Compte-t-il réellement
faire autre chose que la politique menée depuis 5 ans en s’appuyant sur
ceux qui ont décidé et mis en œuvre cette politique ? Ce n’est pas
crédible. Faudra-t-il espérer qu’a notre tour nous devions agir demain
en monarques et recourir à son tour au 49-3 pour imposer à notre future
majorité « cohérente » les mesures emblématiques de son projet comme
l’abrogation de la loi El Khomri ? Ce serait un comble, non ? Faut-il
alors se préparer à l’abandon programmé du projet de Benoît Hamon ?
La paralysie est déjà là. Jeudi 2 février, à l’Assemblée, le PS s’est
auto-bloqué sur un sujet aussi important que l’accord de libre-échange
avec le Canada. Les députés issus du Front de gauche avaient déposé une
résolution exigeant un référendum en France sur ce traité. Ce traité
doit être soumis au vote du Parlement européen le 15 février puis à la
ratification dans chacun des États membres. La question est donc d’une
brûlante actualité ! Et qu’ont fait les députés PS ? Ils se sont
abstenus ! Pourquoi ? Parce qu’ils n’étaient pas d’accord entre eux !
Faut-il voir là un avant-goût de ce que serait un quinquennat à la sauce
de « synthèse » qui nous est proposé?
Je vais plus loin. Benoît Hamon propose d’abroger la loi El Khomri.
Puisqu’il est convaincu de pouvoir le faire demain tout en reconduisant
les députés qui ont soutenu cette loi l’an dernier, je pose une
question : pourquoi attendre ? Puisque le candidat du PS veut abroger
cette loi et que le PS gouverne encore, pourquoi Benoît Hamon
n’exige-t-il pas de son parti qu’il abroge la loi El Khomri avant la fin
du mandat ? C’est encore possible. Cela montrerait sa capacité à rompre
vraiment au-delà des paroles. Cela montrerait sa capacité à convaincre
les députés PS de se déjuger de leurs votes d’hier. La confiance et
l’union ne décrètent pas depuis des tribunes. Elle se construit ou elle
se rompt au moment de passer aux actes.
Benoît Hamon, choisissez ! C’est maintenant qu’il vous faut donner
son sens à votre victoire à la primaire. Sinon vous verrez bien vite
comment vous allez être auto-bloqué par le jeu des courants et sous
courant. Je ne suis pas le seul a penser de cette façon. Cécile Duflot,
votre alliée acquise le dit aussi a sa façon : « ….la question de fond posée par Mélenchon est celle de la cohérence. Et là-dessus il a raison. ».
Jean-Luc Mélenchon
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire