mercredi 10 juin 2009

Jules Supervielle

« Pour affronter le ciel il me faut un visage
Qui ne ressemble au mien que par le vif des yeux
Et pour gravir la nuit j’ai besoin de ce bleu... »


Jules Supervielle
(Uruguay 1894 - France 1960)


« Au soleil »

© Œuvre de Lucio Fontana
Il ne s'agit pas d'être le feu, mais de se faire un peu de feu
Quand on a froid et que l'humide veut régner sur nous peu à peu,
II ne s'agit pas d'aller toujours sur une grand-route prévue
Mais de pouvoir flâner un peu comme fait même l'âne qui broute,
II ne s'agit pas d'être partout mais de choisir un petit coin,
Appelez-le arbre, maison ou femme ou bien morceau de pain,
Un jour je t'expliquerai ce que sont le ciel, les étoiles
Et ce que tu es toi-même, avec ton or innocent,
Je te ferai quelques croquis sur le tableau noir de la nuit,
Mais si tu veux y voir clair, il faut venir tous feux éteints.


« L'ironie »

Quand il me faut affronter le péril
D'être tout seul dans ta fosse, insomnie,
Et que je trouve une chère ironie
Au fond de moi, qui ne veut pas mourir,
Comment ne pas dire mais c'est bien elle
Qui me retient en foi de Supervielle,
Et faut-il donc toujours la maltraiter
Ou la chasser au lieu de la goûter.
Malheur à nous qui ne savons sourire

Et ne pouvons emprunter qu'au délire.
Dieu ne peut-il reconnaître un poète
Que seulement s'il lui tourne la tête ?
0 ma raison, sois donc mon oraison
Et laisse-moi te demander pardon
D'avoir souvent caressé la folie
Comme une amie.
Mais, ô raison, n'es-tu pas déraison
Qui dans mon crâne aurait changé de nom
Et n'est-ce pas l'acide du mystère
Qui me retient chancelant sur la terre
Par son poison ?


Le visage

Pour affronter le ciel il me faut un visage
Qui ne ressemble au mien que par le vif des yeux
Et pour gravir la nuit j’ai besoin de ce bleu,
Ce souvenir du jour et de ma mère sage
Blottie entre mes cils avec tant de pudeur
Que nul ne pense à moi en voyant leur couleur.
Elle sait être moi avec tant de patience
Qu’elle aime à se confondre avec mon ignorance
Et l’on ne songe pas que je ne suis pas seul
A vouloir m’élancer au puits sans fond du ciel.
Pardon de n’avoir su, ô douce ressemblance,
Imiter ta pudeur ni garder ton silence.


Quelqu’un

A pas subtils quelqu'un vient s'établir chez moi,
Il n'a pas de visage ni corps ni mains ni doigts
Mais il a beau être fluide il vient prendre possession
Et il plante là sa tente comme s'il avait un corps.
Il s'installe sans aucun droit de propriété

Ne faisant même pas attention à moi
Il fait comme chez lui et il me faut rester coi.
Le voilà qui s'empare de ma gorge et d'un genou
Me regardant dans les yeux pour savoir ce que j'en pense
Puis se détourne de moi. Tout est affaire de silence.
Vous vous y ferez, les mots c'est encore de la révolte
Quand celle-ci est dominée vous n'avez plus besoin de l'escorte
Du vocabulaire rampant
Et cependant
Le ciel est là qui cherche ses montagnes,
Et les monts cherchent la vallée,
La vallée près d'être en allée
Se ranime dans la campagne
Et devient à son tour montagne.
Le ciel cherche d'autres vallées.


Quand le cerveau gît…

Quand le cerveau gît dans sa grotte
Où chauve-sourient les pensées
Et que les désirs pris en faute
Fourmillent, noirs de déplaisir,
Quand les chats vous hantent, vous hantent
Jusqu'à devenir chats-huants,
Que nos plus petits éléphants
Grandissent pour notre épouvante,
0 bestiaire malfaisant
Et qui s'accroît chemin faisant,
Bestiaire fait de bonnes bêtes
Qui nous paraissaient familières
Et qui tout d'un coup vous sécrètent
Un univers si violent
Que, le temps de le reconnaître,
Nous n'en sommes déjà plus maîtres.
Il nous fige et va galopant
Autour de nous dans tous les sens
Ainsi qu'une aveugle tempête
Qui ne se trouve qu’en courant.


