Jean-Luc Mélenchon
Maintenant je veux parler d’une question qui passe trop souvent
inaperçue dans le champ de nos sujets. Il s’agit de l’eau.
Le cycle de
l’eau est au coeur de tous les processus vitaux de notre écosystème.
Certains savent que l’invariance des formes qui s’observe dans la nature
jusque dans ses détails est directement liée à la part d’eau que chaque
chose contient. Depuis plusieurs années, les équipes avec lesquelles je
milite le plus intensément se sont profondément engagées sur ce front.
Car il s’agit d’un front bien à l’image de notre époque. Le bien commun
et la marchandisation n’y font pas bon ménage, une fois de plus. Mes
lignes sont donc aussi un hommage au travail de nos amis. Des hommes
comme Gabriel Amard ont payé cher leur engagement quand une société
marchande d’eau payait une entreprise pour le dénigrer.
La question est arrivée à l’Assemblée nationale sous la forme d’une
proposition de loi. La semaine passée était examinée en commission des
lois de l’Assemblée nationale un texte sur « la compétence Eau et
Assainissement » des collectivité locales. Elle émane du groupe Les
Républicains ! Faut-il que l’étiquette nous interdise de regarder le
contenu ? Nous avons décidé de partir des faits et des propositions.
Quitte à faire nous-mêmes d’autres propositions. Pour comprendre
l’enjeu, il faut saisir le contexte législatif d’une part et la
situation réelle des gens démunis d’autre part.
Commençons par le contexte. La loi Nouvelle Organisation Territoriale
de la République (NOTRe), votée sous le quinquennat Hollande prévoit
que le pouvoir dans ce domaine soit obligatoirement transférée en 2018
des communes vers les intercommunalités. Cela va dans le sens de la
réforme territoriale menée par Hollande. Elle est très hostile aux
pouvoirs et libertés communales héritées de la grande Révolution qui mit
fin à l’ancien régime féodal. La manœuvre vient de loin. La vision
européenne telle que défendue d’une lettre de mission à l’autre par la
Commission européenne dissout les villes au profit des agglomérations,
structures technocratiques vide de réalité humaine. Elle magnifie aussi
les très grandes régions au détriment du département et même des
anciennes régions à taille humaine.
La proposition de loi de nos adversaires de LR veut revenir sur cette
disposition de la loi NOTRe. Nous aussi. Pour cela et pour ne froisser
personne ils proposent de rendre « facultatif » le transfert de cette
« compétence Eau et Assainissement ». Ce n’est pas follement audacieux
ni suffisant sur le sujet. Mais nous avons décidé de soutenir leur
proposition de loi. Tout en l’amendant.
C’est cohérent avec la conception que nous avons de l’organisation de
la République et la place prépondérante que doivent avoir les communes
dans ce cadre. En l’occurrence, le fait que les communes gèrent la
distribution et l’assainissement de l’eau est un héritage direct de la
Révolution. Cela date de 1790. Cela ne doit pas empêcher, bien sûr, que
les communes puissent se grouper pour gagner en efficacité. Mais à
condition que ce soit sur une base volontaire. En partant de la libre
délibération communale on a plus de chance de voir l’intérêt général
mieux pris en compte. Car un indice doit retenir notre attention. Il
s’avère que dans la situation actuelle, la distribution de l’eau est
plus souvent gérée en régie publique lorsqu’elle se passe au niveau des
communes. Elle est au contraire plus souvent confiée à des
multinationales privées lorsqu’elle est gérée au niveau intercommunal.
Cet échelon plus éloigné présente deux avantages pour les puissances
d’argent. D’abord il est souvent moins exposé au regard des citoyens
usagers que ne l’est celui de la commune. Ensuite, il constitue de plus
grands marchés et donc de plus grandes opportunités de profits. Car, pour
une entreprise comme Véolia, la gestion de l’eau est une activité comme
une autre. Son objectif n’est pas l’eau mais la rémunération des
actionnaires. Ceci explique que le prix soit supérieur pour l’usager
lorsque c’est le privé le gérant. Dans les faits, dans la dernière
décennie passée, toutes les villes qui sont passées d’une gestion privée
à une régie publique ont baissé le prix de l’eau. Ainsi en a-t-il été
de Paris à Castres ou de Rouen à Grenoble. Au total, la gestion en régie
publique est 25% moins chère pour l’usager.
