vendredi 11 mai 2012

Une déferlante de joie plate

Jean-Luc Mélenchon

Je commence par redonner le texte de mon intervention prononcée le soir de l’annonce des résultats dimanche soir. Je n’ai pas changé d’analyse depuis ce premier regard à 20 heures dimanche. Puis je dis un mot sur ce que j’ai capté de l’étrange ambiance de ce dimanche soir. Cette liesse au goût finalement si étrange me laisse perplexe. Et je viens sur l’actualité européenne qui s’est nouée en même temps que notre élection présidentielle, en Grèce et en Allemagne.
 
Drôle de soirée électorale. La défaite de Nicolas Sarkozy a fait s’exhaler un soulagement universel et une formidable bouffée d’envie de vivre autrement. Mais c’est tout. Je veux dire qu’il n’y avait rien qui ait ressemblé à ce que fut 1981 dont le souvenir a pourtant été beaucoup sollicité par les commentaires. En 1981 la gauche avait un programme commun et comptait faire le socialisme. Personne ne sait ce que l’on compte faire au juste à présent. Je veux dire que c’est la première fois que les socialistes gagnent sans aucun projet de société ni aucune réforme emblématique. La pluie des truismes et des mots creux s’est donc vite diluée dans le vide. Et la soirée a vite tourné en rond sur les plateaux de télé. Les dirigeants socialistes n’avaient rien à dire sinon leur émotion et leur compassion pour la tristesse du camp d’en face. Noble retenue et fair-play en bronze antique. Le camp d’en face n’avait rien à dire non plus sinon sa déception et son émotion. Noble fair-play et retenue en marbre antique. Ces salamalecs mutuels, coupés de petites remontées du gaz de la campagne électorale lassèrent vite. Impossible de lancer un débat. J’ai pu en faire l’expérience. A la Bastille, on vit la tribune, une magnifique rangée de costards cravates masculins, recommander à la foule de ne pas rater le dernier métro. Sur les écrans tout échange était sans cesse interrompu par des images à vocation palpitante mais qui, en vérité, rendait totalement virtuelle la réalité qu’elle prétendait cerner au plus près : « la voiture de François Hollande va démarrer ! La voiture a démarré. La voiture roule suivie par de nombreux motards. Les motards sont nombreux qui suivent la voiture. La voiture accélère devant les motards qui roulent en nombre derrière la voiture ». Puis ce fut « l’avion de François Hollande va décoller ! L’avion a décollé » et ainsi de suite. Comme le souvenir de cette immense liesse est encore très frais, respectons la trace de ses vibrations teeeeeellement émouvantes. Mais il est impossible à l’observateur qui a de la mémoire et de la culture de gauche de ne pas se sentir perplexe. Quels mots trouver pour rendre compte de cette étrange ambiance ? « On l’a viré, on l’a viré » lancèrent les nôtres sur l’air de « on lâche rien ». Il est vrai qu’ils se lassaient des « on a gagné, on a gagné » trop platement footballistique à leur goût. La foule reprenait de bon cœur ce résumé du sens de la soirée. Sur la place de la Bastille des groupes de militants socialistes venaient saluer les nôtres amicalement. Beaucoup remerciaient nos camarades venus, avec leurs drapeaux, se joindre au rassemblement. Mais pour les chefs socialistes : le Front de Gauche, quézaco ?

Ils, elles, remercient les « humanistes », et même le Modem, sans oublier « nos amis écologistes ». Bref tout ce qui compte pour du beurre dans le résultat et dont il est possible de caresser la tête sans risque. Mais le « Front de Gauche » ? C’est le parent qui fait honte ? On dirait bien. À moins qu’il soit considéré comme peu avouable de lui devoir autant ! Car il y avait un constat chiffré pourtant facile à faire. Mais j’admets qu’il avait du mal à trouver sa place entre l’observation des mouvements de la voiture de François Hollande, des motos et de l’avion, sans oublier l’émotion des uns et la déception des autres. Un fait qui ne nécessite que des connaissances mathématiques rudimentaires. Nicolas Sarkozy a été battu par le Front de Gauche. Car si l’on retire nos quatre millions de bulletins de vote, François Hollande ne recueille que 40, 2% des voix. Au deuxième tour on élimine. Nous l’avons fait. Nous avons éliminé Sarkozy. Combien «d’humanistes, de Modem» et même de « nos amis écologistes » aurait-il fallu rassembler pour compenser cette masse politiquement active et déterminée au point d’aller mettre un bulletin de vote qui ne la représentait pas ? Le résultat est assez serré pour que nous puissions rappeler notre décisive existence à quelques désinvoltes. 

Comment et pourquoi faire ? Nous n’avons pas éliminé Nicolas Sarkozy pour nous contenter d’une soirée de sortie place de la Bastille avant le dernier métro. Maintenant il faut donner au peuple la part à laquelle sa victoire lui donne droit. C’est-à-dire du pognon et des services publics, pour résumer l’affaire ! Comme l’élection législative arrive c’est le moment de le dire avec un bulletin de vote. Nous allons donc commencé par aller rechercher ceux qui ont voté avec nous à l’élection présidentielle. Et nous allons solliciter ceux qui ont hésité et choisi au dernier moment de voter Hollande en pensant se donner une garantie de victoire contre Sarkozy. Cette fois-ci, il s’agit d’assurer le coup à gauche. Ils peuvent le faire sans risque réel ou supposé en votant pour que ça change vraiment avec une gauche qui sert les objectifs de l’humain d’abord. Nous allons leur proposer de se donner une garantie à gauche en élisant nos députés. Ces députés-là ne lâcheront rien. Ils continueront le travail commencé en chassant Nicolas Sarkozy. Plus il y en aura, meilleur sera le rapport de force quand commencera la négociation sur le SMIC, la discussion avec madame Merkel et ainsi de suite. Elire des socialistes n’améliore pas le rapport de force avec la droite. Tout au plus cela confirme le niveau minimum de leur programme. Avec nous c’est le bond en avant, une nouvelle ligne d’attaque bien avancée. C’est l’ambiance de ce moment. Voir la Grèce.

