L'ombre du dragon plane au-dessus de Washington. Madame Hillary Clinton,
secrétaire d'Etat, a entrepris une tournée africaine destinée à «promouvoir la
démocratie» mais aussi -surtout ? - à mettre en garde les dirigeants du
continent contre les dangers de l'offensive économique de la Chine. Il faut
vraiment que la menace soit importante et imminente pour qu'un dignitaire aussi
important de l'administration impériale consente à visiter une région du monde
en apparence sans importance politique mais dont la grande valeur stratégique
est indéniable.
Depuis plusieurs années, une guerre secrète pour les ressources se déroule
sur le continent entre Occidentaux en perte de vitesse et Chine en expansion
très dynamique. La Chine est depuis 2009 le premier partenaire commercial de
l'Afrique. Les échanges ont atteint l'an dernier un record à 166,3 milliards de
dollars, en hausse de 83% par rapport à 2009, d'après Pékin. Les Chinois
viennent d'annoncer un doublement à 20 milliards de dollars de leurs crédits à
l'Afrique. La Chine construit des routes, finance des universités et des centres
sociaux dans des pays oubliés du monde mais qui font partie de la réserve
stratégique des multinationales dont Mme Clinton est l'un des principaux
porte-parole. Les Chinois ne sont certes pas des philanthropes mais l'histoire -
ancienne et récente - comme l'actualité montrent bien de qui il faudrait se
méfier.
Les Américains et les Européens continuent de gérer l'Afrique à travers leurs
réseaux politico-affairistes et les institutions multilatérales, FMI et Banque
mondiale. On a vu avec quel succès. Ainsi, par exemple, le malheureux Mali a été
contraint de se spécialiser dans la production de coton par la Banque mondiale,
se plaçant en concurrence avec les cotonculteurs nord-américains qui, eux,
bénéficient de subventions de la première puissance libérale. Clinton ne
demandera certainement pas aux Africains de se méfier de ces organisations qui
ont imposé la réduction des budgets de la santé et de l'éducation au prétexte
que les équilibres macro-économiques allaient miraculeusement attirer les
investissements et assurer le développement. Les résultats dévastateurs à
travers tout le continent d'un dogmatisme économique inhumain parlent pour
eux-mêmes.
Mettre en garde contre les Chinois quand on est l'héritier d'un tel passif
est donc, au moins, parfaitement cynique. Mais le tropisme antichinois de
l'Empire est articulé comme une campagne permanente d'agit-prop et s'exprime sur
tous les registres. Dernière illustration en date, un dirigeant du sport
nord-américain, dont le track-record en matière de dopage n'a rien à envier à
celui de l'ex-République démocratique allemande, a, au mépris de tout esprit
sportif, voulu jeter la suspicion sur les performances olympiques de la
formidable nageuse Ye Shi Wen. Avec un physique qui n'a pourtant rien à voir
avec celui des «déménageuses» occidentales, la jeune Chinoise soumise à tous les
tests de dépistage a écrasé de sa classe la natation féminine. Ce n'est pas du
goût des experts civilisés qui en profitent pour déplorer avec une hypocrisie
involontairement comique les «zones d'ombre» du sport au Céleste Empire.
Les
ressorts de la diabolisation paranoïaque de la Chine renvoient au «péril jaune»
fabriqué au début des années cinquante du siècle dernier par la presse
américaine sur le modèle du terrifiant docteur Fu Manchu, génie du mal
asiatique, inventé par l'écrivain Sax Rohmer. Mais ce qui était recevable hier
passe mal aujourd'hui : l'Occident en crise générale, dont l'emprise médiatique
et les canons sont le dernier argument, peine à convaincre une opinion africaine
qui a payé le prix de son expérience. Personne n'oublie que le dernier apport
significatif des Etats-Unis au bien-être de l'Afrique a consisté dans le tir sur
la Libye de cent dix missiles de croisière Tomahawk d'un coût unitaire d'un
million d'euros.
Chacun a sa conception de l'aide au développement, même si la
Chine n'a jamais tiré ne serait-ce qu'une balle en direction du continent… On
peut se méfier de qui on veut, mais ce qui plane au-dessus de l'Afrique n'est
certainement pas un chimérique dragon pékinois mais un bien réel drone
impérial.
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