Claude-Marie Vadrot
Pour le gouvernement, la chute de la biodiversité ne doit pas bouleverser les résultats de la Bourse.
Les automobilistes qui, depuis des années, ne trouvent plus des
dizaines d’insectes écrasés sur leurs pare-brise au terme de leurs
parcours, les conducteurs de la SNCF qui ne voient plus les oiseaux
venir picorer l’avant de leurs motrices parce qu’ils n’y trouvent plus
grand-chose à leur arrivée en gare, auraient dû y penser depuis
longtemps : les insectes et les oiseaux disparaissent de l’espace
français. Les premiers décimés par les insecticides répandus par les
agriculteurs et les millions de citoyens qui brandissent une bombe
insecticides dés qu’ils aperçoivent un minuscule animal volant ou
rampant.
Quant aux oiseaux, qu’ils séjournent toute l’année dans le ciel de
France ou qu’ils reviennent d’une pénible migration, ils ne trouvent
plus grand-chose à se mettre dans le bec. Les hirondelles, par exemple,
qui viennent d’arriver très en retard dans les villes françaises. Des
cités dont les habitants et les maires nettoient frénétiquement les
façades (ça fait sale…) en détruisant les nids abrités sous les toits.
Cela est pourtant interdit par la loi sur la protection de la nature
votée en 1978 et qui les protège, comme 577 autres oiseaux, minuscules
comme le troglodyte, ou superbes comme le vautour fauve qui survole les
Cévennes. Cette loi interdit leur chasse, leur capture et la destruction
de leurs nids.
Oiseaux épuisés
De plus, les dérèglements climatiques perturbent tous les longs
voyages de millions d’oiseaux migrateurs, les insectivores comme les
autres, qui ne trouvent plus rien à manger quand ils parviennent en
France et en Europe, de retour d’Afrique ou de leur hivernage sur les
pourtours de la Méditerranée. D’autant plus que l’agro-industrie, quand
l’un de ses produits mortifères est enfin interdit en Europe, le refile
aux pays du sud.
Mais, comme le dit Nicolas Hulot, que les oiseaux disparaissent, que
des hérissons, des lièvres, des visons d’Europe, des grands hamsters se
fassent de plus en plus rares, tout le monde s’en fout. Et le ministre
devrait se rendre compte que tout son gouvernement s’en fout également.
La chute de la biodiversité ne peut pas bouleverser, en France et
ailleurs, les résultats de la Bourse et des vedettes du CAC 40.
Soudain, tout le monde se réveille parce que des scientifiques
lancent un nouvel avertissement. Comme si, depuis des années et même
depuis que la biologiste américains Rachel Carson a publié son Printemps
silencieux en 1963, tous les scientifiques n’expliquaient pas la
déroute de la biodiversité. Cette déroute affecte tout le vivant, qu’il
s’agisse du monde végétal ou du monde animal, terrestre ou marin.
Dans mon jardin, cela fait plusieurs années que je ne n’aperçois plus
de chardonnerets, que les pinsons ont pratiquement disparus, que les
linottes, les verdiers, les rouges-gorges, les troglodytes, les
rouges-queues, les grimpereaux qui venaient débarrasser un tilleul de
ses larves d’insectes, les grives, les fauvettes, se font de plus en
plus rares. Quant aux moineaux, ils résistent plus efficacement à la
campagne qu’en ville, mais ils sont moins nombreux sur les points de
nourrissage avec lesquels je tente avec plus ou moins de succès, de
sauver les oiseaux en perdition. Et je n’oublie pas les oiseaux
retrouvés morts et les hirondelles qui ont déserté leur nid dans la
grange depuis sept ans…
Plus grand monde au jardin
Chaque année désormais, je découvre des nids abandonnés, avec ou sans
œufs, parce que le couple d’oiseaux a disparu, épuisé par le manque de
nourriture, qu’il s’agisse de graines ou d’insectes. Parce que ces
insectes sont éliminés par les produits répandus sans retenue par des
agriculteurs intensifs et aussi hélas par des jardiniers amateurs ne
supportant pas le vol d’un moucheron ou d’un moustique. Marqueur de
cette disparition organisée par l’homme : la raréfaction des papillons.
Toutes ces bestioles qui, comme les abeilles également éliminées,
contribuent à la pollinisation des arbres fruitiers et de nombreux
légumes. Les insectes sont également décimés par les brusques variations
de températures printanières liées au désordre climatique.
Alors, quand fidèles à leurs habitudes les oiseaux arrivent de leurs
migrations depuis le sud de la France ou des pays d’Afrique, ils doivent
faire face à un manque de nourriture qui les éliminent lorsqu’ils
arrivent dans mon jardin, leurs réserves épuisées par leurs voyages.
Même les plus gros ont du mal à résister aux privations : à la fin du
mois de février, j’ai vu des grues cendrées arrêtées sur un banc de
sable de la Loire, incapables de reprendre leur périple vers le Nord
tant elles étaient épuisées par le manque de nourriture. Même tragédie
pour quelques cigognes privées des mollusques, des petits poissons et
des batraciens qui font leur ordinaire. Car le recul de la biodiversité,
touche également ces petits animaux auxquels nous ne prêtons guère
attention parce que nous ne les voyons pas dans la nature. Quant aux
hérissons ou à la chauve-souris, j’ouvre une bouteille quand j’aperçois
un rescapé : cette année, une pipistrelle a survolé ma maison. Une
seule.
Dans notre univers où la moindre grande surface nous offre des
dizaines de variétés de gâteaux, de nouilles ou de plats cuisinés, tous
plus ou moins nocifs pour notre santé, nous ne prêtons aucune attention à
la chute du nombre des oiseaux assassinés par notre mode de vie et
l’exploitation ou la pollution de notre environnement.
Mais la nature, dans les gouvernements de technocrates qui nous
gouvernent, combien de ministres et de hauts fonctionnaires ont déjà
observé les oiseaux ? Combien connaissent leurs noms et leur mode
d’existence ? Parmi les citoyens des villes combien savent que leurs
modes de vie et de consommation tuent les oiseaux et d’autres espèces
sauvages ? Combien s’indignent du sort des ours blancs, des dauphins,
des baleines ou des requins, en oubliant qu’ils ne constituent qu’une
part infime du vivant dont la planète a besoin.
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