Patrick Mignard

Un
peu comme dans le cas des retraites, qui fait un lien, absurde, entre
paiement des pensions et démographie, le matraquage politique fini
par convaincre l’immense majorité à accepter ce que disent les « spécialistes »
et surtout à ne pas approfondir la question.
Alors justement, approfondissons !
La croissance…
Rares sont celles et ceux qui la remettent en question. Les
adversaires de la croissance, les « décroissants » sont considérés comme des
personnages exotiques, peu crédibles… et pourtant !
Qu’est ce que la croissance ?
Il s’agit de la variation, sur un
période donnée, l’année par exemple, de la production, pour un pays en
général, de biens et services. Cette mesure se fait à partir du PIB (Produit
Intérieur Brut), lui-même calculé à partir de la valeur ajoutée produite
par les unités de production. Le taux de croissance étant
l’expression en pourcentage de cet accroissement.
Autrement dit, et dit plus simplement, il s’agit de
l’accroissement de la richesse, de l’accroissement des biens et services qui
peuvent satisfaire les besoins. Plus le taux de croissance est important et plus
de richesses ont été produites, par rapport à la période précédente.
La
persistance de la croissance est donc, dans un système qui se réclame de
l’expansion, de l’accroissement de la production et de la consommation, un
facteur fondamental. « Tout pour la
croissance » tel est le mot d’ordre.
Pourtant, cette vision apparemment évidente et très simpliste,
pose deux questions fondamentales :
- la croissance est-elle simplement liée à
des capacités de production ?
- le bonheur, le bien être, sont-ils dans la
croissance ?
À la 1er question, il faut
répondre non car, si en principe il y a un
lien entre capacité de production et production, dans le cadre concurrentiel du
capitalisme, l’existence des capacités de production est conditionnée par leur
compétitivité au regard des concurrents. Par exemple, si la France a perdu une
grande par de sa production industrielle, c’est parce que des concurrents ont pu
produire dans de « meilleures conditions » économiques, plus rentables, et ont
entraîné la désindustrialisation du pays. Le mythe de la croissance volontariste , s’il a pu
correspondre à une réalité, celle où l’on avait sous la main les capacités de
production, n’existe plus aujourd’hui.
À la 2e question –
difficile - on doit répondre également
non. Il paraît qu’ « abondance de biens ne saurait nuire »,…
encore faut-il mesurer dans quelle proportion…
A
court terme et individuellement, ce ne sont pas les « mieux » lotis qui
sont les plus heureux… ce qui n’est pas un hymne à la pauvreté et au dénouement,
mais à la mesure et à l’expérience. Entre aussi en jeu la conception que l’on a
de la vie. On peut être heureux avec peu et malheureux avec le superflu.
À long terme et socialement, l’abondance permanente et illimitée de bien et
services est, à l’échelle sociale, planétaire, une catastrophe et une aberration
écologique : déchets, pollution, destruction des ressources naturelles,…
On
pourrait imaginer une proportion « raisonnable » entre croissance et
augmentation de la population, donc des besoins,… mais nous savons bien que ce
n’est absolument pas le cas. On produit pour produire et pour vendre avec des
gaspillages colossaux et des inégalités flagrantes dans un système qui ne
respecte par l’être humain en tant que tel.
Alors finalement pourquoi ce culte de la croissance ?
… Et l'emploi ?...
Là
est probablement la vraie raison de l’impératif de la croissance. Pas pour les
profiteurs du système qui vivent -
encore que le financier l’a emporté
sur l’économie réelle - sur l’illusion de l’enrichissement par
l’extension illimité des marchés. Pour les responsables politiques – de
droite/extrême droite comme de gauche - garants du système, l’emploi représente une condition
nécessaire – quoique pas suffisante – de la stabilité
sociale.
A
contrario, une société dans laquelle une grande partie de la population est sans
emploi, est en voie de délitement et ce pour une raison simple : l’individu n’existe socialement dans le
système marchand que s’il a une utilité économique, autrement dit si sa capacité
de travail est reconnue selon les critères de fonctionnement du système.
En
effet, le système marchand, ne peut
concevoir l’individu comme simplement un être humain, mais comme un facteur de production. Ce statut a
l’ « avantage » de procurer à chacune et chacun les moyens de subsistance : le salaire. Mais le revers de la médaille
c’est que chacun n’existe qu’en fonction des lois du système et qu’il lui
impose.
Le
seul sous emploi, chômage toléré – tolérable – pour le système c’est celui qui
permet de faire pression sur les salaires… l’ « armée de réserve ».
Tant que dans le pays on a pu produire à peu près tout ce qui
était consommé et même plus (exportations), le besoin de force de travail (main
d’œuvre), garantissait un emploi pour à peu près tout le monde. Ce furent les
années de « plein emploi », l’époque où trouver un travail ne posait pas
problème.
Or
cette période est terminée : la mondialisation du marché du travail et
l’extraordinaire automatisation des
tâches, si elles ont permis au Capital de se valoriser d’une autre manière,
ont détruit une masse considérable d’emplois locaux. Pas question bien entendu
de « répartir » le travail qui restait, au nom de la sacro-sainte rentabilité.
On en arrive alors à la situation
absurde où une partie de la population active subit un rythme de travail de plus
en plus stressant, alors qu’une autre partie est privée
d’emplois.
Le dilemme insoluble
Pour les gestionnaires du système marchand, l’impératif de
croissance et moindre que celui de l’emploi. Le manque de croissance en soi
n’est pas catastrophique, ce qui l’est par contre c’est une société comportant
une masse conséquente d’exclus du travail, de chômeurs… Or, qui dit « au
travail » dit production,… c’est donc par le « bout » de la production que le
problème de l’emploi est posé.
Le
raisonnement est le suivant : si l’on
arrive à relancer la production, cela va impliquer que l’on a besoin de force de
travail, donc on réduira le chômage.
Le
raisonnement n’est pas, à priori absurde, mais il comporte un défaut : que produire ?. Dans un pays où l’on a
sacrifié sur l’autel de la rentabilité marchande mondialisé une bonne partie de
l’appareil productif, on ne voit plus très bien comment on peut répondre à cette
question. Et même si l’on reproduit des biens que l’on avait abandonnés, encore
faut-il les produire dans des conditions de rentabilité compatibles avec le
marché pour garantir la pérennité de l’emploi ainsi créé.
On est là au cœur de la contradiction du système marchand,
système qui privilégie la réalisation de la valeur produite sur l’existence de
l’individu.
Le
réponses apportés par les gestionnaires sont dérisoires – aides à l’emploi,
emplois protégés, subventionnés,…- bref un rapiéçage qui évite de poser la
question de fond : dans l’intérêt de qui fonctionne
l’économie ?
On
comprend dès lors que, dans ces conditions, aussi bien la Droite (et l’extrême
droite) et la Gauche sont incapables de résoudre le problème.
Patrick Mignard
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