Jalal Abukhater
Le cycle des nouvelles, les déclarations politiques et les
manifestations autour de Jérusalem au cours des derniers jours se sont
un peu atténuées.
En tant que résident de Jérusalem, je ne ressens pas
la même la colère que celle qui accompagne habituellement ce genre de
cirque médiatique.
Plus tôt cette semaine, les agences de presse ont prophétisé à
l’unisson des émeutes, du sang, une plus grande instabilité régionale ou
même une guerre si Donald Trump annonçait que Jérusalem était la
capitale d’Israël. Globalement, les dirigeants politiques ont exprimé un
sentiment similaire en s’opposant à l’annonce de Trump, avertissant que
cela « plongerait la région dans une nouvelle crise sans fin ».
L’Autorité Palestinienne (AP), rejointe par la plupart des organisations
politiques palestiniennes, a déclaré des « Jours de colère » si Trump
faisait son annonce.
Pour ceux d’entre nous sur le terrain à Jérusalem, cette colère
donnait l’impression d’être fabriquée par le haut. Tout le monde prévoit
que la situation à Jérusalem s’aggravera, comme si nous étions hier
tous d’accord. Cela m’a fait penser à toutes les voix internationales
qui s’expriment, ignorant le plus souvent la réalité violente que les
habitants de Jérusalem subissent quotidiennement dans une ville
qu’Israël a unilatéralement traitée comme sa capitale depuis longtemps.
Les Palestiniens de Jérusalem étouffent, et c’est pourquoi la plupart
d’entre eux ne partagent pas l’inquiétude des autres voix nationales et
internationales. Nous vivons sous le coup d’une violence systématique
et institutionnalisée, dans laquelle nos écoles subissent les gaz
lacrymogènes, les enfants sont arrêtés, les maisons sont démolies, les
quartiers sont négligés, la culture est interdite, et où les « permis de
séjour » sont confisqués à tout moment par les autorités israéliennes
d’occupation.
En juillet, lorsque les autorités israéliennes ont tenté d’imposer
des mesures de sécurité humiliantes aux portes de l’enceinte de la
mosquée Al-Aqsa, les Palestiniens se sont levés pour protester et se
sont organisés du bas vers le haut. La force des protestations bien
organisées et bien soutenues, dépendait purement de la communauté et
refusait les tentatives de récupération de l’Autorité Palestinienne ou
du Waqf Islamique de Jérusalem.
La fin d’une imposture
Au cœur de cette colère fabriquée depuis le haut se trouve une
Autorité palestinienne paniquée qui risque sans aucun doute de voir
s’évanouir son mince voile de légitimité. Ce que Donald Trump a accompli
avec son annonce sur Jérusalem expose au grand jour le « processus de
paix » israélo-palestinien pour ce qu’il est réellement : une imposture.
Dans l’histoire moderne de la Palestine, il n’y a jamais eu de
dirigeants palestiniens plus disposés à faire des compromis pour
parvenir à une sorte d’État palestinien indépendant que cette direction
palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas. Pourtant, malgré tous les
signes de refus de coopération, d’entêtement et de violation continue du
droit international par le gouvernement israélien, le mythe du
« processus de paix » a perduré grâce à l’Autorité palestinienne. Pour
cette dernière, c’est, après tout, la principale raison de son
existence.
Comme le processus de paix échoue, l’Autorité palestinienne perd le
but qui justifie son maintient. Cela crée la panique et explique alors
la nature fabriquée de la vague actuelle de « colère ».
Nous, les Palestiniens, avons mis tous nos œufs dans le même panier, à
savoir le panier américain, malgré tous les signes avant-coureurs nous
déconseillant de le faire. Ce fut un pari mal réfléchi par les
dirigeants, un pari qui clairement s’évapore sous l’administration de
Donald Trump.
Trump n’est pas un homme équilibré, et il n’est pas non plus capable
de prendre la tête d’un problème d’une telle envergure. Les signes sont
là, que ce soit dans la relation chaleureuse de Donald Trump avec
Sheldon Adelson, un milliardaire sympathisant, ou Jared Kushner
accoquiné au plus grand donateur démocrate Haim Saban, qui partagent un
programme similaire sur Israël.
Lors de sa visite à Bethléem en mai dernier, Trump aurait crié à
Abbas : « Vous m’avez trompé à [Washington] DC. Vous avez parlé de votre
engagement pour la paix, mais les Israéliens m’ont montré votre
implication dans l’incitation [contre Israël]. » Pour les Palestiniens,
c’était un drapeau rouge, une preuve de la facilité avec laquelle le
président américain peut être manipulé par Benjamin Netanyahu.
En juillet dernier, lors des manifestations d’Al-Aqsa, j’ai vu des
gens venus de tous les secteurs de la société – musulmans pratiquants,
musulmans non pratiquants et chrétiens – participer directement à la
protestation contre la fermeture d’al-Aqsa. Il y avait un extraordinaire
esprit d’unité parmi les habitants de Jérusalem, et la colère était
vraie, sincère et pleine de vie. Je ne vois pas ce même esprit reflété
dans les manifestations de colère d’aujourd’hui.
L’Autorité palestinienne en panne complète de stratégie
Les appels précipités des dirigeants politiques palestiniens pour des
Jours de colère, des protestations et une Intifada ne sont pas
convaincants. Beaucoup considèrent ces appels comme une tentative de
couvrir l’échec de l’Autorité palestinienne, d’autres y voient une
tentative de ralliement avec la volonté de retrouver une sorte de
légitimité pour justifier son existence.
S’il reste un intérêt pour une solution à deux États en Palestine,
une reconnaissance mondiale – en particulier européenne – d’un État
palestinien sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale
– pourrait être la bouée de sauvetage de l’Autorité palestinienne. Si
cela ne se produit pas, les deux voies restantes sont toutes deux
également sombres.
L’un serait l’acceptation du statu quo, ce qui signifie que les
Palestiniens continuent d’étouffer, de souffrir et de périr sans espoir
d’un changement majeur. L’autre serait l’Autorité palestinienne se
déclarant obsolète et dépassée, laissant la puissance occupante
israélienne pleinement responsable de la population palestinienne
occupée, conformément au droit international.
Nous entrons dans cette « vague de rage » comme des aveugles, avides
de toute lumière à laquelle nous pourrions nous accrocher. Pendant trop
longtemps, nous, les Palestiniens, avons réussi à mettre en valeur des
faits mineurs, à ne considérer que les aspects positifs, et nous nous
sommes permis de rester optimistes.
Aujourd’hui, nous ne savons pas ce
qui va advenir. Nous avons peur et risquons de perdre rapidement espoir.
* Jalal Abukhater
est Jérusalemite. Il est titulaire d’une maîtrise en relations
internationales et en politique de l’Université de Dundee, en Écosse.
10 décembre 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine
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