Qui est censé réaliser l’aéroport Notre Dame des Landes ? La firme Vinci.
Largement choyée par les gouvernements de droite et "de gauche", elle accumule
les profits sur les autoroutes et participe à des projets désastreux en Russie.
Il y a aujourd’hui quelques 8.600 km d’autoroutes en France, soit
l’équivalent de la distance de Paris à Bogota ! Et le nouveau Schéma National
des Infrastructures de Transport (SNIT) prévoit d’en rajouter 879 km. Dans les
réseaux militants, on s’exaspère, on peste et on se désole. Car on est bien
loin, une fois de plus, des engagements du Grenelle en matière de report de la
route vers le rail (1), de réduction de 20% des émissions de CO2 dans les
transports (2), de préservation des espaces naturels et d’aménagement du
territoire, sans parler d’anticipation du pic pétrolier... Alors qu’est ce qui
fait courir les autoroutes ?
Le fric ! Les autoroutes en France sont majoritairement gérées par trois
groupes privés : Vinci, Eiffage et l’espagnol Abertis. C’est le gouvernement de
Villepin qui a conclu l’opération de bradage en 2006, contre l’avis de la
majorité des Français (3). Résultat, alors que les investissements de départ ont
été pris en charge par les contribuables, ce sont aujourd’hui les
multinationales qui ramassent la mise. Sans compter que plus de 95% de leur
chiffre d’affaires provient des péages, c’est à dire de nos poches.
Recettes estimées en 2007 : 7,4 milliards d’euros ! Résumons : nous payons
pour utiliser des autoroutes que nous avons contribué à financer par nos impôts
et dont les recettes alimentent les profits des grandes entreprises. Bien
joué.
On perd sur tous les tableaux. Et les travailleurs aussi. La privatisation,
comme d’habitude, s’est accompagnée de dégradation des conditions de travail et
de pertes d’emplois : 16.500 agents en 2009 contre 17.359 en 2006, soit une
baisse de 5% en 3 ans. Les mouvements sociaux se multiplient, comme chez ASF et
Cofiroute en décembre 2009, les premiers depuis la privatisation. Les salariés
protestent contre la baisse des effectifs et de la sécurité, la détérioration du
service aux usagers, et réclament des augmentations de salaire au regard des
bénéfices engrangés.
Argent public confisqué, détérioration des conditions de travail, course aux
profits... Qu’à cela ne tienne, les nouveaux tronçons sont désormais envisagés
directement en concession privée, Castres-Toulouse par exemple.
Las, pour les intérêts capitalistes, rien n’est jamais assez. Alors le
Ministre Borloo, en janvier 2010, décide de faire un cadeau supplémentaire aux
gourmands appétits : un an de concession gratuite, en échange d’investissements
dits écologiques, qui auraient été réalisés de toute manière :
"l’éco-rénovation des aires de repos, inspirée de la HQE" ou le "péage
sans arrêt", censé faire baisser les émissions de gaz à effet de serre, qui
sert surtout à faire passer plus de voitures et ainsi augmenter encore les
recettes des péages.
Et tout ceci se fait dans dans l’opacité la plus totale. L’augmentation
moyenne des péages depuis la privatisation se situerait entre 0,9 et 2,5 %, mais
trouver les chiffres officiels s’apparente à un vrai parcours du combattant.
Cette opacité a d’ailleurs été dénoncée par la Cour des Comptes, peu suspecte
d’activisme écolo-radical, en 2008. Son rapport dénonce l’absence de lien entre
coûts et tarifs, qui sont judicieusement indexés sur l’inflation. Il note des
écarts de prix kilométriques « incompréhensibles », d’un rapport de 1 à
14, les concessionnaires rusant avec la hausse globale moyenne convenue avec
l’État en suraugmentant les tarifs des sections les plus fréquentées. C’est
ainsi que leur chiffre d’affaires péages augmente plus vite que le trafic. Très
fort. Les recommandations de la Cour des Comptes n’ont eu aucun effet à ce
jour.
Non contents de nous faire raquer aux péages (alors que ceux-ci,
rappelons-le, ne sont pas censés générer des profits, mais uniquement couvrir
les frais d’entretien et les investissements du réseau (4)), les exploitants
d’autoroutes ont aussi trouvé le moyen de faire de nous des consommateurs
captifs de stations service aux prix abusifs.
