Voici qui a un air de déjà-vu – pour les moins jeunes d’entre nous,
du moins : la politique dite du bouton-pression mise en œuvre par un
Etat patibulaire, au service de la plus douteuse de ses causes – hier
l’Union soviétique aux riches heures où les tomates poussaient plus
grosses et plus rouges dans le jardin de Lyssenko, aujourd’hui d’Etat
d’Israël à celle où l’annexion de la Cisjordanie est promue par les
colons et leurs alliés comme solution définitive au « problème »
palestinien.
Plus la cause est douteuse et plus elle requiert la mobilisation
expresse de tout un vaste dispositif d’organisations ad hoc, de
compagnons de route mobilisables sur commande, sans oublier le lot
habituel d’idiots utiles. Depuis l’élection de Trump, le bunker colon et
la branche ultra du sionisme conquérant se sentent pousser des ailes ;
pour un peu, ils y verraient la manifestation irrécusable d’une
intervention divine dans les affaires humaines, laquelle leur assigne
une mission et un destin : parachever l’édification du Grand Israël et
réduire à tout jamais ses adversaires au silence.
C’est évidemment dans ce contexte qu’il faut comprendre la
mobilisation générale décrétée par les officines de propagande
israéliennes contre les sanctions destinées à faire pièce à l’occupation
illégale des territoires palestiniens et à leurs prolongements dans le
domaine des échanges économiques, culturels, universitaires. Campagne
tout particulièrement dirigée contre le mouvement BDS (Boycott,
désinvestissement, sanctions), et plus particulièrement en France – le
seul pays où la classe politique à peu de chose près rassemblée prête
une oreille complaisante aux tentatives de criminalisation de ce
mouvement.
Mi février, c’est Nathalie Kosciusko-Morizet qui, à force d’accumuler
les déconvenues (échec à la Mairie de Paris, éviction de la direction
du PR, claque aux primaires des Républicains...) en vient à craindre de
subir le sort de Rachida Dati, et, en désespoir, se rappelle au bon
souvenir du premier flic de Paris. Dans une lettre adressée au Préfet de
police le 15 février, elle exige avec toute la solennité requise que
celui-ci interdise dans la capitale toutes les manifestations destinées à
faire de l’ombre à l’Etat d’Israël, « notamment celles menées par le
mouvement BDS ». Manifestations qualifiées d’« appels à la haine » et
dont elle rappelle, assumant sans état d’âme l’amalgame de la critique
active de la colonisation israélienne avec le « terrorisme », que « la
prolongation de l’état d’urgence » donne toute latitude à l’autorité
policière pour interdire ces manifestations et rassemblements.
Pour ceux/celles qui en doutaient encore, on a là un exemple probant
de ce que peut être, en temps de démocratie rationnée, la vocation
multifonctionnelle d’un dispositif comme l’état d’urgence indéfiniment
reconduit.
En mars 2015, Madame Kosciusko-Morizet, qui, dans sa lettre au
Préfet, se prévaut de ses titres et fonctions de députée et de
présidente du groupe Les Républicains au Conseil de Paris (elle lui
écrit même carrément sur papier à en-tête dudit Conseil), a été
condamnée par la Justice pour avoir diffamé Jean-Luc Mélenchon en le
traitant d’antisémite. Constamment sur la brèche, elle fait rempart de
son corps devant l’Etat d’Israël et tire à vue sur tout ce qui vise à le
mettre en cause, que dis-je, à l’ « exlure du concert des nations » (sa
lettre au Préfet) - comme si les Netanyahou, Liberman et Bennett n’y
suffisaient pas...
Echaudée, cependant, elle ne va pas jusqu’à coller sur le BDS
l’étiquette tous usages d’ « antisémite » ; mais cela ne l’empêche pas
de s’y exprimer en supplétive de l’ambassade d’Israël à Paris : les
« appels à la haine » de ceux qui manifestent pour le boycott des
produits portant le label en France et, en vérité, issus de la
colonisation des territoires palestiniens, ne visent qu’à exiger
l’application de la règlementation française dûment publiée ; celle-ci
stipule que les produits issus des colonies (des territoires occupés par
Israël) doivent mentionner en toutes lettres cette provenance. Or,
aussi bien les exportateurs israéliens que les entreprises françaises
qui travaillent avec eux s’assoient sur cette réglementation. N’est-ce
pas le droit de tout un chacun d’entre nous de ne pas souhaiter
consommer à son insu des produits issus d’une situation qui se trouve
éternisée sur le terrain au mépris du droit international, des droits
des Palestiniens et au prix d’une exploitation sans merci de ceux qui se
trouvent pris dans le cercle infernal de la spoliation, de l’expulsion
et du travail au service de l’occupant comme seule alternative à la
misère ?
Dans la notice Wikipedia de Mme Kosciusko-Morizet, il est indiqué que
celle-ci est « catholique » - tout en aimant à imaginer qu’elle descend
de Lucrèce Borgia (sic). On conçoit aisément que ce détail concernant
sa vie privée ne figure dans ce document qu’au titre de l’usage public
que la dame est susceptible d’en faire, au service notamment de sa
carrière politique dans les eaux de la droite conservatrice, légèrement
sur le flanc gauche de La manif pour tous.... Et c’est donc, sera-t-on
porté à se dire, en bonne chrétienne qu’elle est que
Mme Kosciusko-Morizet fait la promotion d’une politique de conquête,
d’apartheid et d’aggravation perpétuelle des conditions de vie des
Palestiniens – ceci, précisément à l’heure où les faucons de
l’expansionnisme israélien voient une embellie inespérée se produire à
la faveur de l’élection du tweeteur sous influence désormais installé à
la Maison Blanche1.
