Jean-Claude Delavigne
Au-delà des responsabilités individuelles, le drame d’un système de santé que l’austérité déshumanise.
Le
29 décembre 2017, à Strasbourg, Naomi Musenga, une jeune femme de
22 ans, appelle, angoissée, Police Secours, puis les pompiers. Elle dit
qu’elle va mourir et demande de l’aide. Elle est redirigée vers le SAMU,
où la permanencière, ne prenant pas en compte sa détresse et ses
appels au secours, lui indique sèchement, et en se moquant d’elle, le
téléphone de SOS Médecins. Naomi ne réussit à joindre le numéro que
plusieurs heures plus tard. Finalement transportée par le SAMU aux
urgences, elle décède au CHU.
La révélation, ces derniers jours,
par un journal local, du contenu des appels, a suscité une vague
justifiée d’indignation. La famille a porté plainte pour que les
responsabilités soient établies et pour qu’un tel drame ne se reproduise
pas. Malgré la douleur qui les accable, les parents de Naomi refusent
de faire de la permanencière la seule responsable de cette affaire. « On ne peut pas leur en vouloir [aux opératrices du SAMU et des pompiers]. Si elles ne l’ont pas aidée, c’est dû à des problèmes qui ont eu lieu dans leur structure », a ainsi déclaré son père.
C’est
également sur le contexte de ce drame, les conditions de travail et la
pression qui s’exerce sur les personnels des SAMU qu’insistent les
médecins urgentistes qui ont demandé une rencontre rapide avec la
ministre de la Santé.
Le SAMU : surchauffe et manque de moyens
Les
auxiliaires de régulation médicale, personnels peu formés, sans
qualification, avec souvent un statut précaire, reçoivent tous les
appels arrivant au SAMU. Ils et elles sont supposés les transmettre au
médecin régulateur, chaque fois qu’une décision est nécessaire.
Mais,
comme le soulignent les responsables de l’AMUF, ce protocole est
matériellement irréalisable au SAMU de Strasbourg (comme ailleurs). Il y
arrive 2 000 à 3 000 appels par jour alors que seuls deux médecins
assurent la régulation.
Une marge d’appréciation est donc
inévitablement laissée aux permanenciers dans un contexte généralisé de
sous-effectifs et de forte pression. Elle ouvre la possibilité d’erreurs
ou de dérapages, aux conséquences dramatiques comme ce fut le cas le
29 décembre.
La pression sur les personnels des SAMU s’aggrave
encore lors de la période des fêtes de fin d’année, époque des épidémies
de grippe et de gastro-entérite. C’est aussi le moment où se
multiplient les appels de détresse sociale, de gens qui n’en peuvent
plus, parce que leur vie est trop difficile, même si leur situation ne
relève pas d’une urgence médicale au sens strict.
Or depuis des
années, les moyens des SAMU n’ont pas augmenté, certains services ont
fermé, d’autres ont vu leurs heures d’ouverture réduites, ce qui reporte
les appels sur les services qui restent. Pour limiter les risques de
nouveaux drames, il est urgent de répondre immédiatement aux
revendications des personnels des SAMU concernant les effectifs
d’auxiliaires et de médecins, la qualification, la formation et
l’organisation, alors que des SAMU font grève depuis des mois sur ces
questions.
Déshumanisation du système de santé
Mais
la mort de Naomi est aussi le triste révélateur des carences d’un
système de santé soumis depuis des années aux politiques d’austérité et
de privatisation. Les conséquences en sont la régression de l’accès à
des soins, proches, rapides et gratuits pour toutes et tous.
La
multiplication des appels aux SAMU traduit, par défaut, l’impossibilité
d’un nombre croissant de personnes, pour des raisons financières, de
délais d’attente ou d’éloignement, à faire appel à des professionnels de
santé. Seule cette présence de professionnels sur le terrain, pouvant
être consultés dans le quartier ou au domicile, sans avance de frais,
permettrait d’évaluer une situation, de faire un diagnostic et le cas
échéant d’orienter rapidement vers l’hôpital. Avec la généralisation des
« déserts médicaux », le refus de SOS Médecins d’aller dans bon nombre
de quartiers dits « sensibles », l’appel au SAMU devient le dernier
recours, dans l’urgence, au risque d’une défaillance comme celle qui
s’est produite à Strasbourg.
Or, les mesures que s’apprête à
annoncer le gouvernement vont aggraver la situation : réduction des
effectifs hospitaliers, poursuite de la fermeture des services d’urgence
et des hôpitaux de proximité, basculement des soins courants et du
« premier recours » vers des professionnels libéraux nécessitant
l’avance des soins et pratiquant parfois des dépassements d’honoraires.
En mémoire de Naomi et pour qu’il n’y ait pas d’autre drame, il est plus qu’impératif de combattre cette politique.
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