« Dieu parle à l'homme »

Quand je dis « mes bras » ne va pas croire
Que ce sont des bras comme les tiens,
Quand je dis « mes yeux » comprends que rien
Ni autour de toi, ni ta mémoire
Ne t'en révèle un seul regard.
Je me sers des mots qui sont à toi.

Si tu ne me saisis pas bien
Restons taciturnes ensemble.
Que mon secret touche le tien,
Que ton silence me ressemble.


Fugitive naissance

Où rien n'était qu'un peu de rose habituel
Mais toujours sur le bord du vertige qui ose,
S'agitant tout d'un coup sous l'immobile ciel
Un enfant se forma dans les ombres moroses.

Ses petits poings serrés sur un restant de nuit,
Les yeux clos pour mieux consentir à la lumière,
Nu sous les lances du soleil et sous ses pierres
Il n'a pour bouclier que le duvet des fruits.

Une longue lionne à la langue qui luit
Et s'approche, s'en vient lui lécher la paupière,
Son poil est radieux où des comètes fuient
Sans fin sous le regard pour toujours se refaire.

L'enfant ouvre les yeux, hasarde leurs pinceaux
Sur ce corps frémissant de bête fabuleuse,
Puis rassemblant les rais des rétines peureuses
S'esquive en un sommeil qui l'efface à nouveau.

Et la bête léchant ce vide qui respire
Se fige et tarde à se changer en souvenir.


Des cierges, entrecroisés
Comme brûlantes épées,
Des gouttes de sang tombaient
Sur le carrelage de glace.
Des chevaliers noirs et rouges
Se taisaient dans tous les coins.
On entendait les pensées
Leur grignoter la cervelle.
L'église sentait le foin
Et la campagne l'encens.
Les gens se trompaient de porte
Parfois même de visage.
On vit venir un vieillard
Sur un corps de demoiselle,
Tête et corps faisaient du zèle
Tirant à hue et à dia.
Puis une petite pluie
Doucement vint à tomber
Couleurs et bruits effaçant.
Et je restais interdit
Comme un coquillage gris
Déserté par l'océan
Et dont le silence et l'âge
Bourdonnaient seuls sur la plage.


« Le hors-venu »

D'où venez-vous ainsi couvert de précipices
Avec plus de ravins que chaîne de montagnes ?
Qui vous approche sent qu'un vertige le gagne
Que, du haut de votre altitude abrupte, il glisse,
Vous qui sortez vivant de la géologie
Comme d'un cauchemar de grottes et de strates,
Allant du rose exsangue à la plus pure écarlate,
Dans l’éboulis de vos roches mal assagies.
Venez, asseyez-vous du côté de la plaine
Et regardez monter une lune sereine !
Au sortir de la nuit, buvez ce verre d'eau,
Il fait sourdre la vie et ferme les tombeaux.
Des oiseaux mieux qu'oiseaux émanent des buissons
Pour aller au-devant de leurs claires chansons.
Reconnaissez-vous là les signes et les mythes
De ce qui espérait en vous, dans l'insolite ?
La brise sentez-vous de la métamorphose
Ouvrant la fleur secrète et délaissant la rose ?


Hermétisme

À Torres García.

Le secret au bord des lèvres
Semble dépasser un peu,
Émergeant de ses ténèbres
Il goûte à l'air du ciel bleu.

Pris de peur sous la lumière
Il ne sait plus où aller,
Il retourne à son repaire
Le cœur, et le fait trembler.

Là, sans honte d'être à nu
Il se fait bercer et plaindre,
Ne cherchez pas à l'atteindre,
Il ne vous appartient plus.


