Régis de Castelnau
Les médias nous ont appris la nomination de François Molins au
parquet de la Cour de cassation et son départ prochain du poste qu’il
occupe encore aujourd’hui, celui de procureur du tribunal de grande
instance de Paris.
Il nous est apparu souhaitable de faire le point dans
la mise à jour de quelques-uns de ses dossiers avant qu’il ne rejoigne
ses nouvelles fonctions.
Pourquoi cette sollicitude ?
Pour une raison très simple. L’annonce
simultanée de sa nomination à la Cour de cassation avec celle du refus
de son parquet de délivrer un réquisitoire supplétif aux juges
d’instruction pour la disparition du coffre-fort d’Alexandre Benalla, a
provoqué dans l’opinion publique une réaction prévisible. « Le procureur de Paris a obéi aux ordres de l’Élysée et sa nomination en est la récompense
». Je ne crois pas une seule seconde à ce scénario, mais cette
interprétation expose une nouvelle fois l’institution judiciaire à une
perte de légitimité difficile à rétablir. C’est d’autant plus sérieux
que, depuis l’arrivée à la présidence de la république d’Emmanuel Macron,
les pouvoirs exécutifs et législatifs ont été complètement
déconsidérés. Un gouvernement composé d’ectoplasmes politiques assume
complètement de ne servir que de relais aux directives de l’Élysée. Et
que dire de cette Assemblée nationale peuplée de sombres et improbables
nullités ? Il serait donc judicieux que l’institution judiciaire,
troisième pilier de nos institutions, restaure une confiance largement
entamée. Le meilleur moyen serait de remplir scrupuleusement sa mission
et notamment en donnant à toutes les affaires invraisemblables apprises
cet été les suites judiciaires qu’elles méritent.
Alexandre Benalla et ses acolytes
À tout seigneur tout déshonneur, commençons par Alexandre Benalla et
ses acolytes. En rappelant encore une fois que le principal d’entre eux
bénéficie d’une immunité pénale pour la durée de son mandat.
Concernant les violences de la place de la Contrescarpe, l’homme de main est poursuivi pour l’instant pour « violences en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité temporaire de travail », « immixtion dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant des actes réservés à l’autorité publique », « port et complicité de port prohibé et sans droit d’insignes réglementés par l’autorité publique », « recel de violation du secret professionnel » et «recel de détournement d’images issues d’un système de vidéo protection». Son complice, Vincent Crase, pour « violence en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité temporaire de travail », « immixtion dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant des actes réservés à l’autorité publique » et « port prohibé d’arme de la catégorie B ».
D’après ce que l’on sait, et comme l’établissent des vidéos qui
circulent, des faits strictement similaires s’étaient produits peu avant
au Jardin des Plantes et ont fait l’objet d’une plainte des victimes.
Les incriminations, en dehors de la question de la violation du secret
professionnel, seront exactement les mêmes. En cumulé, nous arrivons
déjà pour nos deux duettistes, bien sûr présumés innocents, à pas moins
de 16 infractions… Mais il ne faudrait pas oublier la question de la
complicité par fourniture de moyens dont auraient pu se rendre coupables
tous ceux qui ont facilité la commission de ces délits. Notamment un
étrange personnage présent sur tous les coups, le policier Philippe Mizerski.
A priori, celui-ci a apporté son concours à la commission de 15 des 16
infractions. Ce qui positionne l’aiguille du compteur d’infractions sur
31…
Un ban pour les artistes !
Passons maintenant à la chaîne administrative et aux exploits accomplis par ceux qui n’ont rien su refuser au prince. Au sujet de certains des avantages loufoques systématiquement accordés à Benalla, j’avais relevé là aussi l’éventualité de la violation à plusieurs reprises de l’article 432–15
du code pénal relatif au détournement de biens publics. Il y a pour
l’instant trois infractions bien visibles, avec une collection d’auteurs
dans la chaîne administrative. Il y a aussi l’histoire ahurissante de
la violation du secret professionnel par trois hauts gradés de la police
pour permettre à Benalla de préparer sa défense médiatique. Les trois
policiers ont été suspendus et mis en examen, pour deux infractions
distinctes : violation du secret professionnel et détournement d’images
issues d’un système de vidéosurveillance. Mais surtout il y a la suite,
car on voit mal comment la crème des collaborateurs d’Emmanuel Macron
pourrait, elle aussi, échapper aux poursuites. Reportons-nous à l’imprudente interview de Benalla sous magistère de Mimi Marchand
au journal le Monde. Receleur de la violation du secret professionnel
commis par les trois gradés, il encourt les mêmes peines que les auteurs
principaux. Pour se justifier, il a trouvé intelligent de dire la chose
suivante à la journaliste : «« Ce CD, je ne le regarde pas et je le remets à l’Elysée à un conseiller communication
». Ce conseiller sera identifié quelques heures plus tard par BFMTV. Il
s’agit d’Ismaël Emelien. Relancé par les journalistes du Monde sur
l’usage fait de ces images dans la foulée par le service de
communication de l’Elysée, Alexandre Benalla lâche : « Je crois qu’ils ont essayé de la diffuser et de la fournir à des gens, pour montrer la réalité des faits. »
Benalla nous dit benoîtement qu’un proche d’entre les proches du
président a visionné ces images pour qu’elles soient ensuite transmises à
des militants LREM pour les besoins de leur propagande. Absolument
génial ! Une Infraction de recel pour Ismaël et ses collaborateurs, et
une nouvelle fois défaut d’application de l’article 40 avec un refus de
signalement au parquet et de transmission à celui-ci des images. Un ban
pour les artistes ! Compte-tenu du nombre de personnes probablement
impliquées dans cette opération de recel, difficile d’être précis sur le
nombre d’infractions. L’aiguille de notre compteur flirte cependant
avec la zone rouge du surrégime en s’approchant dangereusement du
chiffre de 50 délits !