L’appel à la censure et à l’interdiction (demeuré, jusqu’ici, sans
effet – encore un échec...) lancé par la dame patronnesse de
l’ultra-sionisme franco-français prend tout son sens quand il s’avère
qu’il ne se contentait pas de relayer les appels rituels du CRIF et
autres activistes du bunker à criminaliser le BDS. Il annonçait une
offensive en règle, venue du sommet de la pyramide – le Parlement
israélien, ni plus ni moins, qui, entièrement aux mains des ultras de la
colonisation, adoptait trois semaines plus tard une loi interdisant
l’accès à l’Etat hébreu de tout partisan de son boycott international :
« Aucun visa ou aucune autorisation de séjour de quelque type que ce
soit ne sera accordé à une personne n ’étant ni un citoyen israélien ni
un résident permanent si elle, ou l’organisation ou l’institution dans
laquelle elle milite, a sciemment lancé un appel public à boycotter
l’Etat d’Israël ou s’est engagé à prendre part à un tel boycott ».
L’esprit du bunker se montre ici sous son meilleur jour. Mais ce
n’est là que le sommet de l’iceberg : quelques jours auparavant,
l’administration israélienne annonçait qu’elle refusait d’accorder un
visa d’entrée à un haut représentant de Human Rights Watch désireux de
se rendre dans le pays... ceci avant de se rétracter piteusement
quelques jours plus tard au vu des réactions suscitées par cette
initiative en forme de manifestation de faiblesse plutôt que de
fermeté... Où l’épopée de Massada, une énième fois, se rejoue en
bouffonnerie...
Entre-temps, l’ambassadrice d’Israël en France n’avait pas manqué de
jouer sa partition dans cette offensive de grand style - ceci en se
fendant de pas moins de neuf lettres adressées aux maires de grandes
villes de France dans lesquelles sont annoncées des manifestations
contre le colonisation et en faveur du boycott, réclamant, comme de
juste, leur interdiction. S’il y avait encore un pilote dans l’avion
Hollande and Co, il se serait trouvé une autorité pour inviter cette
dame à s’occuper de ses affaires et ne pas interférer dans la vie
publique de notre pays.
Jamais les doubles standards en matière de liberté d’expression
n’auront été aussi criants qu’aujourd’hui. Il s’est trouvé ces derniers
jours une chambre correctionnelle parisienne pour estimer qu’en
déclarant que « dans les familles arabes en France, (…) l’antisémitisme,
on le tête avec le lait de sa mère », Georges Bensoussan, une des plus
chaudes têtes du bunker, n’a en aucun pas « suscité ou voulu susciter un
sentiment d’hostilité ou de rejet à l’encontre d’un groupe de
personnes »... En revanche, dès l’instant où ceux qui ne se contentent
pas de protestations de pure forme contre la colonisation et l’apartheid
pratiqués par l’Etat d’Israël se mobilisent, les insultes fusent avec
les tentatives d’intimidation et les appels à la répression, l’exemple
venant d’en haut, tout en haut – ce n’est pas pour rien que
Mme Kosciusko-Morizet, lorsqu’elle réclame l’interdiction des
rassemblements du BDS, invoque gros comme la main l’autorité de...
Manuel Valls.
Un dernier mot : dans la mesure même où cette dame juge utile et
légitime de mettre en avant sa qualité d’élue de Paris lorsqu’elle part
en croisade contre le BDS, serait-ce trop espérer que d’autres élus
siégeant dans cette respectable institution prennent leur plume et leur
papier à en-tête pour faire entendre une autre voix et rappeler que la
dénonciation de la colonisation israélienne, dans toutes ses
conséquences, loin d’être une cause criminelle, est une question de
salubrité publique ? La capitale n’est-elle pas dirigée par une majorité
qui se dit de gauche ? Et si l’expérience nous enseigne que sur ces
questions, spécialement sur ces questions, il n’est rien à attendre de
la gauche de gouvernement que le pire - serait-ce trop demander que ceux
qui tiennent à se distinguer de cette gauche marécageuse prennent le
temps de dire publiquement que Mme Kosciusko-Morizet, quand elle sert la
soupe à l’ultra-droite (de gouvernement) israélienne, ne parle pas au
nom du Conseil de Paris ?
1. Que Mme Kosciuzko-Morizet fasse maigre le vendredi et se
confesse tous les dimanche à St François-Xavier, qu’elle soit
catholique, protestante, bouddhiste ou zoroastrienne, tout le monde
« s’en bat l’oeil gauche avec une petite patte de merlan » - dirait Léon
Bloy, autre catholique de résistible obédience... Ce qui est sûr, en
revanche, c’est qu’elle n ’est pas musulmane, vu le nombre d’inepties
qu’elle a pu proférer à propos de l’Islam au fil de sa (encore) jeune
carrière de personnage public.
Source : https://blogs.mediapart.fr/edition/les-mots-en-campagne/article/140317/la-colonisation-israelienne-soigne-sa-com
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