mardi 29 mai 2012

Ah! Taubira, ça ira, ça ira…

Christian Salmon 


À la veille de l’élection de F. Mitterrand en 1981, la droite agitait le spectre des chars russes sur les Champs Elysées. En 2012, l’URRS ayant disparu, il fallait bien trouver un diable de substitution pour effrayer les petites gens. La droite l’a trouvé en la personne de Christianne Taubira. Pourtant s’il y a une nomination dont on devrait se féciliter, c’est bien celle de la nouvelle garde des sceaux.

D’abord parce que la comparaison s’impose avec Rachida Dati qui l’a précédé place Vendôme : diversité de papier glacé contre diversité de combat, le combat de toute une vie. Ensuite parce que les premiers gestes politiques de Taubira sont de clairs indices d’un changement de paradigme politique. Sur le harcèlement sexuel, la suppression des tribunaux pour adolescents, ils vont à l’encontre de la doxa sécuritaire qui empoisonne l’esprit public depuis dix ans. La droite ne s’y est pas trompée. Jean François Copé a prévenu l’électeur égaré: « Quand on vote front national, on a la gauche et on a Taubira »… Déclaration pour le moins ambigüe sur laquelle on aimerait bien qu’il s’explique.
Eric Zemmour qui n’a pas la prudence de chat de J.F. Copé, s’est chargé de remplir les blancs (si on peut dire) de sa déclaration. Sur l’antenne de RTL il n’a pas craint d’affirmer: “En quelques jours, Christiane Taubira a choisi ses victimes, ses bourreaux. Les femmes, les jeunes des banlieues, sont dans le bon camp à protéger. Les hommes blancs dans le mauvais.” Oui cher lecteur vous avez bien lu, “les hommes blancs!" Puis à l’intention des auditeurs qui n’auraient pas compris, le zélé Zemmour s’est empressé d’ajouter: “Le crime pour C. Taubira : c'est le harcèlement sexuel et les criminels, ce sont les hommes.” Par contre, le nouveau garde des sceaux serait pleine de sollicitude pour “ces pauvres enfants qui volent, trafiquent, torturent, menacent, rackettent, violentent, tuent aussi, parfois.” Si l’on comprend bien, l’homme blanc, dont Zemmour serait l’archétype plaintif, serait persécuté non seulement par l’affreuse Taubira mais par les femmes harcelées et les enfants criminels. Le monde selon Zemmour !
Sous couvert d’anonymat, un député de l’UMP a été plus clair: "C'est comme Eva Joly qui était un punching-ball idéal pour la droite. Taubira est une cible parfaite. On va bien se marrer..."
Patrick Besson, le chroniqueur du Point s’est engouffré dans la brèche. Après avoir pris pour cible l’accent “allemand” d'Eva Joly, il s’est dévoué pour donner à la cause sexiste l’alibi littéraire qui fait visiblement défaut à Zemmour. Mais chez lui pas d’attaques ad hominem. Sa cible c’est La Femme Ministre, la femme de gouvernement qu’il épingle à la façon d’un bestiaire savant ou d’un viril tableau de chasse:
“L’ingénue libertaire Najat Vallaud-Belkacem, la séductrice culturelle Aurélie Filippetti, l'associative hitchkcockienne Delphine Batho, la radicale chic Sylvia Pinel, le tanagra guyanais Christiane Taubira.. la geisha intellectuelle Fleur Pellerin, la Shéhérazade cinématographique Yamina Benguigi ». "La parité a des allures de partouze straight" conclut Besson, le DSK du plumier. On a l’imaginaire qu’on peut, souvent lié d’ailleurs à des peurs qu’on ignore. Geisha, Shéhérazade, Séductrice, Ingénue, Hitchkcockienne, Tanagra c’est le lexique de la mysoginie ordinaire, aggravé de pédanterie, qui rajoute la cuistrerie à la navrante beaufitude. Le tanagra qui n’a rien à voir avec le département de la Guyanne, en est un bel exemple : le tanagra est une pièce de la statuaire grecque de petite taille, manière de se moquer de la taille de Taubira, sans avoir l’air d’y toucher.
Il fut un temps où le petit bourgeois s’alarmait de voir entrer des communistes au gouvernement, L’ex communiste Besson voit rouge quand les femmes prennent toute leur place au sommet de l’Etat. Lilith a pris la place de Lénine dans l’imaginaire du petit blanc et le rouge à lèvres remplace avantageuement le couteau entre les dents. C’est tout juste si la castration féminine ne fait pas fonction de guillotine symbolique. Le sentiment d’insécurité, à force de flatteries, s’étend, mute; il était physique, il est devenue social, le voilà culturel, et même sexuel. A Taubira! ça ira! ça ira! Les petits hommes blancs à la lanterne…

Médiapart

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