dimanche 24 novembre 2024

Crise sociale : face aux licenciements, défendre le maintien de l’emploi

Damien Bernard et Rafael Cherfy

Une vague de plans de licenciements aiguise la crise sociale dans le pays. Face à la perspective d'une hausse brutale du chômage, le mouvement ouvrier doit construire une riposte d'ampleur pour imposer l'interdiction des licenciements.

Ces dernières semaines, les annonces simultanées de plans de licenciements massifs chez Auchan et Michelin ont brusquement changé l’ambiance sociale du pays, remettant au premier plan la question des fermetures d’usine et de l’emploi. L’automne 2024 signe le début d’une nouvelle conjoncture économique et sociale.

Vers une généralisation des licenciements à l’ensemble de l’économie

La situation sur le front des licenciements est marquée par une double dynamique. D’un côté, une vague de suppressions d’emplois massive mais silencieuse dans les TPE/PME/ETI qui ne fait pas l’actualité mais fait des ravages depuis 2023. Elle est la conséquence de la multiplication de défaillances d’entreprises qui, avec 66 000 faillites enregistrées dans les douze mois depuis septembre 2023, atteint un niveau historique connu seulement deux fois en vingt ans, en 2009 et en 2014.

Proche des chiffres de la crise de 2008, ceux-ci s’expliquent par le cumul des défaillances liées au ralentissement économique en cours et d’un « rattrapage » des années Covid. Comme le souligne Marc Touati, avec la fin des aides de l’Etat, les entreprises dites « zombies », artificiellement maintenues en vie pendant la crise, ont dépéris et entrainé « dans leur sillon les entreprises en bon état financier, notamment en ne respectant pas leurs commandes ».

L’autre dynamique à l’œuvre débute actuellement, avec la multiplication de fermetures d’usines et plans de licenciements massifs visant les grandes entreprises comme Michelin (1 254 emplois), Auchan (2 389 emplois), Valeo (1120 emplois), ou encore Forvia (10 000 suppressions de postes en Europe) et Arcelor Mittal (130 emplois). Concentrées sur un temps très court, ces nouvelles annonces montrent que la crise s’accélère et n’épargne pas les groupes les plus solides et mondialisés. « Ce qui est nouveau, en plus de l’accélération, c’est que les annonces concernent aussi de grosses entreprises », pointe en ce sens la CGT. Elles viennent poursuivre l’hécatombe sociale qui a cours depuis plusieurs mois chez les sous-traitants.

En effet, en moins d’un an, plus de 200 plans de licenciements ont été recensés, frappant particulièrement trois grands secteurs industriels : l’automobile, la pétrochimie et l’aérospatiale. Pour le premier, la situation est déjà bien avancée avec une crise de l’industrie européenne qui entraîne des conséquences sur tout le continent. En France, les équipementiers automobile n’en finissent plus d’annoncer des plans de licenciements et des fermetures de sites depuis plusieurs mois : Valéo va fermer 3 usines et supprimer 1 200 emploisDumarey Powerglide veut supprimer près de la moitié des 584 postes de son usine à Strasbourg, une liquidation judiciaire brutale a été prononcée il y a plusieurs mois pour les 280 salariés de MA France, les deux usines du fabricant de pièces Walor sont aussi menacées, sans parler des Stellantis Poissy qui sont dans le viseur du groupe.

Concernant la pétrochimie, 8 000 suppressions d’emplois sont dénoncées par la fédération CGT des industries chimiques. Leur communication syndicale déroule une longue liste d’entreprises touchées « Yara, Niche Fused Alumina, Air Liquide, ExxonMobil, Colgate, Sanofi, Vitalaire, Pharmadom Vencorex, Solvay, Weylchem, Bayer ». La chambre patronale de la Chimie a annoncé vouloir supprimer 15 000 emplois d’ici à trois ans, soit 8 % des emplois directs du secteur. Du côté du secteur aérospatial a récemment enregistré la suppression de quasiment 4 000 postes. D’un côté Airbus Défense and Space prévoit de détruire 2 500 emplois, tandis que de l’autre, Thalès Alenia Space a annoncé la suppression de 1300 emplois.

Ce n’est pas encore 2008 mais le pire est à venir

Au total, près de 300 000 emplois sont menacés, selon la CGT. Loin d’être un simple « trou d’air » dans la conjoncture, cette crise est à inscrire dans le cadre du ralentissement de l’économie mondiale, qui frappe particulièrement l’Europe, avec la guerre en Ukraine et la hausse des prix de l’énergie, l’exacerbation de la concurrence avec la Chine dans le secteur automobile, ainsi que par la crainte d’un retour des barrières douanières avec la réélection de Trump. En France, ce ralentissement est aggravé par la crise structurelle du capitalisme hexagonal, qui est caractérisée par une profonde crise de la productivité et un déclin de l’impérialisme français. Dans ce cadre, et alors que l’instabilité politique et la crise de la dette priment dans le pays, les tendances à la restructuration et à la concentration du capital, qui avaient été « gelées » par la crise du Covid et la crise inflationniste, reprennent et s’accélèrent.