La gestion en régie publique est aussi un meilleur gage de respect du
« droit à l’eau ». L’expression peut surprendre. Car ce droit n’est
toujours pas reconnu explicitement dans le droit français. Pourtant il
est considéré comme un droit fondamental de la personne humaine depuis
une résolution de l’assemblée générale des Nations Unies du 28 juillet
2010. Ne croyons pas que ce droit ait été oublié faute de réalité au
problème qu’il pose ! En effet, jusqu’en 2013, on dénombrait environ 100
000 foyers subissant chaque année des coupures d’eau en raison de
factures impayées. À cette date, une loi est entrée en vigueur pour
interdire cette pratique. Pourtant, les distributeurs d’eau n’ont pas
cessé de couper l’eau, en toute illégalité. Ainsi, la fondation Danielle
Mitterrand, engagée sur ces sujets, a recensé, après la promulgation de
la loi, plus de 1200 témoignages de familles ayant eu à subir de telles
coupures.
Pour que le droit s’applique, il faut bien souvent que les usagers
victimes de ces abus attaquent en justice les distributeurs. 13 actions
en justice ont été intentées et gagnées par la Fondation Danielle
Mitterrand. Une décision du Conseil constitutionnel est intervenue dans
le même sens. Mais les géants du secteur semblent toujours décidés à ne
pas appliquer la loi. Cela s’explique bien sûr par la faiblesse des
montants des amendes qui sont infligées. Il faut en effet comparer leur
montant avec le chiffre d’affaire d’une entreprise comme Véolia qui est
de 25 milliards d’euros ! Ou même avec le salaire annuel de son PDG,
Antoine Frérot, de 1,3 millions d’euros. La Fondation Danielle
Mitterrand rapporte cette phrase d’un représentant du service client
d’une entreprise de distribution d’eau à une personne victime de
coupures d’eau : « nous imposons notre propre loi ». La généralisation
de la gestion publique permettrait d’éviter que des intérêts privés
fassent la loi du fait de leur puissance financière !
Danièle Obono et Ugo Bernalicis ont donc défendu plusieurs
amendements sur ce texte visant à rendre effectif le droit à l’eau. Le
but est de promouvoir sa gestion comme bien commun plutôt que comme
marchandise. C’était le sens du livret thématique de la France insoumise à ce sujet.
Une fois de plus, je veux situer le problème. En France, ce sont 300
000 personnes qui n’ont pas accès à l’eau courante potable. Et deux
millions d’autres sont dans de très grandes difficultés pour payer leurs
factures. L’eau n’est pas un produit que l’on peut décider de rayer de
ses priorités. À 2% de manque on a soif. À 10% on délire. À 12% on
meurt ! Plus globalement, l’ONU évalue à 40 litres la quantité d’eau
dont a besoin une personne pour vivre et assurer sa dignité. Nous avons
donc proposé que ces premiers litres soient rendus totalement gratuits.
Pour cela, il faut supprimer la part fixe du prix de l’eau. Aujourd’hui,
cette part représente environ un tiers du prix. Un tiers du prix qui
reste le même qu’on utilise l’eau pour boire, pour cuisiner, pour se
laver ou pour remplir sa piscine. L’idée défendue par nos députés en
commission des lois est celle d’une tarification progressive de l’eau :
de la gratuité pour les usages vitaux jusqu’à une sur-tarification pour
les usages excessifs.
Dans cette même ligne, ils ont argumenté pour la généralisation d’une
disposition que les communes peuvent utiliser de manière facultative :
la différenciation du prix selon la nature de l’usager. Il s’agit
d’appliquer un barème de prix différent selon que l’usage soit
domestique, public, agricole ou industriel. Ainsi, les mésusages de
l’eau, qui gâchent cette ressource pour des raisons économiques seraient
sanctionnés financièrement. Enfin, garantir le droit à l’eau c’est
s’assurer que les plus démunis de notre société n’en soient jamais
privés. À ce titre, l’installation de toilettes, de fontaines et de
douches publiques et gratuites en nombre suffisant dans toutes les
communes est indispensable.
Tous ces amendements défendus par la France
insoumise furent rejetés par la majorité en commission. Pourquoi ? Qui a
donné mandat aux députés de « La République en Marche » de rejeter
toute avancée d’un droit aussi fondamental ? Que proposent les
macronistes comme alternative aux personnes qui n’ont plus accès à
l’eau ? De s’en passer ? D’en acheter en bouteille ?
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