Alex Lantier
Lundi, moins d’une semaine après avoir provoqué le dégoût des
travailleurs en France et au-delà en louant le dictateur et
collaborateur nazi Philippe Pétain, le président français Emmanuel
Macron a tenu des réunions avec Facebook pour planifier la censure des
réseaux sociaux en France.
Lors d’un Forum officiel sur la
gouvernance de l’Internet organisé par l’UNESCO à Paris, Macron a
déclaré que le monde était au bord de la catastrophe à cause de
l’exercice de la liberté d’expression sur Internet. Alors que l’Internet
était à l’origine de « formidables opportunités », a-t-il déclaré, il
commençait aussi maintenant « à être décrit par certains comme une menace
pour nos sociétés démocratiques ».
Macron a dénoncé « l’anonymat »
en ligne, avertissant que l’« Internet [était] utilisé dans nos
démocraties par des régimes totalitaires pour nous déstabiliser ». Il a
appelé la France à trouver une troisième voie entre un « Internet
californien » soi-disant non censuré et un « Internet chinois » fortement
censuré.
En conséquence, pendant six mois à compter du début de
2019, les responsables français doivent mettre en place un programme
commun avec Facebook leur donnant accès aux outils utilisés par Facebook
pour censurer les discours « racistes, antisémites, homophobes ou
sexistes ». Macron a ajouté: « C’est une première. Et une démarche
expérimentale très innovante, qui illustre la méthode coopérative que je
prône ».
Ce programme est un assaut fondamental contre les droits
démocratiques. La campagne de censure de l’internet menée par Macron ne
vise pas la menace posée par des ennemis totalitaires étrangers ou des
discours de haine de l’extrême droite, mais l’opposition politique
intérieure de gauche en général et le « World Socialist Web Site » en
particulier.
La présentation de Macron est un tissu de mensonges
d’un bout à l’autre et vise à fournir une couverture pseudo-démocratique
à la construction d’un régime de censure d’État policier. Ce processus
est bien engagé en Europe comme aux États-Unis où les grandes
entreprises de technologie ont des milliers d’employés pour censurer
Internet. L’Internet « californien », présenté par Macron comme un
terrible modèle de liberté d’expression, est en réalité géré par une
poignée de puissantes sociétés appliquant une censure de masse.
« [Facebook]
accueillera prochainement une délégation de régulateurs français [qui]
auront pour mission, avec les experts [de Facebook de] faire des
recommandations conjointes précises, concrètes, sur la lutte contre les
contenus haineux et offensifs », a déclaré Macron.
Une dizaine
d’individus anonymes, travaillant pour Facebook ou pour le gouvernement
français, géreront apparemment ce programme de censure sans contrôle
public ni communication sur les contenus qu’ils enlèvent des médias
sociaux. Leur pouvoir d'éliminer des contenus qui pourraient selon eux
être considérés comme «haineux et offensants» revient à un permis de
supprimer pratiquement tout contenu politique. Cela constitue une
atteinte flagrante à la liberté d'expression.
Le Monde a
indiqué que la présidence française avait également contacté Google, et
demandé un accès similaire aux outils utilisés par lui pour censurer les
résultats de recherche sur Internet. L’Élysée a déclaré qu’il
s’agissait d’un moyen pour les entreprises de technologie d’« attester ou
non si l’entreprise est de bonne foi et fait les efforts nécessaires »
pour supprimer le contenu auquel objecte l’État français. Google a
jusqu’à présent refusé de développer une collaboration avec les censeurs
étatiques français.
Mais Macron restait déterminé : « Il y aura,
inévitablement, plus de réglementation à l’avenir », a-t-il déclaré lors
du forum de lundi, ajoutant : « Ce n’est pas aux grandes plate-formes de
fixer la doctrine sur la haine ou la liberté d’expression... Mais il
nous faut sortir du statut binaire d’éditeur (à forte responsabilité
juridique) et d’hébergeur (à faible responsabilité juridique, celui de
YouTube ou Facebook). Les grandes plate-formes ne peuvent pas être
exonérées de toute responsabilité. Ces plate-formes doivent assumer des
obligations renforcées, par le statut d’accélérateur de contenus ».
La
tentative de faire passer la censure pour une défense vis-à-vis
d’ennemis totalitaires étrangers, faisant écho à la dénonciation par de
Gaulle des masses de travailleurs communistes en grève comme des outils
du Kremlin durant la grève générale de mai-juin 1968, il y a 50 ans, est
une fraude politique. De même pour la tentative de Macron qui a
récemment honoré Pétain, l’antisémite génocidaire, de présenter sa
censure comme due au fait qu’une lutte contre le racisme lui tenait
profondément à cœur.
