lundi 20 août 2012

Le volailler Doux se goinfrait aux subventions

 L’Age de faire                           

Avant de faire faillite, le volailler industriel avait largement bénéficié de la manne des subventions publiques, tandis qu’il ruinait des milliers de petits paysans.
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Le fiasco du groupe Doux vient confirmer l’échec pressenti par les salariés des abattoirs de Chateaulin, dans le Finistère, qui dénoncent une gestion opaque. Charles Doux a appliqué à l’agroalimentaire les délocalisations habituellement pratiquées dans l’industrie : après avoir acheté Frangosul, il a taillé dans le vif de ses usines françaises en fermant une quinzaine de sites, espérant réduire ses coûts de productions pour gagner de nouveaux marchés. Mais l’envolée du prix des céréales a contrecarré ses plans, tandis que les volailles fraiches subissent la pression imposée par la grande distribution.
Fragilisé, Doux a revendu ses activités en Espagne en 2008, sa filière dinde brésilienne en 2009, et a récemment quitté l’Allemagne.
Dans la région, Charles Doux, aujourd’hui âgé de 75 ans, incarnait l’entrepreneur qui a réussi, un patron tutélaire dont dépendaient les revenus de milliers de personnes. Les conflits sociaux à répétition, le recours massif à une main d’œuvre féminine soumise aux impératifs de « flexibilité », ont terni son image. Mais « c’est un groupe qui a un ancrage local et s’est construit sur une génération », explique Louis-Marie Guillon, ingénieur agronome au Parc naturel régional d’Armorique. « Le patron a commencé en achetant des poulets dans les fermes avec son camion, et le voilà à la tête du troisième groupe de volailles mondial ! A la campagne, on trouve toujours quelqu’un qui a été, à un moment donné, impliqué dans la filière. »
Pierre Doux était négociant en volailles lorsqu’il a ouvert son premier abattoir dans le Finistère, en 1955. Quand son fils Charles reprend l’entreprise, dans les années 1970, subventions et prêts bancaires coulent à flots pour soutenir l’intensification des productions. Charles Doux rachète des abattoirs et noue des liens avec les éleveurs, leur assurant des débouchés. L’entreprise devient, dixit son site internet, « pionnière des nouvelles normes d’élevage » : elle envoie ses techniciens, fournit les poussins, la nourriture et l’énergie à des éleveurs devenus simples exécutants.
C’est l’essor des poulets en batterie, en Bretagne mais aussi dans les Pays de la Loire. Doux est le volailler qui poussera le plus loin la production intégrée : il a ses éleveurs de poussins, ses céréaliers, et grâce au rachat, dans les années 90, de la marque Père Dodu, le groupe maitrise entièrement la filière, de l’œuf jusqu’au nugget ou au cordon bleu. La construction de cette filière va de pair avec la recherche de marchés extérieurs pour ses poulets congelés : numéro 2 en France, Doux s’impose comme le leader européen. Dès les années 70, l’entreprise exporte dans les pays du Golfe, puis en Afrique, en Amérique du Sud… A partir de 2000, elle s’intéresse à l’Europe de l’Est.

Un gaspillage d’ argent public

Cette expansion est nourrie par les subventions européennes. En 2011, le groupe est une fois de plus en tête des bénéficiaires après avoir reçu, sur un an, 59 millions d’euros. Mais « gigantisme et spéculation ne signifient pas obligatoirement solidité financière », commentait en mai René Louail, membre de la commission économie au Conseil régional de Bretagne. Paysan dans les Côtes d’Armor, ancien dirigeant de la Confédération paysanne, l’élu est offusqué de voir que « pour la 17e année consécutive, Charles Doux puise légalement, avec la complicité des gouvernements successifs et de la Commission européenne, 10% de l’enveloppe Pac destinée à la Bretagne. Avec ces aides, il a asphyxié économiquement des milliers d’éleveurs et de salariés. Ses exportations coûteuses ont ruiné des milliers de familles paysannes dans des dizaines de pays du Sud. Bilan : 434 millions de dettes, et l’Etat, une nouvelle fois, est au pied du mur. Jusqu’où ce hold-up va-t-il continuer ? »
Ce n’est donc pas seulement Charles Doux qui est en cause, mais les critères d’attribution des aides de la Pac : la même situation pourrait se reproduire avec d’autres entreprises agro-industrielles éprises de gigantisme. « Pour en finir avec ce gaspillage insensé de l’argent public, il est urgent de construire une autre politique agricole, celle qui doit soutenir la relocalisation de la production de bonne qualité, liée au territoire », exhorte René Louail.

Lisa Giachino avec Cécile Koehler (Campagnes solidaires)


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