samedi 20 août 2011

La violence d’état fragilise la Syrie

George Galloway - Al Jazeera -

Le bombardement et le meurtre de citoyens par Bashar al-Assad met le pays en en danger d’être l’objet d’une invasion impérialiste, selon l’auteur.

En apprenant ce matin que la marine syrienne bombardait la côte de Latakia -y compris le camps de réfugiés palestiniens qui s’y trouve- j’ai été attéré.

Pas seulement parce que j’ai vécu dans ce camp l’an dernier, là sur la côte, quand le dictateur de l’époque, Hosni Mubarak, hésitait à laisser passer le convoi " Viva Palestina 5" pour Gaza (après avoir bénéficié de l’hospitalité de la Syrie pendant plus de deux semaines, le convoi a pris la mer -mais je n’ai pas eu l’autorisation d’embarquer). Les habitants de Latakia, une très jolie station balnéaire, ont été bons avec moi. Je ne peux pas passer leurs souffrances sous silence aujourd’hui.

Mais ce qui est encore plus choquant dans ces nouvelles, c’est qu’elles montrent à quel point on se rapproche de la guerre civile dans "le dernier pays arabe" -comme j’ai qualifié la Syrie dans une conférence que j’ai donnée à la bibliothèque Assad il y a tout juste cinq ans, après que l’attaque israélienne au Liban ait été repoussée par le Hezbollah soutenu par la Syrie.

Historiquement je n’ai jamais été proche du régime Syrien. J’écris ceci dans ma maison que j’ai appelée Tal-al-Zattar, d’après le camp de réfugiés palestiniens du Liban où il y a eu un massacre permis par un autre Assad il y a plus de 30 ans et perpétré par les Phalangistes, ses alliés d’alors.

J’étais alors avec Yasser Arafat qui luttait pour ne pas tomber sous la coupe mortelle du parti Ba’ath syrien. J’étais aux côtés de l’Irak quand 29 pays ont essayé de le détruire pendant la première guerre contre l’Irak en 1991. Un des ces pays était la Syrie d’Assad.

Anti-impérialisme et police d’état

Mais au royaume des aveugles les borgnes sont rois et en 2006 Bashar al-Assad est devenu le seul leader arabe à ne pas être dans la poche de l’Occident. On hait la Syrie, ai-je dit ce soir-là dans la bibliothèque, pas à cause des mauvaises actions qu’il a commises mais des bonnes. Je les ai alors énumérées : La Syrie a refusé de signer un traité de reddition avec Israël, refusé d’abandonner le territoire du Golan aux occupants illégaux. La Syrie a refusé d’abandonner la résistance palestinienne, et a continué à offrir un abri sûr aux leaders et aux combattants de quasiment toute la gamme des organisations de résistants. La Syrie continue de soutenir la résistance libanaise et a refusé de laisser utiliser son territoire comme une base contre la résistance en Irak, etc.... Tout cela est vrai, bien sûr mais ce n’est pas toute la vérité.

Le côté sombre du régime syrien est son caractère autoritaire, sa mentalité d’état policier et surtout sa corruption profondément enracinée et terriblement exacerbée par le tournant néo-libéral du régime et son cortège de privatisations qui a donné les biens de l’état en propriété privée à l’élite comprador* du régime principalement. C’est un autre pan de la vérité qui était en partie dissimulé sous le nationalisme arabe et l’anti-impérialisme du peuple syrien et de son gouvernement. C’est cela qu’ont vécu la plupart des Syriens pendant plus de 40 ans. Beaucoup de ténèbres.

On pouvait sans doute juger la Syrie par la nature de ses ennemis -l’impérialisme israélien, étasunien, anglais et français, les réactionnaires arabes, les fanatiques sectaires salafistes- tant que le peuple syrien continuait à soutenir le régime d’une manière active ou passive même si c’était par peur ou pire encore. Et aussi longtemps que le président Bashar al-Assad entretenait l’espoir de vraies réformes démocratiques, d’un gouvernement ouvert et de la suppression de la corruption rampante -dont la plus grande partie était le fait de sa propre famille et de ses plus proches relations. Ces espérances ont fait long feu.

Décrire le soulèvement de masse en Syrie, jour après jour et depuis des mois (un soulèvement qui ne faiblit pas malgré le prix du sang toujours plus élevé que paient les manifestants), comme l’action de "terroristes" et de "bandits armés" est une grave distorsion des faits. C’est en réalité le régime lui-même qui ressemble de plus en plus à des terroristes et à des bandits armés. C’est un soulèvement populaire authentique qui se déroule en Syrie même s’il est sérieusement infiltré par tous les ennemis de la Syrie - qui sont les ennemis de tous les arabes, à mon avis.

Le danger d’intervention occidentale

Le plus gros problème est que plus la répression se poursuit à cette échelle et plus cela augmente la probabilité que ces mêmes ennemis n’en profitent pour concocter une fin qui les arrange et faire en sorte que la Syrie passe du traditionnel camp nationaliste dans celui de la défaite, la dislocation, le sectarisme et l’indignité.

C’est pourquoi je dois dire qu’a mon sens il est minuit moins cinq en Syrie. Cela fait des années que le président parle de réformes. Mais plus il en parle, plus ses proches se dépêchent d’amasser des biens mal acquis.

Il a promis de lever l’état d’urgence tout en présidant (si on assume qu’il préside toujours) la mère de tous les états d’urgence dans son pays. Il a parlé de mettre fin au monopole constitutionnel du parti Ba’ath qui fait de lui la "force dirigeante" du pays, mais il est toujours là, du moins sur le papier sinon dans les rues. Il a parlé d’élections, mais on n’en voit aucun signe -et comment pourrait-il y en avoir au milieu de ce carnage ?

Le risque d’une intervention impériale dans cette situation augmente d’heure en heure. Les ennemis de la Palestine et de tous les arabes aiguisent leur sabres. Le peuple syrien, qui a toujours été le coeur du nationalisme arabe hurle des slogans -même quand on leur tire dessus- contre l’ingérence étrangère, mais les vautours tournent quand même dans le ciel. Il faut éviter un tel sort à la grande Syrie. Il faut l’éviter à tout prix.

À moins que le régime syrien ne parvienne à se mettre d’accord de toute urgence pour mettre en place des élections, une presse libre et une opposition politique légale, et mettre fin à ce qui est devenu un massacre, le pays va être envahi ou va s’effondrer sous le poids du sang versé. Et parmi les ruines, les rats de la haine et de la trahison réactionnaires et sectaires auront toute liberté de nuire.

Note :

*Comprador : Le mot comprador désigne un bourgeois d’un pays en voie de développement tirant sa fortune et sa puissance de ses connexions avec les multinationales étrangères des pays développés.
Le terme est utilisé dans les théories critiques de la sociologie du développement pour parler de la classe d’hommes d’affaires qui s’allient à des firmes étrangères et encouragent un développement économique local qui profite à des pays étrangers au lieu du sien.

* George Galloway a été membre du parlement britannique de 1987 à 2010. Il est écrivain, journaliste, animateur de radio et militant.

Info Palestine

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