Léon De Ryel
Depuis la fin du
XIXe siècle, le service public des PTT assurait une égalité de
traitement à tous les citoyens.
Il s’organisait en deux branches. Celui des services postaux : la distribution du courrier, les services financiers, les bureaux de poste, les services communs (administration, télégraphe, services sociaux, garages, ateliers, etc.). Celui des télécommunications : l’entretien et la construction des lignes, les centraux téléphoniques, les services commerciaux, la recherche-développement, la facturation, etc.
Il s’organisait en deux branches. Celui des services postaux : la distribution du courrier, les services financiers, les bureaux de poste, les services communs (administration, télégraphe, services sociaux, garages, ateliers, etc.). Celui des télécommunications : l’entretien et la construction des lignes, les centraux téléphoniques, les services commerciaux, la recherche-développement, la facturation, etc.
Avec ses
17.000 bureaux, La Poste assurait un maillage de proximité des
territoires et une qualité de service appréciée (distribution du
courrier à J + 1, par exemple). Le facteur était le seul représentant de
l’État habilité à passer au quotidien dans tous les foyers, qu’ils
soient agglutinés en centre ville ou isolés sur les crêtes vosgiennes.
En 2005, l’effectif de La Poste comptait 280.000 fonctionnaires. En
2015, ils n’étaient plus que 220.000. En dix ans seulement, ce sont
60.000 emplois qui ont été supprimés, soit une moyenne de 6000 par an…
l’équivalent à deux fermetures d’usines comme Pompey par an !
Jusqu’aux années soixante-dix, la France connaissait un retard à
l’allumage pour développer et démocratiser l’usage du téléphone, par
rapport à la majorité des pays industrialisés. L’armée, l’industrie, la
classe bourgeoise et les bureaux de poste étaient quasiment les seuls à
exploiter un faible réseau interurbain. Puis ce fut le grand boum.
L’État investit dans le réseau, recrute massivement, développe la
formation et la recherche. En quelques années, France Télécom se place
dans l’avant-garde. L’invention du Minitel, dans les années
quatre-vingt, et la perspective de son développement à l’international
amèneront Bill Clinton et les USA à lancer les autoroutes de
l’information : l’Internet, et ainsi à supplanter le Minitel français.
Malgré cela, l’État engrange les bénéfices colossaux de France Telecom.
Ils serviront à éponger la dette du Crédit Lyonnais, à combler le
déficit de La Poste, à financer l’informatique dans les écoles et à
lancer le programme spatial Ariane. Aujourd’hui, ce sont les
actionnaires qui se partagent la manne. Les effectifs grimperont jusqu’à
160.000 fonctionnaires dans les années quatre-vingt-dix. En 2017,
l’opérateur historique France Telecom, devenu Orange, ne compte plus que
96.000 salariés. La purge se poursuit puisqu’il est prévu 30.000
départs d’ici 2020 !
Aujourd’hui, on assiste à une dégradation générale : fermetures
d’établissements, réseaux vétustes, conditions de travail dégradées,
qualité de service en chute libre, dépressions et suicides… Comment en
est-on arrivé là ?
En 1988, François Mitterrand nomme Michel Rocard à la tête d’un
« gouvernement d’ouverture ». Ce dernier se revendique réformiste et
anticommuniste, et s’auto-gratifie de « nouvelle gauche », que nous
qualifierons aujourd’hui d’antichambre au libéralisme. Son ministre des
PTT, Paul Quilès, commande un rapport à Hubert Prévot, en conclusion
d’un grand débat public sur « la nécessaire et indispensable évolution »
du service public des PTT. Sous un vernis de démocratie, il s’agissait
en fait de valider la mise en place de deux entreprises autonomes, sous
le fallacieux argument que la nature de leur activité était trop
différente. Bouffonnerie puisque aujourd’hui la Banque postale vend du
téléphone (SFR) et qu’Orange se lance dans le bancaire (Orange Bank) !
La stratégie de réforme était assez habile. Il s’agissait de rassurer
tous les employés en leur conservant leur statut… enfin aux seuls agents
en place. Une requalification des grades et la mise en place de
nouvelles primes, améliorant légèrement les salaires des agents et
davantage celui des cadres, individualisaient les comportements et
éloignaient d’autant tout mouvement social d’ampleur. Cette rupture,
partagée par la CFDT et le MEDEF, devait être la meilleure façon de « pérenniser le service public » !
Il s’agissait aussi de préparer les deux entreprises dans la
perspective de l’ouverture à la concurrence imposée par l’Union
européenne. Les associations de consommateurs se réjouissaient également
et par avance des bienfaits de la concurrence pour les usagers devenus
clients ! « Cette réforme sera un rempart contre la privatisation ! » :
cette affirmation péremptoire a été prononcée dans les années
quatre-vingt-dix par le secrétaire général de la CFDT PTT, à la suite du
rapport Prévot.