Prière a L’inconnu

Voilà que je me surprends à t'adresser la parole,
Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes
Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotâtes.
Je regarde les autels, la voûte de ta maison,
Comme qui dit simplement : voilà du bois, de la pierre,
Voilà des colonnes romanes.
Il manque le nez à ce saint.
Et au-dedans comme au-dehors, il y a la détresse humaine.
Je baisse les yeux sans pouvoir m'agenouiller pendant la messe,
Comme si je laissais passer l'orage au-dessus de ma tête.
Et je ne puis m'empêcher de penser à autre chose.
Hélas ! J’aurai passé ma vie à penser à autre chose.
Cette autre chose, c'est encore moi.
C'est peut-être mon vrai moi-même.
C'est là que je me réfugie.
C'est peut-être là que tu es.
Je n'aurai jamais vécu que dans ces lointains attirants.
Le moment présent est un cadeau dont je n'ai pas su profiter.
Je n'en connais pas bien l'usage.
Je le tourne dans tous les sens,
Sans savoir faire marcher sa mécanique difficile.

Extrait de « La Fable du Monde »


* * *


«…aquí en la tierra te soñaba, pero en el aire me maravillas…»


Jules Supervielle
(Uruguay 1894 – Francia 1960)

© Œuvre de Lucio Fontana
Un poeta

Yo no voy siempre al fondo de mí mismo
Y arrastro conmigo a más de un ser viviente.
¿Es que quienes entraron en mis frías cavernas
creen poder salir tan sólo por un rato?
Yo, en mis noches, como un buque que se hunde,
Amontono en desorden marinos y pasaje
Y apago en las cabinas la luz ante los ojos,
Me hago amigos en las grandes profundidades.
De «Les Amis inconnus», 1934


Profecía

Un día llegará en que la Tierra tan sólo
Será un espacio ciego dando vueltas
Y en confusión de luces y de sombras
Bajo el inmenso cielo de los Andes
La Tierra ya no tendrá sus montañas,
Ni siquiera un modelo barranco.

De todas las casas del mundo
No quedará más que un balcón
Y del humano mapamundi
Una tristeza destechada.

¿Y del muerto océano Atlántico?
Un poco de sabor salado en el aire,
Un pez volador y mágico
Que de la mar no sabrá nada.

Y de un cupé 1905
(¡Con cuatro ruedas y ningún camino!)
Pues sólo tres muchachas de aquel tiempo,
Conservadas en estado de vapor
Y que por la ventanilla mirarán
Pensando que París no está ya lejos
Y que no notarán aquel olor
Del cielo que se aferra a la garganta.

Y ahí en donde un bosque había
Se alzará un canto de pájaro
Que nadie podrá situar,
Ni preferir ni escucharlo,
Sino Dios, que al escucharlo
Dirá: “Es un jilguero”


El mar

Es todo lo que hubiésemos querido hacer y que nunca hicimos,
Es el haber querido tomar la palabra y el no haber hallado las palabras que
necesarias eran,
Todo lo que nos ha abandonado sin decirnos nada su secreto,
Es eso que podemos tocar y hasta ahondar con hierros pero sin llegar a
alcanzarlo,
Es lo que se volvió olas y más olas porque se busca y no se encuentra,
Es lo que para no morirse del todo se transformé en espuma,
Es lo que se hizo estela de algunos segundos por amor hondo de lo eterno,
Es lo que en las profundidades nunca subirá a la superficie,
Es lo que en la superficie camina y teme lo profundo
Es todo eso y mucho más,
El mar.


El viento

Navegante en vuestra concha, deje que el joven Viento
la empuje hacia la orilla donde le llaman las Horas.
Nacida del mar, es sobre la tierra
Que le aguarda el porvenir
Y preciosa como el aire
Nada en usted tiene término.


Las horas

Aquí la Tierra y sus árboles
Aquí la Tierra y sus hombres
Y sus cabezas zumbadoras
Como en lo alto de los bosques.
Acérquese, vea venir a los insólitos mensajeros,
Y para mejor adorarle
El pájaro se hace cisne y el cisne se convierte en ángel
¡Y la paloma, paloma!


Dios detrás de la montaña

Detrás del monte conspiran
Una sonrisa y una cara
Y muy a pesar suyo se caen
En las enemigas tinieblas
Allí donde un prudente suspiro
Ni siquiera sabe como terminar.
Y en esa vertiente del monte
El corazón que llegó a lo hondo,
Arrastrando a ojos y labios,
Escala las tinieblas
Que se hacen y se deshacen
A merced de la intensa fiebre
Divina que anda dando vueltas.