Le vote des grecs intervenait dimanche lui aussi. Le résultat a placé en tête de la gauche l’organisation sœur du Front de Gauche en Grèce. Syriza est passé de 4,5% des suffrages en 2009 à 18% cette fois-ci. Mais les néo-nazis ont recueilli 6,5% des voix. La presse libre indépendante et éthique tire donc la leçon essentielle de cette situation : c’est une percée de l’extrême droite ! La même machine à nier la réalité qui a fait en France les beaux jours de madame Le Pen s’est mise en mouvement. Pourquoi ? Parce que ces journalistes-là aiment par-dessus tout ce qui fait sensation. Et comme leur éthique et préférence personnelle, dont on devine les racines, les tournent plutôt de ce côté de l’échiquier, ils joignent l’utile à l’agréable. Il est frappant de voir comment ceux qui se sont livrés à toutes les provocations contre le Front de Gauche sont les premiers à courir devant pour faire des arpèges sur la « percée des nazis grecs ». La palme au journal « Le Parisien » qui fit une campagne assidue contre le Front de Gauche en général et contre moi en particulier. Il est vrai qu’il a, de longue main, ses tendresses pour l’extrême-droite des comptoirs de bistrot. Il titre donc dans un souffle « l’extrême-gauche et les néonazis font une percée en Grèce ». La même ? Comme ils aimeraient que ce soit le cas ! Il mentionne à la treizième ligne le score de Syriza. Mais ce sera la seule référence à son succès. Tout le reste est consacré à faire des phrases sur « les néonazis », avec photo en gros plan de l’énergumène qui les dirige. Elle n’est pas belle l’information populaire ? Parler pour ne rien dire de vrai et faire lire pour ne rien apprendre.

L’essentiel est dans la conjonction des faits. En France la majorité se tourne vers la gauche pour régler les problèmes qui résultent de la politique européenne des libéraux. Mais c’est le PS qui est préféré. Nous assurons la défaite de la droite sans contrepartie. Nous n’entrons pas au gouvernement. Exactement ce qu’a fait avant nous Syriza face à la droite et sous le pouvoir socialiste soumis aux plans d’austérité européen. Contre vents et marées. Et même au prix d’une scission du parti. Une minorité préféra en effet une ligne plus accommodante avec le Pasok, le parti socialiste grec. Cette aile vient de recueillir 6% des suffrages. Un gachis ! Il n’en reste pas moins que nous avons battu le parti socialiste grec de Papandréou. Et nous sommes à une portée de cailloux derrière la droite. La droite n’a pas de partenaire pour former une majorité. Placé en tête de la gauche, Syriza a proposé à toutes les autres formations de gauche de constituer un gouvernement ensemble. Exactement ce que nous aurions fait si nous avions été placés dans la même position. Pour passer de Papandréou à Syriza il aura fallu trois ans et de la fermeté politique. Cette trajectoire me paraît annonciatrice pour bien des régions d’Europe.

Quelques heures à peine ont passé et madame Merkel a commencé son bras de fer avec le nouveau président français tout juste désigné par le suffrage universel. Pas question de renégocier le pacte d’austérité, dit-elle, puisque vingt-cinq pays l’ont déjà ratifié ! Oui mais, il lui était seulement demandé un « additif » au traité. Michel Sapin avait bien précisé : juste un additif ! Un simple document qui s’engagerait sur des objectifs de croissance. Ou même seulement sur l’idée qu’il faudrait aussi de la croissance. Nein ! Pas question non plus. Elle en a même rajouté. Elle veut bien qu’on parle de croissance mais à sa manière à elle. Une grosse sauce libérale pur jus. Hollande aurait juste le droit de répéter les choses humiliantes que l’italien Mario Monti a déjà été contraint de signer il y a peu. Il est vrai qu’il s’était permis quelques grognements de protestation contre la politique d’austérité. Lui aussi ! Un libéral si avancé. Un doctrinaire de première ! Quelle déception ! On lui a vite cloué les mains sur la table. Il a dû aussitôt jurer qu’il renonçait à toute politique de relance par la dépense publique. Il avait dû promettre que seule une politique de réformes structurelle et une relance de l’innovation et de l’augmentation de la compétitivité serait appliquée. Ce néant de Van Rumpuy, prétendu président de l’Union Européenne est même alors sorti de sa naphtaline pour croasser ! On l’entendit asséner que la politique d’austérité était la seule base acceptée pour toutes les politiques en Europe. De tout cela, combien de fois en avons-nous traité ici même, ces temps derniers ! Quels sourires condescendants nous ont accueillis les rares fois où les commentateurs se sont intéressés à l’Europe.

Vingt-quatre heures après l’élection de François Hollande voici qu’il doit répondre aux questions que l’on ne posait qu’à moi : « Que ferez-vous si les allemands ne sont pas d’accord ». Comme on le sait ma réponse était « irréaliste » et le « vote utile » y a mis bon ordre. Admirons donc la suite réconfortante de la mise à l’écart de nos solutions.

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