Des soucis pour le préfet menteur ?
Passons maintenant à ce qui ressemble à des parjures devant les
commissions parlementaires. Il y a les mensonges de Gérard Collomb
prétendant ne pas connaître Benalla, mais plus grave les mensonges du préfet Delpuech
qui a mécaniquement énoncé les éléments de langage fournis par
l’Élysée, mais qui présentaient le défaut d’être contraires à la
réalité. L’on sait que ce genre de mensonges est justiciable des
articles du Code pénal relatifs au faux témoignage, la seule question
qui se pose étant celle du déclenchement de l’action publique et de la
poursuite. Celle-ci appartient normalement au président de la commission
parlementaire au moment de la publication du rapport. À mon sens, la
commission ayant fini en queue de poisson, le parquet retrouve sa
liberté et peut (doit ?) poursuivre les faux témoins.
Égrener cette litanie qui n’est probablement pas exhaustive, n’est
pas vouloir à tout prix la mort des pêcheurs, mais demander que la
justice fasse son travail et la clarté sur ce qui n’est pas loin de là,
une simple « affaire d’été » comme nous l’ont seriné les préposés au
colmatage. Parce qu’il y va de la crédibilité de l’institution
judiciaire qu’il faut mettre à l’abri de l’accusation meurtrière d’être
soumise au pouvoir de l’Élysée.
Pour cela, il faut s’occuper soigneusement de l’affaire Benalla, mais pas seulement.
Marlène Schiappa et l’erreur humaine
Le parquet de Paris devrait se saisir de l’existence des infractions
pénales commises et reconnues (voire revendiquées par Castaner qui n’en
rate pas une) à l’occasion du financement de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron.
C’est la question des ristournes commerciales accordées à la campagne
Macron. Le parquet de Paris devrait évidemment accorder au juge
d’instruction de l’affaire de délit de favoritisme France business/Havas
pour faire la clarté sur la responsabilité de Muriel Pénicaud. Le
parquet de Paris ne devrait pas non plus oublier la pauvre Marlène
Schiappa, qui a laissé utiliser les fichiers et le personnel de son
ministère pour faire la promotion d’un livre qui n’avait rien à voir
avec ses fonctions ministérielles. Édouard Philippe est sorti de sa
léthargie pour nous dire, sans crainte du ridicule, que tout cela
n’était pas grave puisqu’il s’agissait d’une « erreur humaine ».
Magnifique justification que les avocats ne manqueront pas d’utiliser
dans les prétoires à l’appui de leurs demandes d’acquittement « vous
comprenez Monsieur le président, mon client a certes coupé la tête à sa
belle-mère, mais c’était une erreur humaine ». On rappellera simplement
que, soit la ministre l’a demandé et dans ce cas c’est l’article 432–15 du code pénal qui s’applique, soit elle a été négligente et l’a laissé faire, ce sera alors le 432–16.
Il y a sûrement beaucoup d’autres choses, mais on va s’en tenir là
pour ne pas gâcher la fin de vacances de François Molins, en s’adressant
quand même quand même à son collègue du TGI de Nanterre. Pour lui
narrer l’histoire d’un des petits marquis les plus déplaisants de la
macronie. Le député Gabriel Attal, perdant le sens des convenances et de
la décence commune, a trouvé malin, au moment où Benalla se déguisait en
policier, d’enfiler l’uniforme du facteur pour jouer les briseurs de grève. Notre preux législateur a simplement oublié que cette profession est réglementée. Assurant le « service public universel du courrier
» le facteur doit prononcer un serment de respecter le secret
professionnel et d’assurer en toute circonstance le secret des
correspondances. Cette très ancienne obligation relève aujourd’hui du Décret no 93-1229 du 10 novembre 1993. Gabriel Attal a donc commis sans discussion le délit d’usurpation de fonctions prévu et réprimé par l’article 432–12 du Code pénal.
Et exposé par la même, le vrai facteur qu’il prétendait aider, à la
complicité dans la commission de cette infraction puisque celui-ci lui a
remis illégalement une partie de son courrier à distribuer.
Un simple
rappel à la loi après une garde à vue, permettrait de moucher le
morveux, et de lui rappeler ses obligations.
Un moment de détente dans l’exploration du marécage.
PS : Alexis Kohler ne devrait avoir aucun souci pour les histoires de
conflits d’intérêts que des méchantes langues lui reprochent. Le
Parquet National Financier s’est saisi de l’affaire. C’est un passeport
pour la tranquillité, qui devrait lui permettre de préparer
soigneusement la réforme des services de l’Élysée.
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