À mon
tour de reprendre l’antienne léniniste sur les « idiots utiles » qui m’a
tant de fois été collée en étiquette parmi tant d’autres qualificatifs
méprisants. Cette fois-ci, au vu et au su de tous, les rôles
s’attribuent autrement et jusqu’à la caricature !
On a vu avec quel
culot Jean Christophe Cambadélis me fait les gros yeux dans une
interview au journal Le Parisien. Il voudrait me rendre
responsable de l’incapacité de la campagne du PS à combler la moitié des
suffrages perdus du fait du bilan du quinquennat ! Je devrais
humblement me retirer devant le candidat du PS. Quelle arrogance ! Pour
autant je ne suis pas dupe de l’effet d’enfumage. Car le
« raisonnement » du premier secrétaire ne tient pas la mer comme il le
sait bien lui-même. Depuis quand faut-il qu’il n’y ait aucun candidat en
concurrence avec le PS pour qu’une élection soit gagnée ? Ce ne fut pas
le cas en 1981 où Georges Marchais et François Mitterrand furent en
concurrence, ce qui n’empêcha pas ce dernier de gagner, au contraire. Et
de même en 2012 où ma percée a 11 % n’a pas empêché François Hollande
de gagner, au contraire encore !
Certes, comme le montrent les courbes des sondages, si la candidature
du PS ne perce pas, si elle a même commencé à régresser, il n’en
demeure pas moins qu’elle a réussi à stopper notre progression avérée
jusqu’à fin janvier. Le pilonnage démoralisant des amis de « l’unité »
qui me dénigrent sans trêve y a ajouté sa contribution démotivante sur
les milieux militants pétitionnaires traditionnels. Et si dorénavant
nous reprenons le terrain en progression, tout cela nous a même fait
reculer un temps. Et elle nous a fait perdre du temps.
Ce n’est pas tout. Jusqu’à fin janvier nous jouions à touche-touche
avec Macron. Depuis, nous avons eu un mois d’autoblocage mutuel avec
Benoît Hamon. Cela a suffi à Macron pour lui permettre de décoller et de
s’imposer comme la figure du « vote utile » si chère au PS. Il peut
siphonner donc Hamon de tous ces votes qui auraient pu venir vers nous
sans cela. C’est sans doute l’effet le plus important attendu par les
cyniques hommes de l’appareil solférinien avec la candidature de leur
parti. Ils la soutiennent comme la corde soutient le pendu ! Car, pour
eux, la suite est déjà écrite, selon l’aveu du même Cambadélis dans la
même interview. Il s’agit de former ensuite une « grande coalition »
avec Macron lors des législatives. Raison pour laquelle il appelle les
importants du parti à ne pas quitter le navire et à ne pas se vendre au
détail. En restant groupés au PS, ils auront une meilleure position pour
négocier les places d’une nouvelle majorité avec Macron. Les gogos
enchaînés au PS auront donc été d’un bout à l’autre les dindons d’une
farce bien orchestrée.
La candidature de Benoît Hamon, certes méritante, et précieux outil
de l’élimination de Valls, aura fonctionné, à son corps défendant, comme
le tremplin qui aura permis d’amorcer l’appel au « vote utile Macron ».
Car le vote utile est la seule culture politique que répand le PS
depuis tant de temps ! À partir de là, je sais que notre partie se joue
dans les électeurs nouveaux arrivants. C’est eux qui vont faire la
décision. Ce sera une attitude dégagiste. Le vote utile ne va pas
fonctionner au premier tour. Ce n’est pas la logique de ce que nous
avons observé jusque-là. Dans ce contexte, le candidat du PS est le plus
mal placé pour accéder au deuxième tour. Il est évidemment surtout
desservi par les siens qui n’attendent de lui qu’un rôle de figuration
avant le grand accord avec Macron. En tout état de cause, le délai
laissé par la date de la fin de la primaire ne lui permet pas de bâtir
un socle idéologiquement stable. Et sa position programmatique si
hétérodoxe en a pourtant cruellement besoin !
À cela s’est ajoutée une lourde erreur de pilotage. Le temps perdu à
courir derrière Jadot et Duflot, sans impact électoral positif, les zigs
zags sur son thème fétiche du revenu universel et le virage européiste
sur l’aile lui ont fait perdre beaucoup de visibilité. Et bien sûr, le
poison lent des désertions au goutte à goutte forme un bruit de fond qui
parasite sa campagne. Je ne dis là que ce que tout le monde observe. Et
il y a aussi ce que je sais et qui ne se voit pas : une campagne de
cette nature ne s’improvise pas. Et le nombre de tireurs dans le dos,
les grands seigneurs qui mènent leurs guerres privées dans le
capharnaüm, tout ce fourmillement désordonné épuise les acteurs
principaux du combat. Mais les solfériniens s’en moquent. Ils se sentent
proches du but : le hara kiri du parti souhaité par Hollande est en
vue. L’échec imputable à « la ligne de gauche » peut figer les rôles. Et
le rêve d’un Schröder à la française semble à portée de main sous les
traits de Macron. Les astres s’alignent pour eux, pensent-ils.
Notre campagne est le seul recours contre cette mise en place. Notre ligne de travail est donc toute tracée. Le 18 mars, avec la grande marche pour la sixième République,
la poussière du démarrage de campagne officielle va finir de retomber.
Nous serons alors passés sur notre terrain : le combat de masse et de
classe. Le reste sera visiblement aussi futile qu’inutile.
Jean-Luc Mélenchon
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