Laissons pour une fois de côté les nouvelles fondamentales de la Politique
Française (genre le jean de Cécile Duflot ou les parachutes de Le Pen et
Mélenchon) pour évoquer des sujets tellement secondaires que j’ai honte de
devoir m’abaisser jusqu’à en parler.
Oui, je sais, j’ai déjà écrit là-dessus. Ici, il y a quatre ans. Là, il y a 18 mois.
Depuis, rien n’a changé, bien évidemment.
Depuis, rien n’a changé, bien évidemment.
L’émission “Cash investigation” de France 2 avait diffusé la semaine dernière
un fort didactique reportage sur l’art et la manière qu’ont les multinationales,
y compris françaises, de frauder le fisc à l’aide de montages
abracadabrantesques élaborés par d’autres multinationales spécialisées, et qui
ont pour point commun de passer par des filiales luxembourgeoises bidons.
Hier soir, France 2, décidément bien inspiré, a diffusé un nouveau reportage
écœurant dans les ateliers de couture au Bangladesh et en Inde. Rien de bien
nouveau sous le soleil, à vrai dire. On y apprend, images à l’appui, que dans
ces ateliers travaillent des gamines de 12 ans, 12 heures par jour, 6 jours par
semaine, pour un salaire inférieur à un dollar par jour. Je pense qu’on peut
parler d’esclavage. Il y a certes parfois des rebellions, mais dans l’ensemble, les multinationales
n’ont pas à se plaindre, merci pour elles.
Une fois les fringues cousues par ces esclaves, elles sont emballées dans des
cartons et expédiées en occident par bateau dans des immenses conteneurs.
Le voyage en bateau sert en quelque sorte de paravent entre la production et
la consommation. Il transforme le malheur des uns en objet de désir des autres.
Car une fois arrivées ici, les fringues sont étalées dans des boutiques plus ou
moins clinquantes, dans lesquelles le con-sommateur (et surtout trice, il faut
bien le dire) se précipite pour acheter, souvent pour quelques euros, de quoi
vêtir toute la famille.
La pub et le marketing font leur œuvre pour que le coût de fabrication,
indécemment bas, fasse une multiple culbute, suffisante pour que les
actionnaires deviennent milliardaires (c’est le seul but de la manœuvre), mais
pas trop pour rester dans le business model de la con-sommation de
masse, que la ménagère de moins de 50 ans revienne le plus souvent possible
acheter, acheter et encore acheter.
Bien entendu, on n’affiche pas dans les boutiques la photo de ces milliers de
gamines devant leur machine à coudre, dans un bruit infernal, sous la lumière
des néons blafards et les aboiements du contremaître, ni dans leurs bidonvilles
insalubres. Sinon les gens n’achèteraient pas, probablement. Au contraire, on y
met les photos sur papier glacé de mannequins anorexiques ou de stars de cinéma
soucieuses d’arrondir des fins de mois pourtant déjà bien rondelettes.
Tout cela a été parfaitement décrit dans le livre de Naomi Klein, “No Logo” , qui
détaille le processus de décérébration des foules (et notamment des jeunes) qui
conduit des humains en apparence ordinaires à être fiers de payer une fortune
des objets fabriqués par des esclaves à un coût dérisoire.
Avant le bateau : le cauchemar. Après, le rêve.
Le reportage citait des marques. Monoprix, Ikea, Leclerc, Zara. Peu importe,
il y a fort à parier que c’est partout pareil. On a pu assister à des scènes
pathétiques de communicants à la langue d’ébène, niant que les images montrées
aient pu exister, se cachant derrière des cahiers des charges, des chartes, des
normes, des audits, jurant leurs grands dieux qu’ils avaient une éthique et que
tout manquement à icelle devait être corrigé, et patati et patata.
Et ce sont les mêmes connards qui discutent des heures avec les fournisseurs
pour baisser les prix d’un pouième de centime. Qui savent très bien que tous ces
cahiers des charges sont du pipeau, que celui qui le signe sous-traitera et
qu’au final les fringues seront fabriquées dans des conditions sordides par des
gamines esclaves, tandis que les actionnaires se feront des couilles en or et se
prélasseront sur leur yacht.
La richesse indécente a toujours besoin d’esclaves en nombre. Les bubons
capitalistes purulents de Dubaï ou du Qatar consomment environ 10 esclaves pour un habitant. Nous,
c’est pareil, sauf que nos esclaves restent chez eux, fabriquant nos fringues,
gadgets électroniques, bagnoles que les haut-parleurs de la pub et du dieu
croissance nous ordonnent d’acheter frénétiquement et de jeter le plus vite
possible.
Les magazines économiques, en plus d’appeler de leurs vœux la rigueur
budgétaire, la baisse des impôts, et la disparition de tout secteur public,
célèbrent ces grands entrepreneurs : regardez cette liste de milliardaires.