Nul doute qu’au concours national des farces et attrapes, la CFDT de
Nicole Notat, le MEDEF, le gouvernement de « gauche » Mitterrand-Rocard
et les associations de consommateurs se seraient disputé la première
place !
En effet, vingt ans plus tard, comme c’est trop souvent le cas en
politique, aucun bilan n’a été tiré et aucune clause de sauvegarde n’a
été ni prévue ni envisagée. Le résultat de cette « indispensable »
réforme est à mourir de rire tant la farce est grossière. Pour le
Personnel, en sus des 60.000 suppressions d’emploi, ce fut l’apparition
d’un nouveau management à l’américaine, puisque ce sont des
multinationales des USA, comme Proudfoot ou Andersen Consulting, qui
sont venues dans tous les établissements enseigner la « bonne parole ».
Après cette inoculation fort coûteuse, les conséquences sur les agents
n’ont pas tardé : stress permanent, objectifs inatteignables, services
commerciaux à la hausse, restructurations continuelles, mobilités
forcées, changements de métier imposés… qui se traduisirent par un
tsunami de dépressions et des suicides criminels… dont les
« responsables » ne sont toujours pas passés en justice. Le risque est
faible qu’ils encourent de lourdes peines, puisque le système libéral
n’y a pas intérêt.
Soyons objectifs, il y a eu des gagnants à cette privatisation. En
premier, les dirigeants et actionnaires des opérateurs de téléphonie
qui, en spoliant un réseau financé par les contribuables et en revendant
une partie importante d’un patrimoine immobilier public, se sont
enrichis et s’enrichissent encore en peu de temps et sans autres efforts
que de s’assurer que leurs fortunes continuent à progresser quels que
soient les moyens utilisés. Plus surprenant, ce sont aussi les
associations de consommateurs qui connaissent une affluence d’adhésions,
tant les réclamations de services ou de facturations dans le domaine
des télécommunications sont importantes, au point d’en être devenues
l’activité la plus contestée par les consommateurs.
Ce rapide et non exhaustif bilan de la privatisation de l’ancestral
service public des PTT ne sera jamais fait. Les quelques membres de
cette secte internationale capitaliste, qui décident seuls de l’avenir
du monde, verrouillent tous les comptes, étouffent toutes idées
d’intérêt général, s’autoproclament grands gagnants de la lutte des
classes. Toutes idées ou actions de remise en cause sont aussitôt taxées
d’arriérées, de nostalgiques d’un temps révolu, y compris et trop
souvent par celles et ceux qui sont victimes de ces évolutions, de ces
réformes « inévitables » !
Le jeune président de la République, en digne fils de famille, ne
fait rien d’autre que d’utiliser les mêmes ficelles dont se sont servis
ses aînés pour serrer davantage le cou des services publics… jusqu’à ce
que mort s’ensuive ! Il n’est donc pas surprenant d’entendre les mêmes
remarques, les mêmes arguments et les mêmes décisions pour casser la
SNCF. Demain, n’en doutons pas, ce sera le tour des écoles, des
hôpitaux, de la justice, etc... La polémique sur les ordonnances pour
dénoncer l’arbitraire du gouvernement n’est-elle pas qu’un écran de
fumée ? Pour la casse des PTT, il y a eu un grand débat public, une très
large concertation et au final une loi votée par la majorité
parlementaire pour le résultat que l’on sait. Il serait juste et
démocratiquement nécessaire de consulter le peuple pour savoir s’il est
d’accord pour abandonner aux mains de quelques intérêts privés ce bien
public qui lui appartient. Ne rêvons pas, aucun détenteur de pouvoir
électif, et encore moins ce gouvernement, n’y songe un instant tant il
est convaincu soit de détenir la vérité, soit d’être convaincu de faire
le bonheur des gens malgré eux, soit encore il se pense maître du monde
qui l’entoure ou plutôt qu’il domine ! Pour ces gens-là, le récent
référendum suisse sur le devenir de l’audiovisuel n’est pas de nature
osée !
Bis repetita non placent !
Ordonnances ou pas, la défense du
service public ferroviaire ne saurait être le combat que des seuls
cheminots. C’est à nous, citoyennes et citoyens, qu’il revient le devoir
d’entrer en résistance, de nous opposer à l’annexion de l’intérêt
général par quelques dictateurs politico-économiques, collabos des
riches !
Article paru dans RésisteR ! #54, le 10 mars 2018.
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