mercredi 22 mai 2024

Mort du président iranien Ebrahim Raïssi : une nouvelle secousse pour un pouvoir fragile

Enzo Tresso

Lundi matin, les médias iraniens ont annoncé la mort du président iranien Ebrahim Raïssi lors du crash de son hélicoptère, après une visite en Azerbaïdjan, dans des conditions troubles. Si sa mort n’aura que peu de conséquences sur la structure du pouvoir iranien, les élections à venir pourraient accentuer la délégitimation du régime.

Après avoir annoncé que l’hélicoptère du président iranien Ebrahim Raïssi avait connu un « atterrissage brutal », dimanche, les médias iraniens ont confirmé, ce matin, que l’appareil s’était craché après des recherches que les conditions météorologiques et géographiques avaient rendues ardues. Aucun des passagers de l’appareil n’a survécu, le crash tuant le Président iranien, le ministre des Affaires étrangères, Houssein Amir-Abdollahian, le gouverneur de la province de l’Azerbaïdjan oriental, Malek Rahmati, et l’ayatollah Mohammad Ali Ale-Hashem. Si les causes de l’accident sont encore inconnues, la mort du président iranien intervient dans un contexte particulièrement tendu, tant à l’intérieur des frontières du régime, qui connait une crise politique d’ampleur et une situation économique très alarmante, qu’à l’échelle régionale, alors que les tensions entre l’Iran et Israël ont été gelées à un niveau inédit d’intensité, après l’attaque du 13 avril conduite par l’Iran et la contre-riposte menée par Israël quelques jours plus tard.

Alors que le président rendait visite au président azerbaïdjanais, Ilhan Aliev, au sujet de la construction d’un barrage, les soupçons pèsent sur Bakou, allié historique de l’Etat israélien, qui l’approvisionne en armes en l’échange de produits gaziers et qui lui a offert, à de multiples reprises, des points d’accès au territoire iranien. Tandis que la situation régionale demeure très instable, que les affrontements se multiplient à la frontière libano-israélienne et que le spectre d’une invasion terrestre de Rafah se fait plus menaçant que jamais, la mort du président iranien menace de déstabiliser encore davantage les équilibres régionaux. Si la thèse d’un accident demeure pour l’heure l’hypothèse la plus probable, l’implication de l’Azerbaïdjan ou d’Israël dans le crash pourrait, si elle était avérée, déclencher une guerre régionale sans précédent dans la région et ruinerait les efforts des Etats-Unis qui tentent d’obtenir de l’Iran et des composantes de l’axe de la résistance qui sont sous son hégémonie directe en Irak et au Liban qu’ils se retirent du conflit.

Sur le plan intérieur, la mort du président ne devrait cependant pas bouleverser la situation du régime. Homme de paille, le président Raïssi n’avait qu’un pouvoir limité et demeurait sous la tutelle implacable du Guide Khamenei dont le secrétariat a étendu son domaine de compétence à la quasi-totalité des institutions politiques du pays, comme le souligne Ali Avez : « La différence entre l’ayatollah Khomeini et Khamenei est que Khomeini avait délégué d’énormes pouvoirs à ses subordonnés. Hachemi Rafsandjani était le président du Parlement et le numéro deux du pays. Ali Khamenei était Président de la République. Le fils de Khomeini avait également une grande influence. Personne dans l’entourage de l’ayatollah Khamenei ne bénéficie d’un tel statut et d’une telle expérience. Ebrahim Raïsi, l’actuel Président de la République, n’est même pas pris au sérieux par son propre cabinet. Il n’y a vraiment personne qui puisse venir combler le vide lorsque l’Ayatollah Khamenei ne sera plus là » [1]. Alors que la mainmise du Sepah s’est considérablement élargie et que l’extension du pouvoir de Khamenei a transformé les institutions de la constitution de 1979 en instances fantomatiques, la disparition du président n’aura que peu d’influence sur le pouvoir iranien, concentré dans les mains d’une fraction extrêmement réduite des élites iraniennes. Si Raïssi était pressenti pour remplacer le guide suprême, à sa mort, le secrétariat de l’ayatollah et la bureaucratie pasdare trouveront un remplaçant tout aussi docile pour conforter leurs positions et maintenir leur contrôle sur le pays. La mort du président impose cependant aux élites iraniennes de procéder à de nouvelles élections afin de maintenir vivante l’illusion presque complètement défaite de la légitimité constitutionnelle du pouvoir iranien. Alors que le taux de participation ne cesse de chuter à chaque élection, la participation populaire aux élections présidentielles pourrait atteindre des niveaux historiquement bas. Ces nouvelles élections pourraient ainsi approfondir la crise que traverse le pouvoir tandis que le taux de participation risque de descendre en dessous de celui des dernières élections présidentielles en 2021 où seulement 48% de la population s’était déplacé aux urnes. Cette nouvelle consultation populaire pourrait ainsi offrir une opportunité aux opposants politiques du régime pour s’exprimer.

Si la mort du président iranien n’aura que peu d’impact sur la structure du pouvoir d’Etat iranien, la convocation de nouvelles élections pourraient aiguillonner la contestation interne et accentuer la délégimitation massive des institutions. Bien que les conditions troubles de l’accident exigent de se montrer prudent quant aux conséquences extérieures du décès du président...

... l’implication hypothétique d’un Etat étranger pourrait à nouveau menacer de jeter la région sur les rails de la guerre et de dégeler l’équilibre précaire que le jeu des ripostes et des contre-ripostes avait porté à un niveau d’instabilité inquiétant.

[1Pierre Ramond, « Le futur d’une ambition : géopolitique de l’Iran dans l’ère post-Khamenei, une conversation avec Ali Vaez », Le Grand Continent, 26 février 2024, lire ici.

Révolution Permanente

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