Remarquez, je ne force pas la conversation. J’ai pour principe, avec mes voisins, de n’aborder que les sujets qui rapprochent, les points de convergence. Jamais les sujets qui peuvent fâcher. Je sais d’expérience, pour l’avoir éprouvé maintes fois, qu’aucune discussion politique n’aboutit jamais à une convergence finale des opinions, encore moins à la reddition de l’une d’entre elles aux raisons de celle qui s’avouerait la plus convaincante.
Mais un tel mutisme, tout de même, non jamais je ne l’avais rencontré auparavant. 
Sur le marché du samedi matin, c’est calme plat. À peine quelques mélenchonistes qui discutent surtout entre eux, sans doute plus pour se donner du cœur au ventre que pour convaincre. Et puis, juste une seule fois, deux rombières fillonistes qui distribuaient sans conviction un texte manifestement tapé à la hâte sur une feuille de papier sans en-tête.
Pas vu de socialistes, pas rencontré de macronistes, même pas croisé de lepénistes. Cette présidentielle restera-t-elle comme une guerre exclusive des ondes, opposant la pensée unique des médias officiels aux révoltés des réseaux sociaux ?
Jamais entendu encore, dans mon voisinage, un seul électeur en puissance se réclamer du favori désigné par l’oligarchie, les médias et les instituts de sondages. Rien. Il n’y a que dans mon très proche entourage, amis, famille, que l’on consent à livrer le nom de son élu du 23 avril, et encore du bout des dents sans s’attarder en explications.

Autour de moi, c’est comme si chacun préférait rester sur la réserve, conscient du vide politique dans lequel se retrouve le pays, de la chute des dernières illusions démocratiques, un peu honteux d’être embarqué dans cette pitoyable parodie et redoutant le dénouement.

Le Yéti