Vous y reconnaîtrez le fondateur d’Ikea Ingvar Kamprad, première fortune
européenne avec 33 milliards d’euros. Puis, un peu plus loin, entre Bernard
Arnault et Liliane Bettencourt, vous trouverez Amancio Ortega, propriétaire de
Zara, avec 30 milliards.
On marche sur la tête, non ?
Tant que j’y suis, je passe à autre chose. Non, en fait c’est la même chose.
Je me souviens de la couverture de Libé au lendemain de l’assassinat des gamins
devant l’école de Toulouse. (Vous la trouverez là)
En voyant cette couverture, je m’étais dit que Libé, dont le directeur
Demorand semble avoir remarqué que les unes racoleuses avaient un effet
bénéfique sur les ventes, d’où sa propension à en caser à toute occasion, aurait
pu en faire une similaire, sur fond noir, mais aux caractères beaucoup plus
petits, pour y faire figurer les noms et âges des 20000 (vingt mille) enfants
morts de faim ce jour-là, comme tous les autres jours, d’ailleurs.
Comme le dit si justement Jean Ziegler, nous pourrions très bien nourrir ces enfants, et
ils meurent quand même, c’est donc qu’ils sont assassinés.
Notre système trouve pourtant toujours les milliards, et même les dizaines de
milliers de milliards, pour voler au secours de ces pauvres banquiers. Il a
consacré plus de 1600 milliards l’an dernier à acheter des armes. Mais n’est pas
foutu de trouver 30 pauvres milliards (la fortune de M.Ikea ou de M.Zara, tiens)
pour nourrir la terre entière pendant un an. En même temps un banquier ou un
marchand de canons, c’est quand même plus important que quelques millions
d’enfants. Surtout noirs ou jaunes…
Tout ça, c’est la conséquence directe et indéniable de notre système
capitaliste, libéral et croissanciste. De sa répartition incroyablement
scandaleuse des richesses. De sa prédation par la finance et les spéculateurs.
De ce phénomène incroyable qui fait que malgré les odes à la “valeur travail”,
ce ne sont jamais ceux qui travaillent qui s’enrichissent, mais des
intermédiaires parasitaires. Ceux qui cultivent les fruits et légumes restent
pauvres, tout comme la caissière du supermarché, mais pas le propriétaire de
l’enseigne.
En France, nous avons de la chance : nous venons de chasser un gouvernement
de droite, incapable et corrompu, pour le remplacer par un gouvernement de
“gauche”, qui respecte la parité et qui a signé une charte éthique.
Et surtout, son dicton est “Le changement, c’est maintenant”.
Merveilleux, non ? Bon, on commence quand ?
Euh… Pour l’instant, le principal changement c’est qu’on peut venir au
conseil des ministres en jean. Pour le reste, permettez-moi de douter. Car même
si le QI moyen du gouvernement doit être au moins le double de celui du
précédent, il suffit de gratter un peu pour constater la supercherie. Tous les
postes importants sont occupés par des représentants de la “gauche de droite”.
DSK n’est plus là, mais ses disciples et ses idées sont restés. Enarques et
membres du “Siècle” foisonnent. Pas un seul dangereux révolutionnaire gauchiste
à l’horizon.
Pas une de ces personnes n’a l’intention de faire quoi que ce soit pour
changer de paradigme. Tous se plaisent et se complaisent dans le capitalisme
libéral, qui leur a d’ailleurs apporté richesse, puissance et gloire.
Le premier ministre est le premier promoteur du projet mégalomaniaque et
scandaleux de l’ayraultport de Notre Dame des Landes. Ce projet témoigne de son
aveuglement total quant à l’évolution du monde et de ses ressources
naturelles.
Quant au président Hollande, son déplacement aux Etats-Unis montre qu’il n’a
rien compris non plus, pas plus qu’Obama, d’ailleurs. Délectez-vous de ces
billevesées, reprises en boucle et sans le moindre sens critique par des médias
tétanisés d’extase :
“Le président François Hollande a fait état d’une “convergences” de vues avec son homologue américain Barack Obama sur la nécessité de relancer la croissance pour faire face à la crise, vendredi 18 mai à la Maison-Blanche, peu avant un sommet du G8. La croissance doit être une priorité (…)”.
“Le président François Hollande a fait état d’une “convergences” de vues avec son homologue américain Barack Obama sur la nécessité de relancer la croissance pour faire face à la crise, vendredi 18 mai à la Maison-Blanche, peu avant un sommet du G8. La croissance doit être une priorité (…)”.
La croissance, la croissance, la croissance… La même chose qu’avant, mais
PLUS ! Plus d’esclaves, plus d’armes, plus de morts de faim, plus de paradis
fiscaux. Plus de pétrole, plus de ressources naturelles, plus de pollution, plus
de CO2. Et plus d’argent virtuel pour contourner les limites de l’économie
réelle.
