Stéphane Ortega
Initialement prévu début 2019, le projet de loi sur
la réforme du système de retraite ne sera présenté qu’après les
élections européennes en mai. Le dossier est en effet explosif.
Pour le
moment, le gouvernement consulte les organisations professionnelles,
laisse planer le doute sur le contenu exact du texte, et n’ouvre pas de
négociations. Gilles Oberrieder, conseiller confédéral retraite à la
CGT, décrypte pour nous le nouveau système concocté par l’exécutif.
Le gouvernement annonce une réforme systémique pour les retraites. De quoi s’agit-il ?
Dans ce qui nous est dit, car ce n’est
pas très clair et transparent, l’idée est de transformer tous les
régimes de retraite par annuité, en un système à point. Au lieu de
travailler 43 ans pour avoir une retraite complète, vous cotisez, et
avec ces cotisations, vous achetez un certain nombre de points. La
valeur en euros du point pour le calcul de la pension n’est connue qu’au
moment du départ en retraite. Cette valeur est unique pour la totalité
des régimes de retraite : salariés, agents du public et non-salariés.
Comment cela fonctionne-t-il dans les pays ayant déjà adopté une retraite à points ?
En Allemagne, quand on gagne le salaire moyen, autour de 3300 €, on gagne un point dans l’année. Ce point aujourd’hui permet de recevoir 32 € de retraite mensuelle. La durée légale du travail étant de 45 ans, en multipliant, cela représente 1440 € de retraite. Soit la moitié du salaire, un peu moins même. Aujourd’hui en France, les pensions tournent autour des deux tiers du salaire. Dans le système à point allemand, si une personne gagne les deux tiers du salaire moyen, elle n’a que deux tiers de points pour l’année. Les réformes de ce type dans les autres pays européens (Allemagne, Italie, Suède) ont eu pour effet de faire nettement baisser le niveau de la retraite par rapport au salaire d’activité. Nous avons compris que nous aurions un système approchant.
En quoi cette réforme est-elle différente des précédentes ?
Jusqu’à maintenant, les gouvernements
ont réformé en rendant plus difficile l’accès à une retraite d’un niveau
correct. Ils ont allongé à 43 ans la durée de travail nécessaire pour
avoir une retraite à taux plein et reculé l’âge de départ à 62 ans.
Pourtant, beaucoup de gens ne peuvent pas travailler à partir d’un
certain âge. Ils ont aussi rendu plus longue la plage qui détermine le
salaire pour calculer la retraite. Avant, c’était les 10 meilleures
années, maintenant c’est 25 ans, les deux tiers de la carrière. Cela
rend plus difficile de bénéficier d’une bonne retraite pour tous ceux
qui vivent la précarité, les CDD à répétition, les difficultés à entrer
dans un emploi stable, ou pour beaucoup de femmes qui sont à temps
partiel.
Ces réformes vont avoir un effet
important, mais plus tard. Ce sont les gens qui ont aujourd’hui 30 ou 40
ans qui en subiront les conséquences de la façon la plus forte. Le
conseil d’orientation des retraites fait des projections sur 30 ans et
dit que, sans rien changer, les retraites vont baisser de 20 %. Pas en
valeur absolue, mais par rapport aux salaires des actifs. Nous pensons
que la volonté du gouvernement de faire une réforme systémique,
c’est-à-dire de changer tout le système de retraite en un régime
universel, a pour but de baisser les retraites par rapport aux actifs,
non pas en 20 ou 30 ans, mais en une dizaine d’années. Pour y arriver,
son idée est de passer à une retraite à points de manière à ce que plus
personne ne s’y retrouve.
Pour quelle raison souhaitent-ils baisser les pensions ?
Aujourd’hui, en travaillant plus
longtemps, il est encore possible d’avoir le même niveau de retraite
qu’avant. Là, ce que veut le gouvernement, c’est vraiment baisser la
dépense. Le quasi-gel des pensions en 2019-2020 et l’augmentation non
compensée de la CSG représentent une baisse de 4 % de pouvoir d’achat.
Cela fait quand même de l’argent. Or, les retraites de base représentent
250 milliards chaque année. Si vous faites 4 % d’économie dessus, vous
récupérez une dizaine de milliards. C’est un demi-point de PIB.
La durée moyenne de temps passé à la
retraite aujourd’hui est de 24 ans pour un départ autour de 62 ans. À
partir du moment où il y a plus de retraités et qu’on vit plus
longtemps, il y a besoin de plus de ressources. L’allongement de
l’espérance de vie est d’environ 2 mois par an. Au bout de dix ans, cela
fait 2 ans, et 8 % de dépenses de retraites en plus. L’objectif
poursuivi par le gouvernement est que le temps passé à la retraite
n’augmente pas.
L’idée est probablement de trouver des
mécanismes qui incitent fortement les gens à rester dans l’emploi plutôt
que de partir à 62 ans, qui pourrait rester l’âge de départ. Il nous
semble que l’objectif est d’inciter les gens à partir à 65 ou 67 ans en
donnant des retraites ordinaires basses, tout en en permettant de les
améliorer en restant dans l’emploi le plus longtemps possible.
Faudra-t-il travailler plus longtemps ?
