samedi 5 décembre 2009

Un quasar surpris au moment où il donne naissance à une galaxie




Aloufok


La majeure partie des grandes galaxies de l’Univers possèdent un trou noir supermassif en leur centre. Mais qui vient en premier ? Le trou noir qui dévore frénétiquement la matière qui l’entoure ou la galaxie qui l’héberge ? Grâce aux observations menées avec la caméra Visir(1) installée sur le Very Large Telescope de l’Eso, une équipe internationale(2) vient de proposer un nouveau scénario : les trous noirs pourraient « construire » la galaxie qui les héberge. Ce résultat est publié dans Astronomy and Astrophysics du 30 novembre 2009.

« La question de savoir qui vient en premier de l’œuf ou de la poule, de la galaxie ou de son trou noir central, est l’un des sujets les plus débattus en astrophysique actuellement”, estime l’auteur principal de la publication, David Elbaz, du Laboratoire d’astrophysique des interactions multi-échelles (AIM :unité mixte CEA/CNRS/Université Paris 7). Notre étude suggère que les trous noirs supermassifs peuvent provoquer de véritables flambées de formations d’étoiles, voire la naissance de galaxies entières. Ce lien permettrait en outre de comprendre pourquoi les galaxies abritant les trous noirs les plus massifs sont aussi celles qui ont le plus d’étoiles ».

C’est en observant attentivement un objet très particulier, le quasar HE0450-2958, situé à 5 milliards d’années-lumière de nous, que les équipes sont parvenues à ces conclusions. A ce jour, aucune galaxie hôte n’a été détectée autour de ce quasar(3) , aussi l’a-t-on surnommé « le quasar nu ». Pensant que la galaxie hôte pouvait se cacher derrière une grande quantité de poussières, les astrophysiciens ont utilisé la caméra en infrarouge moyen Visir, qui équipe le Very Large Telescope (VLT) de l’Eso. Ce qu’ils ont observé est finalement bien éloigné de l’hypothèse initiale, mais bien plus surprenant : aucun nuage de poussière n’a pu être détecté. En revanche, ils ont découvert que la galaxie la plus proche du quasar produisait des étoiles à un rythme effréné.

Alors qu’aucune trace d’étoile n’apparaît dans le voisinage immédiat du quasar, cette galaxie « compagnon » est extrêmement riche en étoiles très jeunes et lumineuses : au sein de celle-ci, les étoiles se forment à un taux de près de 350 masses solaires par an, soit à un rythme cent fois supérieur à celui que l’on trouve dans une galaxie typique de l’Univers local.

Les astrophysiciens ont en outre mis en évidence un pont de matière entre le quasar et sa galaxie compagnon : la matière semble s’écouler depuis le trou noir du quasar vers cette dernière à très grande vitesse. L’injection à très grande énergie de cette matière dans la galaxie suggère que c’est le quasar lui-même qui provoque cette flambée de formations d’étoiles. Dans un tel scénario, la galaxie aurait évolué à partir d’un nuage de gaz heurté par le jet énergétique émergeant du quasar.

« Le ’quasar nu’ et sa galaxie compagnon sont destinés à fusionner dans le futur », explique David Elbaz : « le quasar ne se déplace qu’à une dizaine de milliers de km/heure par rapport à la galaxie et les deux objets ne sont séparés que par 22 000 années-lumière. Que le quasar soit “nu” ou non, il finira bien par être vêtu quand il fusionnera avec la galaxie compagnon dont il aura largement contribué à former les étoiles ».

Ces observations permettent de modifier la compréhension de ce type de système et d’élaborer un nouveau paradigme. Peut-être tient-on là le chaînon manquant permettant de comprendre pourquoi la masse des trous noirs est plus grande dans les galaxies qui contiennent le plus grand nombre d’étoiles .

Mais d’où vient la puissance du moteur qui nourrit le trou noir supermassif ? L’équipe a exploré une explication nouvelle qui demandera confirmation : le trou noir pourrait être alimenté en matière par des filaments de gaz intergalactiques.

Désormais les astrophysiciens vont s’atteler à chercher des objets similaires dans d’autres systèmes. Les générations futures d’instruments comme le James Webb Space Telescope, de la NASA/Esa, auquel participe le CEA-Irfu et des équipes INSU-CNRS, ou encore l’interféromètre international millimétrique/submillimétrique Alma (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) et l’E-ELT (European Extremely Large Telescope, ESO) dans lesquels de nombreuses équipes INSU-CNRS sont impliqués, permettront d’étudier de tels objets beaucoup plus éloignés et avec beaucoup plus de précision, afin de révéler le lien qui pourrait exister entre la formation des trous noirs supermassifs et la formation des galaxies dans l’Univers lointain.

Notes

(1)Cette caméra a été réalisée par le CEA/Irfu (Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers), l’Eso (Observatoire Européen Austral) et la Fondation néerlandaise pour la recherche en astronomie.

(2)Font partie de cette équipe : D. Elbaz, E. Pantin, Laboratoire d’astrophysique des interactions multi-échelles, (CEA/DSM-CNRS-Université Paris Diderot-Paris 7) ; K. Jahnke, Max-Planck-Institut für Astronomie, Allemagne ; D. Le Borgne, Institut d’Astrophysique de Paris, (CNRS, Université Pierre et Marie Curie) ; G. Letawe, Institut Astrophysique et Géophysique, Université de Liège, Belgique.

(3)Le terme "Quasar" pour "Quasi-star" (appelés aussi "QSO" pour "Quasi-Stellar Objects") désigne un noyau de galaxie formé par un trou noir supermassif. Son cœur brille d’un éclat particulièrement intense, d’où son nom.

Légende photo
Cette vue d’artiste montre comment les jets de matière issus de trous noirs supermassifs pourraient former les galaxies, ce qui permettrait d’expliquer pourquoi la masse des trous noirs est plus grande dans les galaxies qui contiennent le plus grand nombre d’étoiles.

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