Pauvres aveugles ! Mai 2012, et ils n’ont toujours rien compris. Après avoir
décidé de ruiner les peuples pour rembourser les banksters, ils décident
désormais qu’il faudrait en fait encore emprunter aux banksters pour éviter la
ruine des peuples…
Quant à ceux qui croyaient que Hollande allait mettre la finance à genoux,
même après la déclaration d’allégeance faite aux banksters de la City,
pensaient-ils qu’il allait nommer Frédéric Lordon responsable du G20 pour la
France ? Curieusement, non, l’heureux élu de Hollande, secrétaire général
adjoint de l’Elysée s’appelle Emmanuel Macron, 34 ans. C’est un disciple de
Jacques Attali (dont l’ombre plane sur la “gauche” comme celle de Minc plane sur
la droite), ex-membre de sa ridiculissime “commission sur le retour de la
croissance”. Et que fait-il dans la vie, ce petit génie ? Il est associé-gérant
chez Rothschild, et le fait d’abandonner un salaire annuel de l’ordre d’un
million d’euros est une preuve évidente de son désintéressement
espoir de retour sur investissement
.
espoir de retour sur investissement
.
Certains parlent de faire revenir ces usines en France… Les “socialistes”
viennent même de créer un ministère marketing du “redressement productif” confié
à Montebourg. Quelle rigolade ! Comment faire revenir en France des industries
qui en sont parties, poussées par la perspective d’employer des esclaves et par
les lois qui permettaient cette forfaiture ? Sans changer ces lois, sans revenir
sur ce système ?
Juste pour rire, c’est un “socialiste” français, Pascal Lamy,
qui dirige depuis 7 ans l’OMC (ex GATT), le principal organisme responsable de
la dérégulation du commerce mondial…
Tous ces gens sont d’accord sur un point : il faut améliorer la compétitivité
de la France, et baisser le coût du travail. Pour l’aligner sur celui du
Bangladesh, par exemple… Car tout le monde le sait, je l’ai même lu sur Twitter
de la part de prétendus gauchistes : “si on va fabriquer au Bangladesh,
c’est que ça coûte trop cher de fabriquer en France”.
Ok, réduisons donc le coût du travail… qui est principalement composé de
plusieurs facteurs :
- Le salaire
- Les cotisations sociales (improprement baptisées “charges”).
- Le salaire
- Les cotisations sociales (improprement baptisées “charges”).
Réduire le coût du travail, cela signifie donc au choix réduire les salaires
(ou travailler plus pour le même salaire), ou réduire les retraites, les
remboursements de sécu, les allocs chômage… Ou, pour être plus efficace, les
deux. Supprimons par la même occasion toutes les “barrières à l’emploi”, comme
le salaire minimum, le code du travail, les congés, le paiement des arrêts
maladie, et la retraite.
Pour finir, supprimons carrément tout salaire, et c’est le plein emploi
garanti. Fort de cette compétitivité retrouvée, les zentrepreneurs embaucheront
massivement, et y vont voir, au Bangladesh, ce que c’est que la France
Compétitive ! Comment que Leclerc il va rapatrier fissa la fabrication de ses
tee-shirts !
Hollande semble devenu le héraut du keynésianisme, par opposition au
néolibéralisme. Cette doctrine, qui prône la croissance par la demande, au
besoin soutenue par l’Etat (et donc par l’endettement… On rêve !), a fait son
temps pendant les “30 glorieuses” qui ont suivi la deuxième guerre mondiale,
avant d’être balayée par le n’importe quoi du néolibéralisme. Depuis, cette
doctrine est caduque, anachronique.
C’est donc un grand bond en arrière de plus de 35 ans que Hollande, tout ravi
de jouer les vedettes au G8, propose au monde ébahi par tant d’originalité. Et
même si la plupart de nos “socialistes” (Hollande lui-même, Ayrault, Fabius…) en
sont effectivement restés à cette époque, le monde a changé, et va prochainement
s’apercevoir que toute politique de croissance dans les pays occidentaux est
vouée à l’échec et à la catastrophe.
Pénurie de pognon, pénurie de pétrole, pénurie généralisée de ressources (aka
“peak everything”, un très bon article dans Science et Vie de
ce mois-ci sur la pénurie des métaux, mais Hollande et Obama lisent trop le
“Financial Times”, pas “Sciences et Vie”), cette politique emmène l’humanité
droit dans le mur. En klaxonnant.
Keynes, cité par Jean Gadrey (auteur de “Adieu à la croissance”) avait tout de même prévu qu’après des
décennies de croissance, un certain niveau de richesse serait atteint et
l’objectif devait changer : « il sera temps pour l’humanité
d’apprendre comment consacrer son énergie à des buts autres
qu’économiques ».
Hollande et Obama sont assurément moins cons que leurs prédécesseurs
respectifs Sarkozy et Bush. Qu’ils le prouvent !


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