La différence entre une retraite à
points ou une retraite par annuités, c’est que dans une retraite à
points, chaque année de travail compte et augmente le niveau de la
retraite puisqu’on a des points en plus. Dans les régimes par annuités,
quand la durée d’assurance est atteinte, 43 ans de cotisations, cela ne
rapporte pas forcement de travailler plus, même si dans le régime par
annuités existant, il y a un système de surcote. Si les retraites sont
basses, cela incite à travailler plus longtemps. Nous pensons que le
gouvernement veut mettre un niveau de pension ordinaire pas très élevé
et mettre en place un système qui incite fortement les salariés à
continuer à travailler.
En perspective, il y a la volonté de
baisser la part des dépenses publiques pour les retraites dans le PIB.
Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement ne dit pas comment sera
décidée la valeur du point ni quelle pourrait être sa valeur. C’est un
mystère absolu. Si c’est comme en Allemagne, avec le salaire médian
comme référence, quelqu’un au SMIC n’aurait qu’un demi-point par an.
Multiplié par 43 ans, la durée actuelle de cotisation, cela ne ferait
que 21,5 points. Avec un point à 32 € comme en Allemagne, cela donne
688 € de pension par mois. Sur les questions essentielles qui
intéressent les gens : quand est-ce que je pars ? Et avec combien ? Le
gouvernement donnera les réponses à ces interrogations le plus tard
possible.
Il faudra donc travailler plus longtemps, pour gagner autant !
Le problème est que de nombreux
salariés ne peuvent pas rester dans l’emploi. On ne les garde pas ! Nous
avons vu récemment réapparaître la pauvreté parmi ceux qui ne sont ni
en emploi ni en retraite. De plus en plus de seniors sont sans revenus
parce qu’ils sont au chômage non indemnisé. Avec le durcissement des
conditions d’accès à une retraite, ils ne partent pas, car ils auraient
une décote. Ils préfèrent ne pas avoir de ressource pour attendre le bon
moment pour partir. Dans le privé, la moitié des gens qui partent en
retraite ne sont plus dans l’emploi. Il est facile de dire qu’il faut
que les gens travaillent plus longtemps, mais environ la moitié ne le
peuvent pas.
Qui décidera de la valeur du point chaque année ?
Tous les acteurs sont méfiants et craignent que l’État veuille décider seul pour des raisons d’équilibre budgétaire. L’Europe donne aux pays des recommandations. Par exemple celle que les régimes de retraite ne dépassent pas 12 % de la richesse produite. La France est à 14 %. Si la valeur du point est unique et que le gouvernement en décide seul avec la majorité parlementaire, il est beaucoup plus simple de rentrer dans la norme européenne. Cela nous paraît être l’objectif du gouvernement actuel. Il ne s’en cache pas d’ailleurs. Ce qui est certain, c’est que l’on ne nous dit pas comment la valeur du point sera décidée ni quelle pourrait être sa valeur. C’est un mystère absolu.
Il y avait-il d’autres choix pour faire face à l’augmentation du nombre de retraités ?
Effectivement, il y a plus de retraités
et nous vivons plus longtemps. Il y avait trois solutions. Faire en
sorte d’avoir plus de ressources : qu’il y ait plus d’emploi, plus de
cotisations, moins de chômage. Ce n’est pas ce qui a été choisi. Une
autre solution : augmenter les cotisations de retraites. Ce n’est pas ce
qui a été prioritairement choisi, elles ont augmenté, mais peu. Ou
encore, faire en sorte que les gens ne puissent pas profiter, sur leur
retraite, de l’allongement de la durée de vie. Déjà, entre 2000 et
maintenant, il y a eu un décalage de l’âge de départ qui correspond à
l’allongement de la durée de vie sur cette période.
Le système à points est un changement de modèle et de philosophie. Est-ce la fin de la protection sociale ?
Ce n’est pas la fin de la protection sociale, mais ce n’est plus la même. La sécurité sociale est un système assurantiel qui est collectif. Nous donnons plus à ceux
qui ont moins du fait des aléas, de la maladie, de la précarité, des
difficultés dans l’emploi, du temps partiel contraint. C’est une
assurance qui redistribue de ceux qui ont plus, vers ceux qui ont moins,
mais qui donne à tout le monde.
Dans le système par points il n’y a
plus de durée d’assurance requise. On travaille, on gagne de l’argent,
on achète des points. Si nous gagnons moins, que nous sommes au chômage,
nous n’achetons plus de points. Il n’est plus tenu compte des aléas de
carrière. Aujourd’hui, dans le privé, un trimestre est validé avec 150
heures de SMIC sur trois mois. Ainsi, une caissière à mi-temps a quand
même une année complète pour ses droits à la retraite. Cela compense la
précarité. La retraite est calculée sur les 25 meilleures années. Avec
le système à point cela n’est plus possible.
Si vous travaillez 40 ans, ce sont tout vos salaires sur 40 ans qui sont pris en compte, les bonnes et les mauvaises années. Dans un régime par annuité, seuls les meilleurs salaires comptent, ce qui permet le plus souvent d’éliminer les années difficiles d’insertion dans l’emploi ou de CDD.
Cette réforme va d’abord baisser
la retraite des femmes, qui sont plus souvent à temps partiel, et de
ceux qui ont eu le plus de difficultés à entrer dans l’emploi,
c’est-à-dire les jeunes.
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