mardi 14 avril 2009

DÉCOUVERTE

Par Pedro Vianna

pour Jean-Guy, Annie et Sylvie


(Oeuvre de Redon)

un homme
trop grand sur son petit balcon
s'épanche dans le vide
qui le sépare de l'horizon

et cherche un horizon
au-delà de l'horizon

que vise-t-il

nul ne le sait
ni même lui
perdu
entre les trames les méandres
des désirs inassouvis

il monte
il grimpe
il flotte
bercé par les vagues que suintent les vents de ses rêves déployés
dépliés
il devient plus léger qu'une tendre pensée
plus mortel qu'une vie qui commence
plus fatal qu'une nuit sans amours
qu'un adieu d'amour absent
plus vaste qu'un amour sans adieu

soudain

au-delà de l'horizon

il la voit

son image idéale
son idéal imagé
imaginé
depuis longtemps depuis ce temps
où il se croyait encore possible
compatible et déterminé
une espèce de système
du premier degré
à une seule équation
à une seule variable
et sans terme indépendant

il redécouvrit ainsi
le reflet de sa pensée d'enfant
l'enfant du reflet de sa pensée
le reflet de sa pensée sur lui enfant
qui rêve d'adulte

et là-bas au bout
au bout là-bas
tout bas
en bas
tout près
à la portée de sa main
encore timide
le paradis s'exhibe
obscène
tentateur
enivrant

il est
il n'est pas
lui
le paradis
lui
sans paradis

entre lui et sa main et lui

un gouffre
à la portée de sa main
au loin
là-bas
là-bas au loin
tout près
aux confins du paradis

– la décision –

le choix qu'il n'eut pas
le choix qu'il a fait
le choix qu'il n'a plus

il ne rêve plus
à présent il vit
et il rit
et il se dit
qu'il va plus vite qu'il ne l'aurait cru
que c'est plus long
plus lent qu'il ne l'aurait fallu

et dans le miroir de sa réalité muée en songes
il revoit la griffe de sa vie
sa vie dans la vie

et il vit le moment qui met fin à tous les instants
à tous ses instants
à tous les instincts
l'instant sans suite
la mort du temps
le temps des morts
le mirage

le mirage
son mirage sans visage
revient de l'au-delà
d'au-delà de l'horizon
et par terre
sa vie
s'éparpille
mord la poussière de béton calciné
y laisse la marque d'un homme
de l'Homme battu abattu coi sans émoi
muet comme toi
qui le vis tomber sans bouger

il rêve
une ultime fois il rêve
qu'il monte monte monte monte monte s'élève
et sage comme un roi mage
s'installe sur son immense terrasse
à regarder vivre cette ville qu'il aime
cette ville sa vie
cette vie dont il but même la lie
cette vie qu'il n'a plus
partie
finie

désormais il n'est plus
plus qu'empreinte d'Homme sur travail d'hommes
d'hommes
en construction
plus qu'une fin de non-vie
plus qu'une promesse avortée
rien
moins que rien
paquet flasque de chairs et d'os enchevêtrés
fatigués
paquet mal ficelé paquet
précipité des cimes des paquets amoncelés de ses espoirs déçus

il n'est plus rien sur la chaussée
rien
rien qu'une trace
qu'efface la circulation rétablie

dans les journaux
quelques mots
vides incongrus

« inconnu saute dans le vide »

avides menteurs à vie
avides de vie

à vie
le vide avide avait pris d'assaut l'inconnu
quelqu'un crache par terre

un enfant casse un jouet

quelqu'un songe à partir

un pèlerin entreprend le retour

quelqu'un féconde la douce folie

un homme apprend à penser

quelqu'un pense à apprendre

un poète part à songer

quelqu'un apprend à partir

la vie reprend le départ

toute nuit enfante une aube

toute aube est chargée de possibles nuits avortées


Paris, 5.VII.1980
in En toute nudité, livre XVIII, Bribes, pp. XVIII.13-18

http://poesiepourtous.free.fr/
http://actesdepresence.free.fr/

Cristina Castello soutient l'association Actes de présence

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