En Europe comme aux États-Unis, où la censure
massive sur Facebook et Google a débuté l’année dernière, la cible est
l’opposition croissante de la classe ouvrière internationale qui
s’oppose de plus en plus à la politique d’austérité et de militarisme
mise en œuvre depuis des décennies.
Lors d’une audition du Congrès
l’an dernier appelant à la censure de l’Internet Clint Watts, un ancien
responsable du FBI, a déclaré : « Les guerres civiles ne commencent pas
par des coups de feu, elles commencent par des mots. La guerre de
l’Amérique avec elle-même a déjà commencé. Nous devons tous agir dès
maintenant sur le champ de bataille des médias sociaux pour réprimer les
rébellions de l’information qui peuvent rapidement conduire à des
affrontements violents et nous transformer facilement en États divisés
d’Amérique. [...] Un arrêt du barrage d'artillerie de la fausse
information qui atterrit sur les usagers des réseaux sociaux ne se fera
que lorsque les sources distribuant des histoires factices seront
réduites au silence...»
Il est largement reconnu dans les milieux
officiels français que la censure vise les opposants de gauche. En
janvier 2018, Pierre Rimbert écrivait dans Le Monde diplomatique
à propos de la promesse du directeur général de Google, Eric Schmidt,
de rétrograder les médias publics russes dans les résultats de
recherche. Notant les analyses du WSWS sur l’impact de cette censure sur
le lectorat des sites Web anti-guerre, il a demandé si la censure sur
Internet tuait le pluralisme au nom d’une meilleure information du
public.
Il écrivait : « Mais comment séparer automatiquement le bon
grain de l’ivraie ? ‘Dans un communiqué publié le 25 avril, M. Ben
Gomes, vice-président de l’ingénierie de Google, a déclaré que la
nouvelle version du moteur de recherche rétrograderait les sites
‘offensants’, et ferait remonter plus de ‘contenus faisant autorité’,
écrivent Andre Damon et David North, du World Socialist Web Site
(wsws.org, 2 août 2017). Aidé d’une société d’analyse de référencement,
ce site trotskiste a mesuré les effets du nouvel algorithme qui, par
défaut, présuppose les médias dominants fiables et la presse alternative
louche. ‘On observe une perte importante de lectorat des sites
socialistes, anti-guerre et progressistes au cours des trois derniers
mois, avec une diminution cumulée de 45 pour cent du trafic en
provenance de Google.’»
Cette censure est continuellement
intensifiée. Coïncidence ou pas, alors que Macron annonçait lundi son
plan de censure sur Facebook, Facebook supprimait un article du WSWS des
réseaux sociaux, affirmant que celui-ci contrevenait aux ‘normes
communautaires’.
Macron lance son programme de censure alors que
sa cote d’approbation s’effondre pour atteindre un creux historique de
21 pour cent. Universellement vilipendé dans la classe ouvrière comme
« président des riches », son gouvernement est aux alertes face à la
protestation massive et au blocus des villes françaises prévus par des
chauffeurs routiers et des automobilistes le 17 novembre pour s’opposer à
une proposition de taxe régressive sur l’essence. Cinquante ans après
la grève générale de mai-juin 1968, la France et l’Europe sont au bord
d’une explosion révolutionnaire.
Dans ces conditions, certains
médias demandent à l’État de censurer les expressions d’opposition à
Macron. Dans un article remarquable, La Voix du Nord dénonçait ses propres lecteurs, se vantant de censurer leurs commentaires en ligne sur sa couverture de Macron.
«Ainsi,
sous chaque article lié à son itinérance mémorielle dans la région,
nous avons supprimé des dizaines de commentaires et d’insultes sur ce
président que vous estimez ‘loin des Français’, ‘ne favorisant que les
riches’.... le niveau de violence atteint ces derniers jours concernant
le président est sans pareil. Chacun de ses actes engendre sur nos
réseaux sociaux des centaines de commentaires, d’appels à la haine et à
la violence. Sans oublier les nombreux messages particulièrement
violents et sexistes qui ont suivi la publication de l’article sur le
décès du frère aîné de Brigitte Macron. ».
La critique de Macron
et de gouvernements similaires n’est pas l’expression d’une dangereuse
subversion totalitaire étrangère, mais de la colère sociale légitime et
croissante dans la classe ouvrière.
Dans la mesure où l’État français
considère que son objectif est de supprimer la colère sociale et la
lutte de classe par le moyen de la censure et de l’état d’urgence, il
s’engagera dans la voie du type de régime dirigé par le héros militaire
de Macron, Philippe Pétain.
(Article paru d’abord en anglais le 14 novembre 2018)
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