¿Quién soy en la sombra egoísta
para de igual a igual tratarle
a un Dios que de pronto me resiste?
¿O soy yo quien le hace daño?
¿Es posible tener desnuda el alma
durante tanto tiempo y si perder la cabeza
bajo un sol sin otra salida
que la propia tempestad íntima
y esta cara de insomnio
que en mi celda me está mirando
para ver cómo sufre un rostro
repleto de enormes dudas?


Cuando lo oscuro y lo turbio

Cuando lo oscuro y lo turbio y todos los perros del alma
Al cabo de nuestros largos pasillos chocan y se atropellan,
Cuando frases como “dime quién eres” o “¿te quieres callar?”
A través de los postigos sin ranuras se insultan,
Un hombre alto, con barba y renovador de sí mismo
Les obliga a callarse con un simple manotazo
Y me quedo boquiabierto y tembloroso
Como si ya para siempre me hubiese convertido en su imagen.
Ay, ¿es que ese fraude cruel enmudecerá, ese defecto de creación
Compuesto de carne y de gritos, de pelas y de remordimiento?
En el peldaño más bajo de las noches sin luna me pongo de pie,
Me gustaría ver cómo aflora mi estación apacible.


Pálido sol de olvido, luna de la memoria…

Pálido sol de olvido, luna de la memoria,
¿Qué arrastras en lo hondo de tus oscuras zonas?
¿Y es eso tan sólo lo que ofreces como bebida,
unas gotas de agua, el vino que te confié?

¿Y qué piensas hacer de este hermoso día de verano
ya que todo lo cambias si no lo destruyes antes?
De acuerdo sin embargo, no me devuelvas intacto
Lo que di, ese aire delicado, esos seres amados.

Que tu luz y tus manos me modelen mis días,
Sin mí crea de nuevo los caminos futuros,
Llévate mi corazón a los campos de vértigo, allí donde
La hierba deja de ser hierba y duda de su tallo.
Dime, oh vacilante memoria, ¿por qué quejarme?
¿Quién tenía sed? ¿Quién no quería beber?


Mira, bajo mis ojos de color todo cambia
Y en trozos de dolor se rompe el gozo,
Ya no me atrevo a abrir mis armarios secretos
Y es que mi memoria confusa los desordena.

¡Una rama le doy y ella cambia en pájaro,
le doy una cara y ella la transforma en hocico,
y si le doy un hocico hace que sea una abeja;
aquí en la tierra te soñaba, pero en el aire me maravillas!

Te arranco del lecho, y muy lejos te vas,
En un rincón te escondo y en la puerta apareces,
Te estrechaba en mis brazos y ahora eres una muerta,
Te quería silencio y tu canto no cesa.

Te di un día una torre ¿qué hiciste con ella?
¿Qué hizo del amor tu corazón sin orden?


Pero con tanto olvido, cómo hacer una rosa,
Y con tantas partidas cómo lograr retornos,
Mil pájaros que huyen no hacen uno que resta,
Y tanta oscuridad simula mal el día.

Escuchad, acercarme esta pobre mejilla
Sin miedo liberad alas del corazón
Y que nuestra memoria sea activa en la sombra
Y nos devuelva el mundo de colores activos
¿La encina otra vez árbol, y las sombras, llanura,
y he aquí este lago delante de nuestros ojos!
¡Que la tierra se acuerde hasta los horizontes
renazca para quienes se creían proscritos!


Yo soñaba mi vida semejante a los ríos,
Viviendo al mismo tiempo la fuente y el océano
Sin nunca detenerme ni siquiera un momento
Entre montes, llanuras y las últimas playas.

¿Estoy aquí o ahí? ¿Mis orillas de siempre
cambian de un lado a otro y me dejan errante?
¿Soy el agua que corre, nadador río abajo
lleno de turbación por lo que deja atrás?

¿O tal vez soy aquel que incluso sin saberlo,
en la noche no tiene más recurso
que buscar el océano siguiendo el manantial
ya que atrás se queda la mejor esperanza?

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