Gaëtan Pelletier
Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs.
Une
parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un
étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a
besoin. La terre n’est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu’il l’a
conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela
ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le
tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants
tombent dans l’oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le
ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou
les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera
derrière lui qu’un désert.
Je ne sais pas. Nos mœurs sont différentes des vôtres. La vue de vos
villes fait mal aux yeux de l’homme rouge. Mais peut-être est-ce parce
que l’homme rouge est un sauvage et ne comprend pas.
Il n’y a pas d’endroit paisible dans les villes de l’homme blanc. Pas
d’endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps ou le
froissement des ailes d’un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je
suis un sauvage et ne comprends pas. Le vacarme semble seulement
insulter les oreilles. Et quel intérêt y a-t-il à vivre si l’homme ne
peut entendre le cri solitaire de l’engoulevent ou les palabres des
grenouilles autour d’un étang la nuit ? Je suis un homme rouge et ne
comprends pas. L’indien préfère le son doux du vent s’élançant au-dessus
de la face d’un étang, et l’odeur du vent lui-même, lavé par la pluie
de midi ou parfumé par le pin pignon.
L’air est précieux à l’homme rouge, car toutes choses partagent le
même souffle – la bête, l’arbre, l’homme, ils partagent tous le même
souffle. L’homme blanc ne semble pas remarquer l’air qu’il respire.
Comme un homme qui met plusieurs jours à expirer, il est insensible à la
puanteur. Mais si nous vous vendons notre terre, vous devez vous
rappeler que l’air nous est précieux, que l’air partage son esprit avec
tout ce qu’il fait vivre. Le vent qui a donné à notre grand-père son
premier souffle a aussi reçu son dernier soupir. Et si nous vous vendons
notre terre, vous devez la garder à part et la tenir pour sacrée, comme
un endroit ou même l’homme blanc peut aller goûter le vent adouci par
les fleurs des prés.
Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre
? L’idée nous parait étrange. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de
l’air et le miroitement de l’eau, comment est-ce que vous pouvez les
acheter ?
Chaque parcelle de cette terre est sacrée pour mon peuple. Chaque
aiguille de pin luisant, chaque rive sableuse, chaque lambeau de brume
dans les bois sombres, chaque clairière et chaque bourdonnement
d’insecte est sacré dans le souvenir et l’expérience de mon peuple. La
sève qui coule dans les arbres transporte les souvenirs de l’homme
rouge.
Les morts des hommes blancs oublient le pays de leur naissance
lorsqu’ils vont se promener parmi les étoiles. Nos morts n’oublient
jamais cette terre magnifique, car elle est la mère de l’homme rouge.
Nous sommes une partie de la terre, et elle fait partie de nous. Les
fleurs parfumées sont nos sœurs; le cerf, le cheval, le grand aigle, ce
sont nos frères. Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la
chaleur du poney, et l’homme – tous appartiennent à la même famille.
Aussi lorsque le Grand Chef à Washington envoie dire qu’il veut
acheter notre terre, demande-t-il beaucoup de nous. Le Grand Chef envoie
dire qu’il nous réservera un endroit de façon que nous puissions vivre
confortablement entre nous. II sera notre père et nous serons ses
enfants. Nous considérerons donc, votre offre d’acheter notre terre.
Mais ce ne sera pas facile. Car cette terre nous est sacrée.
Cette eau scintillante qui coule dans les ruisseaux et les rivières
n’est pas seulement de l’eau mais le sang de nos ancêtres. Si nous vous
vendons de la terre, vous devez vous rappeler qu’elle est sacrée et que
chaque reflet spectral dans l’eau claire des lacs parle d’événements et
de souvenirs de la vie de mon peuple. Le murmure de l’eau est la voix du
père de mon père.
Les rivières sont nos frères, elles étanchent notre soif. Les
rivières portent nos canoës et nourrissent nos enfants. Si nous vous
vendons notre terre, vous devez désormais vous rappeler, et l’enseigner à
vos enfants, que les rivières sont nos frères et les vôtres, et vous
devez désormais montrer pour les rivières la tendresse que vous
montreriez pour un frère.
Nous considérerons donc votre offre d’acheter notre terre. Mais si
nous décidons de l’accepter, j’y mettrai une condition : l’homme blanc
devra traiter les bêtes de cette terre comme ses frères.
Je suis un sauvage et je ne connais pas d’autre façon de vivre. J’ai
vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par
l’homme blanc qui les avait abattus d’un train qui passait. Je suis un
sauvage et ne comprends pas comment le cheval de fer fumant peut être
plus important que le bison que nous ne tuons que pour subsister.
Qu’est-ce que l’homme sans les bêtes? Si toutes les bêtes
disparaissaient, l’homme mourrait d’une grande solitude de l’esprit. Car
ce qui arrive aux bêtes, arrive bientôt à l’homme. Toutes choses se
tiennent.
Vous devez apprendre à vos enfants que le sol qu’ils foulent est fait
des cendres de nos aïeux. Pour qu’ils respectent la terre, dites à vos
enfants qu’elle est enrichie par les vies de notre race. Enseignez à vos
enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre
mère. Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Si les
hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes.
Nous savons au moins ceci : la terre n’appartient pas à l’homme,
l’homme appartient à la terre. Cela, nous le savons. Toutes choses se
tiennent comme le sang qui unit une même famille. Toutes choses se
tiennent.
Tout ce qui arrive à la terre, arrive aux fils de la terre. Ce n’est
pas l’homme qui a tissé la trame de la vie : il en est seulement un fil.
Tout ce qu’il fait à la trame, il le fait à lui-même.
Même l’homme blanc, dont le Dieu se promène et parle avec lui comme
deux amis ensemble, ne peut être dispensé de la destinée commune. Après
tout, nous sommes peut-être frères. Nous verrons bien. Il y a une chose
que nous savons, et que l’homme blanc découvrira peut-être un jour,
c’est que notre Dieu est le même Dieu. Il se peut que vous pensiez
maintenant le posséder comme vous voulez posséder notre terre, mais vous
ne pouvez pas. Il est le Dieu de l’homme, et sa pitié est égale pour
l’homme rouge et le blanc. Cette terre Lui est précieuse, et nuire à la
terre, c’est accabler de mépris son créateur. Les blancs aussi
disparaîtront ; peut-être plus tôt que toutes les autres tribus.
Contaminez votre lit, et vous suffoquerez une nuit dans vos propres
détritus.
Mais en mourant vous brillerez avec éclat, ardents de la force du
Dieu qui vous a amenés jusqu’à cette terre et qui pour quelque dessein
particulier vous a fait dominer cette terre et l’homme rouge.
Cette
destinée est un mystère pour nous, car nous ne comprenons pas lorsque
les bisons sont tous massacrés, les chevaux sauvages domptés, les coins
secrets de la forêt chargés du fumet de beaucoup d’hommes et la vue des
collines en pleines fleurs ternies par des fils qui parlent. Où est le
hallier ? Disparu. Où est l’aigle ? Disparu. La fin de la vie et le début de la survivance.
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