François Cocq et Francis Daspe
Ces derniers jours, le débat laïque a de nouveau fait irruption sur
le devant de la scène.
Nous pourrions être tentés de considérer qu’il
s’agit d’une bonne chose tant cette question est restée désespérément
absente de la campagne présidentielle. Il ne faut pourtant pas s’y
tromper. Si la laïcité se retrouve à nouveau au cœur des débats, c’est
pour mieux être instrumentalisée une fois encore par ceux qui s’en
réclament indûment et cherchent à affaiblir la cause qu’ils affectent de
vouloir défendre. Manuel Valls est de ceux-là.
Ainsi, l’ancien Premier ministre s’est-il reconverti en pointe
avancée de la macronie pour lancer l’assaut à l’endroit de Jean-Luc
Mélenchon et de La France insoumise. Le terrain de bataille choisi ? La
laïcité bien sûr. Non que Jean-Luc Mélenchon puisse être taxé d’une
quelconque faiblesse ou complaisance en la matière, Manuel Valls le sait
bien. Jean-Luc Mélenchon est ainsi le seul candidat à avoir signé
durant la présidentielle aux côtés des principaux représentants du camp
laïque L’appel des laïques, pour le respect de la laïcité. Le programme de la France Insoumise est pareillement le seul à proposer à la fois un livret thématique sur la laïcité
dans lequel figurent des propositions de respect et d’extension de la
laïcité avec notamment l’application de la loi de 1905 sur tout le
territoire et donc l’abrogation du concordat en Alsace-Moselle, la fin
du financement public pour l’enseignement confessionnel privé par
l’abrogation de la loi Debré de 1959, le refus des financements publics
pour les constructions d’édifices religieux ou des activités cultuelles,
ou encore le refus définitif du titre de chanoine de Latran pour le
Président de la République.
On peut évidemment comprendre que Manuel Valls ne partage pas ces
orientations, lui qui, contrairement à ce qu’indique l’article 2 de la
loi de 1905, lançait le 2 août 2016 dans Libération « qu’il ne fallait pas interdire une forme de financement public »
concernant les mosquées, lui qui en tant que Premier ministre assistait
le 27 avril 2014 à la canonisation des papes Jean XXIII et Jean-Paul II
au Vatican, lui dont le parti d’alors, le PS, exprimait dans un
communiqué du 26 février 2015 qu’il faut « un développement de l’enseignement privé confessionnel musulman ».
Manuel Valls a beau jeu de dénoncer l’islamo-gauchisme quand les
ramifications de l’affaire Lafarge en Syrie dévoilent chaque jour un peu
plus l’islamo-affairisme qui s’est insinué jusqu’aux plus hautes
sphères du pouvoir alors même qu’il était Premier ministre. Celui-là
préfère la sainte-alliance des libéraux et des communautaristes qui
segmentent et désagrègent de concert, chacun dans leur registre, la
société, l’intérêt général et les principes républicains. Deux faux
universalismes, le marché et la religion, qui procèdent tous deux de
prétendues mains invisibles qui invalident la notion même de raison.
Alors, parce que l’invective vallsiste vise en fin de compte au déni
du débat argumenté fondé sur la Raison, l’ancien Premier ministre
devient l’exécutant idéal pour activer la basse manœuvre politicienne.
La stratégie décomplexée adoptée par Manuel Valls est de nature
orwellienne. Il attaque la France Insoumise, non pas sur un éventuel
point faible, mais au contraire sur un des éléments qui la fonde et lui
est consubstantiel. Le stratagème consiste à brouiller les repères les
mieux établis et les plus indiscutables.
Ce faisant, c’est tout le camp laïque que Manuel Valls fait reculer
sans s’en émouvoir. Quelle drôle d’idée de s’en prendre au mouvement
qui, par la dynamique populaire qu’il est capable de lever, a permis
l’adhésion partagée du grand nombre autour du programme le plus laïque
de la présidentielle, au mouvement qui a permis la fortification d’un
sens commun laïque et républicain, au mouvement qui a permis aux
questions laïques de progresser et d’imprégner plus largement dans la
société. Pendant ce temps, Manuel Valls, déclamait dans L’Express le 23
août 2016 que « l’élection présidentielle va se jouer sur la place de l’islam ». Il
aurait alors fallu débattre du degré d’immixtion du temporel dans le
spirituel comme le préconisait Manuel Valls lorsqu’il considérait qu’« il y a urgence à bâtir un pacte avec l’islam » ?
Faudrait-il au nom de la lutte contre l’islamisme djihadiste, faire
place au sein de la République à l’islam politique ? Non ! L’Etat n’a
pas à répondre au piège qui consiste à participer à la dispute
politico-théologique engagée au sein de l’Islam comme il n’a rien à voir
avec quelque cléricalisme que ce soit, a fortiori lorsqu’il s’agit d’extrêmes-droites religieuses.
La laïcité n’est ni l’œcuménisme, ni la neutralité. Elle n’est ni une
opinion, ni une valeur. C’est un principe d’organisation sociale et
politique, le principe d’organisation qui assure le plus haut degré de
liberté pour tous grâce au fait qu’elle garantit la liberté de
conscience promue dans un Etat de façon universelle (et donc bien
évidemment pour ceux qui pratiquent l’Islam), mais aussi parallèlement
la stricte séparation entre la société civile d’une part et les sphères
de l’autorité politique et de constitution des libertés de l’autre
(école, services publics, protection sociale). Elle stipule l’égalité en
récusant discriminations et inégalités sociales. Elle assure la
fraternité en créant un espace commun par delà les différences. Parce
qu’elle refuse enfin tout préalable religieux pour adhérer à la
communauté politique des citoyens, elle fonde la souveraineté populaire
en indiquant que les Hommes peuvent se gouverner par eux-mêmes de
manière rationnelle et terrestre.
C’est beaucoup, et apparemment trop
pour certains.
Tribune publiée dans Marianne
François Cocq et Francis Daspe sont respectivement président et secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée
François Cocq est par ailleurs co-auteur de La laïcité pour 2017
et au-delà, de l’insoumission à l’émancipation (Eric Jamet éditions,
2016)
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