Six
ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi, les réfugiés de
la radioactivité se voient contraints de rentrer dans leurs villages
contaminés. Une aberration dénoncée par le chercheur indépendant
japonais Shinzô Kimura.
« Les
habitants du département de Fukushima ne sont que des pions dans la
politique du gouvernement, qui souhaite remobiliser au plus vite la
population en faveur du nucléaire. » Cette conclusion amère, le
professeur Shinzô Kimura, associé à l’université de médecine Dokkyô, l’a
tirée de six années à arpenter le département de Fukushima. Après le
tremblement de terre et le tsunami qui ont provoqué la catastrophe
nucléaire de Fukushima-Daiichi, le 11 mars 2011, ce fonctionnaire
spécialiste de la radioprotection a démissionné de son poste au
ministère de la Santé et du Travail après qu’on lui a refusé d’enquêter
dans les communes situées à proximité de la centrale ravagée. De passage
à Paris, mardi 7 mars, il a alerté les étudiants de l’Inalco
(l’Institut national des langues et civilisations orientales) sur le
sort des réfugiés de Fukushima.
Au prétexte que le programme de
décontamination a bien avancé, le gouvernement a fixé au 31 mars 2017 la
fin des aides financières au logement pour quelque 26.600 personnes
parties « de leur propre initiative », selon la nomenclature
officielle. Après l’accident, plus de 160.000 personnes avaient été
évacuées. Les autorités avaient ordonné les évacuations en fonction des
niveaux de radioactivité relevés. Là où le seuil n’était pas atteint,
les habitants avaient le choix entre rester ou partir, celles et ceux
préférant fuir les radiations bénéficiant de soutiens financiers.
La situation d’Iitate par rapport à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi
Pour M. Kimura, cette politique de retour est une aberration, comme l’illustre la situation de la commune d’Iitaté. Avant la catastrophe, 6.200 personnes habitaient cette paisible bourgade ceinturée de montagnes et de forêts, à une quarantaine de kilomètres de la centrale. Aujourd’hui, « seuls 10 % souhaitent revenir ». Idem dans la commune de Kawauchi : sur 2.734 habitants, seuls 703 auraient définitivement réintégré leurs foyers, contre 1.870 selon les chiffres officiels. Si les réfugiés de Fukushima rechignent autant à regagner leurs pénates, en particulier les jeunes, c’est qu’ils redoutent la radioactivité et « ont pris goût à la vie en ville », remarque M. Kimura. Mais la fin des aides au logement va lourdement pénaliser ces partisans de l’exil. « Ces personnes qui ne touchent plus d’indemnités et doivent quitter les logements temporaires vont se transformer en une population qui n’a plus d’argent, ne peut plus se nourrir », s’inquiète le professeur.
Les seuils d’exposition « acceptable » à la radioactivité ont été relevés
Quant à celles et ceux qui choisiront, contraints et forcés, de regagner leur commune d’origine, ils devront vivre avec la menace sourde de radiations potentiellement mortelles. Pour gérer la crise, le gouvernement a fortement augmenté le seuil de radioactivité acceptable : entre 20 et 100 millisieverts par an. Or, « ce seuil correspond aux doses recommandées par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) en cas d’urgence, dans une situation post-accidentelle, souligne M. Kimura. Aujourd’hui, six années après, la situation ne relève plus d’un cas d’urgence ! » Les niveaux d’exposition maximum préconisés par le CIPR pour la vie courante en zone contaminée sont plus faibles : entre 1 et 20 millisieverts par an.
Les niveaux de contamination dans les
communes concernées par les retours restent importants. À Iitaté,
M. Kimura a mesuré le rayonnement à 0,66 microsievert par heure, contre
0,04 microsievert avant l’accident. Là où le dosimètre installé par le
gouvernement, planté dans du béton et de la terre décontaminée,
n’affiche « que » 0,53 microsievert...
Que risquent les habitants exposés, jour après jour, à de tels niveaux de radiation ? Le professeur se montre prudent : « Il
faut dix à vingt ans pour mesurer les conséquences d’une telle
exposition, mais on assistera sans doute à une augmentation du nombre de
cancers », sachant que « plus de soixante ans après l’explosion des
bombes de Hiroshima et Nagasaki, on découvre encore de nouvelles
maladies ». Pour l’heure, le gouvernement japonais a lancé un suivi
médical du cancer de la thyroïde chez les moins de 18 ans résidant dans
le département de Fukushima. Selon les chiffres publiés le
27 décembre 2016, 144 cas ont été officiellement confirmés depuis la
catastrophe.
Des territoires désertés, une agriculture détruite
Outre
la radioactivité, d’autres difficultés attendent les revenants. Les
hôpitaux sont vides — le magnifique établissement à 9 millions d’euros
construit à Iitaté pour encourager les candidats au retour ne compte
qu’un seul médecin. L’agriculture locale a particulièrement souffert. À
Shidamyo, « le territoire a été façonné par la culture traditionnelle
du satoyama, des rizières entourées de montagnes et de forêts. L’herbe
des pâturages nourrit le bétail, qui fertilise les rizières dont la
paille nourrit les animaux l’hiver. Mais tout ce cycle a été détruit par
la radioactivité », se désole M. Kimura. En effet, si l’agriculture
est autorisée, sauf dans les zones classées inhabitables, les paysans
peinent à vendre leur production contaminée. « À Kawauchi, un jeune
agriculteur ambitieux a travaillé très dur pour améliorer ses
rendements, mais il n’a pu vendre son riz ni en 2013 ni en 2014, à cause
de la contamination, raconte le professeur. Il a mis fin à ses jours en
2015. Il avait 35 ans. » Son cas est loin d’être isolé : depuis la
catastrophe, le nombre de suicides a explosé chez les habitants et les
réfugiés de Fukushima.
Pourtant, le gouvernement japonais s’entête à vouloir sauver les apparences. « Son
objectif est de généraliser sa politique de retour à l’ensemble des
communes, y compris celles qui sont encore très contaminées, d’ici à
2021, explique Shinzô Kimura. L’idée, c’est qu’il faut absolument éviter
l’image de Tchernobyl à Fukushima. » Mais pour le scientifique, qui arpente depuis six ans les terres dévastées de Fukushima, c’est clair : « Le retour à une vie normale est illusoire. »
Source : reporterre.net Via Le Grand Soir
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