Si la crise n’en est qu’à ses prémices, la dynamique est à son approfondissement, comme l’illustre son extension des sous-traitants aux donneurs d’ordre qui, à mesure que la conjoncture internationale se dégrade, multiplient les fermetures de sites, conduisant à des plans de licenciements plus massifs encore. Cette crise est vouée à se répercuter sur d’autres secteurs de l’économie qui sont adossés à l’emploi dans l’industrie comme les petits commerces et services. En effet, comme le souligne l’INSEE, un emploi dans l’industrie crée 1,5 emploi indirect et 3 emplois induits dans le reste de l’économie. Enfin, dans les prochains mois, la vague pourrait être alimentée par des licenciements dans des secteurs habituellement plus « protégés » car à plus forte demande comme l’informatique, la communication et la finance, qui embauchent beaucoup de cadres et de « travailleurs intellectuels » à plus hauts salaires. De quoi inquiéter l’Elysée : « ce ne sont plus seulement des emplois de salariés à faibles compétences qui sont menacés mais aussi les cadres ».

Si la crise en cours est d’intensité moindre par rapport à 2008 [1], elle s’inscrit cependant dans une conjoncture économique mondiale bien plus instable et dégradée. Alors que des milliards « d’argent magique » ont été déversés dans l’économie, la dette a atteint un niveau inédit dans l’histoire du capitalisme, amenuisant les marges de manœuvres des États capitalistes, mais aussi des entreprises. Surtout, à l’heure de la fin du cycle de la « mondialisation heureuse », le ralentissement de l’économie mondiale combiné au retour de la guerre en Europe rend peu probable à court terme une reprise de l’économie. Des secteurs industriels entiers comme l’automobile risquent d’être sinistrés à l’échelle de l’Union Européenne sur fond d’aiguisement de la guerre commerciale avec la Chine. « C’est la pire période qu’on ait connue, et aussi la plus difficile en termes de durée » pointe en ce sens le secrétaire général de l’Association européenne des fournisseurs automobiles (Clepa), une organisation patronale.

Licenciements massifs, intérimaires en péril : défendre le maintien de l’emploi

Cette vague de licenciements menace de frapper durement les travailleurs, avec le retour du spectre d’un chômage de masse. Alors qu’elle avait rythmé les mandats de Sarkozy et Hollande, cette question avait été effacée de la scène politique depuis l’élection de Macron sur fond de stabilisation post-crise à partir de 2016. Passé de 7% en 2007 à un taux supérieur à 10 % en 2014, 2015 et 2016, le chômage est retombé à 7,5% en 2024, en lien avec la « politique de l’offre » de Macron qui a créé des emplois précaires ou très largement subventionnés, notamment en apprentissage. Selon les dernières prévisions, ne prenant pas en compte les effets récessifs de l’austérité à venir, celui-ci pourrait remonter à 8,5% d’ici à la fin de l’année.

Cette situation pose la question de la réponse à adopter par le monde du travail, pour éviter de subir une offensive brutale. Sur ce plan, la défense inconditionnelle du maintien de l’emploi est primordiale. D’abord, pour empêcher ces licenciements qui détruisent la vie de dizaines de milliers de travailleurs. Mais également parce que ceux-ci vont servir à faire pression sur le monde du travail dans son ensemble, en attisant la concurrence entre les travailleurs pour faire pression à la baisse sur les salaires.

Pour le moment, l’effet de sidération domine au sein du monde du travail. Des mobilisations émergent dans certaines usines à l’instar de Michelin, MA France, Dumarey, Vencorex, Walor ou encore Valéo. Face aux fermetures de site, les travailleurs de Michelin ont très rapidement répondu par une grève reconductible, suivie y compris par d’autres sites du groupe et défendu l’interdiction des licenciements comme l’expliquait Romain Baciak, DSC CGT Michelin. Les MA France ont également répondu par cinq mois de luttes pour refuser que 400 familles ne se retrouvent au chômage malgré les profits records de Stellantis. De même, les travailleurs de Vencorex, pilier de la chimie en France, sont en grève reconductible depuis plus de trois semaines face aux 450 licenciements qui menacent.

