
Quant à l’émission de gaz à effet de serre lors de la production de gaz de
schiste, elle était considérée jusqu’à présent comme négligeable. Mais ce
postulat est sévèrement mis en cause par une série d’études scientifiques. Selon
ces analyses, la production de gaz de schiste a un bilan en gaz à effet de serre
équivalent, voire supérieur, à celui du charbon.
L’explication de ce paradoxe tient au fait que le gaz naturel - aussi appelé
méthane (CH4) - a un coefficient de réchauffement supérieur de vingt-cinq fois à
celui du dioxyde de carbone - voire soixante-douze fois sur les vingt premières
années de son émission, en raison d’un temps de résidence dans l’atmosphère
différent de celui du CO2. La présence de méthane dans l’atmosphère a donc un
effet important.
Or la production de gaz de schiste entraîne un relâchement important de
méthane. Quand les fluides utilisés pour fracturer la roche sont pompés pour
être ramenés vers la surface, ils entraînent avec eux des bulles de gaz naturel
qui vont se disperser dans l’atmosphère. De plus, la remontée du gaz à
l’ouverture du puits se traduit pendant quelque temps par une fuite
supplémentaire de méthane. Enfin, les différents gazoducs et autres équipements
techniques sont aussi sources de fuites.
Pire que le charbon et le pétrole
Jusqu’à récemment, les émissions liées au gaz de schiste étaient estimées
selon des valeurs officielles établies par l’Agence de l’environnement des
Etats-Unis (EPA) en 1996. En 2011, une équipe de chercheurs menée par Robert
Howarth, de l’université de Cornell, a abouti à la conclusion que les puits de
gaz de schiste laissaient fuir jusqu’à 8 % du méthane pendant leur durée
d’exploitation.
Cette étude, publiée dans la revue Climate Change Letters, s’appuyait
sur une revue approfondie des données disponibles. Selon Robert Howarth, "du
point de vue climatique, le gaz de schiste est pire que le gaz conventionnel,
mais aussi que le charbon et que le pétrole".
En février 2012, une autre équipe de chercheurs de l’université du Colorado a
publié dans le Journal of Geophysical Research une étude confirmant le
constat. Mais la méthode ici utilisée était expérimentale : des relevés
physiques ont été effectués dans une campagne de mesures par un véhicule doté
d’équipements sophistiqués.
Les échantillons d’air prélevés dans la région de Denver-Julesburg, au
nord-est du Colorado, où vingt mille puits exploitent le gaz de schiste, ont
ensuite été analysés en laboratoire. Cela conduit à constater que des fuites de
méthane se produisent dans une fourchette de 2 % à 8 % du gaz produit, une
valeur de 4 % étant la plus probable - le double de la valeur retenue par l’EPA.
Cette analyse ne prend pas en compte les fuites qui peuvent se produire dans les
gazoducs.
"On a conduit une autre campagne de mesures dans l’Utah, dont on espère
publier les résultats avant la fin de l’année, avance Gabrielle Pétron, qui
a conduit la recherche. On va aussi mener une campagne de mesures par
avion." D’autres études sont en cours en Pennsylvanie et au Texas. Le débat
scientifique est loin d’être clos, mais la "virginité" climatique du gaz
de schiste appartient au passé.
Risque supérieur de cancer
D’autres études soulignent par ailleurs l’effet de pollution atmosphérique
liée à l’exploitation du gaz de schiste. Il n’y a en effet pas que du méthane
qui fuit, mais aussi de nombreux autres hydrocarbures nocifs pour la santé, tel
que le benzène.
Dans une étude parue en mars 2012 dans Science of Total Environment,
Lisa Mc Kenzie et d’autres chercheurs de l’université du Colorado ont comparé
deux groupes de personnes vivant près et loin de puits de gaz de schiste. Ils
concluent que les premiers encourent un risque supérieur de cancer en raison
d’une exposition plus importante aux hydrocarbures volatils.
Cette multiplication d’études n’a pas encore entraîné de réponse officielle,
mais elle alimente un besoin de réglementation de plus en plus fort aux
Etats-Unis. Jusqu’à présent, explique dans un courriel Jesse Coleman, de
Greenpeace USA, "la réglementation de la fracturation hydraulique a largement
été laissée au niveau des Etats - qui sont beaucoup plus faibles -, en raison de
la résistance de l’industrie à une loi fédérale".
Un des enjeux cruciaux consiste à obliger les entreprises à révéler les
produits chimiques qu’elles utilisent dans la fracturation hydraulique. L’EPA
doit rendre durant l’été un projet de réglementation - qui comprendrait des
mesures pour limiter les fuites de méthane - en vue d’une application en 2015.
La bataille des lobbies ne fait que commencer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire