L’avocat pénaliste Henri Leclerc, ancien président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, dénonce la fronde du clan Fillon contre la justice. Selon lui, les fondements de la République sont menacés.
Henri Leclerc, 82 ans, avocat depuis 1956, demeure l’une de ces
grandes voix qui ne laisse personne indifférent, admirée à gauche,
respectée à droite. Il a plaidé en faveur de DSK ou de Dominique de
Villepin. Depuis un demi-siècle il est un farouche défenseur des droits
de l’homme.
Quand on est candidat à la présidentielle, on postule de facto à
devenir le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Est-on
disqualifié en affichant une telle attitude de défi envers les juges ?
C’est un problème majeur. L’indépendance est un pilier de la justice.
La contester est grave. Que faut-il souhaiter ? Des juges aux ordres ?
La protestation que l’on entend aujourd’hui est un extraordinaire
renversement des valeurs. Nous avons déjà eu dans l’histoire des juges
inféodés au pouvoir. Auparavant, on protestait contre le pouvoir qui
donnait des instructions aux juges. Ici, on proteste contre un pouvoir
judiciaire qui agit dans un cadre ordinaire !
Hier, lorsque le pouvoir n’était pas content de ses juges, il créait
des juridictions d’exception. Veut-on cela ? On peut critiquer les juges
et je ne m’en prive pas, mais s’en prendre à l’institution tout entière
avec une telle violence est inacceptable.
Comme avocat de Dominique Strauss-Kahn, vous-même avez pourtant
critiqué les juges et poursuivi des journalistes pour leurs articles…
J’ai fait mon travail d’avocat. Cela passe par les recours, les cours
d’appel, la Cour de Cassation… Dans le dossier du Carlton de Lille
visant DSK, je disais que le juge se trompait mais je ne disais pas
qu’il fallait le condamner ou qu’il n’avait pas à se mêler de cette
affaire ! J’ai été entendu. Une relaxe a été prononcée par le tribunal
correctionnel. Je ne conteste pas la critique des juges. Je conteste la
critique globale et générale de la justice dans son rôle.
Un pas a été franchi par François Fillon. Son discours vis-à-vis de la justice est-il un signal grave ?
Oui, le fait que des gens n’acceptent pas l’autorité du pouvoir est
préoccupant et grave. D’habitude, ce sont les révolutionnaires qui se
soulèvent face à la justice. Ici, ils le font à l’appui d’un cas
particulier. La défiance envers l’institution judiciaire me paraît
mettre en cause les fondements de la République. Certes, ce n’est qu’une
fraction et une minorité, celle de certains partisans de François
Fillon et de Marine Le Pen. Mais c’est un pas vers l’extrême. C’est un
signal grave.
En matière de justice, il faut revenir aux fondamentaux. Il faut
rappeler que la mise en examen n’est qu’une étape judiciaire mais n’est
en rien une marque de culpabilité. C’est François Fillon lui-même qui a
posé le principe qu’une mise en examen devrait se traduire par une
démission. Il a lancé cette idée formidable [en affirmant "qui imagine
le général de Gaulle mis en examen ?", NDLR].
Or, même si l’opinion publique le pense, les hommes politiques ne
doivent pas s’engouffrer dans cette brèche. Il faut rappeler que
beaucoup de mises en examen peuvent se solder par un non-lieu, une
relaxe ou un acquittement. Il faut accepter le jeu judiciaire.
Le magistrat Antoine Garapon estime que ce ne sont pas les juges qui
sont devenus de nouveaux acteurs politiques mais les politiques qui sont
devenus des justiciables comme les autres. Est-ce un progrès ?
C’en est un sauf si l’ensemble de la classe politique était
déstabilisée du fait des juges, mais ici ce sont les personnalités
politiques qui se déstabilisent elles-mêmes ! Si des faits de corruption
ou d’abus sont établis, il faut bien que la justice passe. Sans trêve.
Imagine-t-on qu’il en soit autrement ? L’exemple de Jérôme Cahuzac est
édifiant. Le fait qu’il soit ministre ou qu’il ait la confiance du
président de la République aurait justifié qu’on suspende les
poursuites ?
Le peuple, quel qu’il soit, ne peut pas accepter une forme
d’amnistie.
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