Face aux travailleurs, le patronat use de tous les moyens pour faire passer ses plans de casse sociale, notamment par une politique du chèque après trois années de baisse de salaires qui tente d’amadouer les travailleurs. Dans certaines entreprises, le patronat va jusqu’à instaurer des primes anti-grèves versés aux travailleurs en fonction de leur « présentéisme ». C’est le cas notamment à Michelin où la direction a mis en place une prime de 600 euros par mois pour garantir la présence des salariés jusqu’à la fermeture des sites. De telles politiques anti-grèves ont même été soutenues par la CFDT et la CFE-CGC à Valéo. D’autres patrons remettent au goût du jour les Accords de Performances Collectives (APC) pour imposer un chantage brutal comme à Saverglass où une baisse de salaires de 7% est imposée aux salariés sous peine de licenciements. Le mouvement ouvrier doit faire la guerre à ces initiatives qui permettent au patronat de canaliser la colère sociale et de tuer dans l’œuf les mobilisations.

Pour un programme ouvrier et une réponse nationale face aux licenciements

Malheureusement, toutes ces luttes restent isolées et limitées par l’absence d’un plan de bataille d’ensemble. Récemment, la CGT a appelé à une date de « convergence nationale des mobilisations, avec débrayages et grèves en région pour l’emploi et l’industrie » le 12 décembre. Mais si cet appel à nationaliser la bataille des licenciements est un point d’appui, celui-ci ne semble pas pour l’heure tirer les leçons de l’échec de la mobilisation du 1er octobre.

En effet, construire une mobilisation puissante implique de rompre avec les journées de grève, sans lendemain, qui ne peuvent construire à elles seules le rapport de force. Pour réellement nationaliser la lutte contre les licenciements, il faudra construire un véritable plan de bataille, qui cherche à construire la grève à la base, en s’appuyant sur les Assemblées générales, entreprise par entreprise, à commencer par celle visée par les licenciements. Pour entraîner largement les travailleurs, cela implique également d’articuler un programme et des revendications qui soient à la hauteur de la crise en cours. Or, ce n’est pas la revendication vague d’un « moratoire sur les licenciements » défendu par Sophie Binet qui peut inculquer la détermination aux travailleurs. Pour convaincre des secteurs larges du monde du travail à s’engager dans la bataille, un programme tiède ne suffira pas.

Combattre sérieusement l’offensive patronale nécessite de revendiquer l’interdiction des licenciements, ainsi que l’embauche immédiate en CDI des travailleurs précaires, CDD, intérimaires ou contractuels. Il nous faudra également exiger l’expropriation sous contrôle des travailleurs des entreprises qui ferment et licencient ainsi que le contrôle ouvrier sur la production. Pour garantir ces exigences, il nous faudra nous organiser et lutter sur les lieux de travail, en exigeant des directions syndicales qu’elles passent de la parole aux actes. Cela implique d’imposer de nos directions de rompre avec le dialogue social, qui protège un gouvernement anti-ouvrier et accompagne l’austérité, et de construire une lutte d’envergure nationale qui cherche à coordonner les travailleurs des entreprises et usines menacées par les fermetures et les plans de licenciements.

Face à la crise sociale qui s’aiguise, il n’y a pas d’autre choix pour le mouvement ouvrier que de rompre avec la passivité. L’ensemble des directions syndicales, à commencer par la CGT, doivent se mettre à l’initiative d’une riposte d’ensemble, par la rue et la grève. Face au carnage social et à l’austérité qui vient, il nous faut des mots d’ordre clairs et offensifs pour répondre à l’urgence : Interdiction des licenciements et embauche en CDI de tous les intérimaires et CDD ! Augmentation et rattrapage des salaires de 400 euros pour tous ! Nous ne paierons pas la crise !

[1David Cousquer, gérant du cabinet d’analyse Trendeo, pointe dans le journal Le Monde : « On perd deux à trois usines par mois actuellement, alors qu’on était sur une phase positive entre 2016 et 2022, à l’exception de la période Covid-19 ». Lors de la crise de 2008, les usines fermaient au rythme de plusieurs dizaines par mois, avec une explosion des fermetures d’usines en 2009 où l’on comptait une perte nette de 225 sites industriels. De même, en 2008-2009, le taux de chômage a augmenté de deux points en une seule année, passant de 7,3 % au deuxième trimestre 2008 à 9,2 % douze mois plus tard. Or, une telle hausse n’est pas encore d’actualité en France, puisque d’ici à 2025, les pires prévisions montrent que le chômage devrait passer de 7,3% début 2024 à 8,5% d’ici à la fin de l’an prochain.

Révolution Permanente

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