Captifs, nous le sommes dès que nous rentrons sur l’autoroute. Ou plutôt
captés. La CNIL a en effet autorisé cet été ASF, filiale de Vinci, à utiliser un
« dispositif de lecture et de reconnaissance automatisées des plaques
minéralogiques ». Le système LAPI (lecture automatisée de plaques
d’immatriculation) a initialement été mis au point pour le repérage des
véhicules volés ou suspects dans le cadre de la loi de lutte contre le
terrorisme du 23 juillet 2006. Son plus gros fabricant n’est autre que Sagem
Defense Securité, du groupe Safran, expert de l’identification biométrique et
des cartes à puces, qui fournit également les radars fixes.
« PG-2675-CM », vous roulez trop vite ! »
Le paiement par carte et le « péage en flux libre » permettaient déjà
de nous suivre à la trace, les caméras de nous vidéosurveiller, voilà maintenant
que ce « système de contrôle pédagogique des vitesses » nous envoie des
messages personnalisés. Comble du green washing, le dispositif est présenté
comme un moyen de « favoriser l’écoconduite » ! Et si on interdisait
plutôt aux fabricants de produire des voitures pouvant rouler à 200 ? Si on
réduisait plutôt la vitesse de 10 km/h, comme sur les autoroutes non concédées
de Lorraine, au Danemark et en Suède ? Non, on préfère nous fliquer un peu plus
sous couvert d’écologie.
En 2006, la privatisation a rapporté 14,8 milliards d’euros à l’Etat. D’ici à
2032, durée de la concession, ces sociétés devraient engranger 40 milliards de
bénéfices. L’argent ainsi confisqué, 25 milliards d’euros, c’est précisément le
coût estimé des JO de 2014 à Sotchi, en Russie. Quel rapport ? Eh bien c’est
aussi en Russie, à Khimki, que se mène la bataille contre un projet d’autoroute
confié à... Vinci ! Comme si les incendies de l’été 2011 ne suffisaient pas, ce
sont 140 hectares de forêt qui sont maintenant destinés au béton pour une
déviation Moscou – Saint Petersbourg permettant de desservir l’aéroport
Sheremetyevo.
Un joli projet de partenariat public-privé, le premier d’une telle ampleur en
Russie, avec des gens très sérieux comme la BERD (banque européenne pour la
reconstruction et de le développement) ou la BEI (banque européenne
d’investissement). Et Vinci, donc. Voilà qui méritait bien un petit coup de
pouce des autorités. C’est Poutine lui même qui a signé le reclassement de la
forêt de Khimki en terrain reconstructible. Initialement porté par des militants
écologistes autour d’un tracé alternatif, le combat a quitté le terrain
environnemental pour virer au champ d’affrontement.
En deux ans de lutte pour la défense de la forêt de Khimki, les habitants
n’ont jamais été consultés. Mais invités à se taire, oui ! Incendies de maison
et accidents suspects, envoi de militants néonazis pour casser de l’écolo...
Deux porte-parole du mouvement antifasciste et anarchiste, Alexey Gaskarov et
Maxim Solopov, ont été arrêtés et retenus en préventive pendant plus de deux
mois, risquant sept ans de prison. Grâce aux actions de soutien qui se sont
tenues dans 35 villes de 12 pays, Maxim Solopov a été remis en liberté
provisoire et le cas d’Alexey Gaskarov doit être réexaminé avant le 27
octobre.
Mais de tout ceci, Vinci se lave les mains, expliquant à l’AFP que « le
tracé a été décidé et reste du ressort des autorités russes ». À la clé pour
le groupe : 1,8 milliard d’euros, et une manne de près de 700 millions d’euros
de péage par an.
Plus près de nous, et dans un autre registre de l’arène politique, les
quelques 22 projets de nouveaux tronçons dénoncés par le Réseau
« Stop-Autoroutes » (5) seront au coeur des élections cantonales de 2011. Rien
ne pourra en effet se faire sans la participation des collectivités
territoriales. On se souvient de la manière dont la Région Pays de la Loire a
avalisé le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, avec la bénédiction du
Département, et au mépris des arguments des opposants, élus locaux et habitants.
En le confiant à Vinci !
Et comme si cela ne suffisait pas, Réseaux Ferrés de France offre également à
Vinci la concession exclusive de la nouvelle ligne à grande vitesse
Tours-Bordeaux pour 2016. C’est la première ligne ferroviaire confiée à un
groupe privé en France. C’est ainsi que bientôt, que vous preniez le train, la
voiture ou l’avion, vous contribuerez aux 833.334 euros de revenu mensuel de
Xavier Huillard, PDG de Vinci... 41.000 euros par jour, tout de même.
Lieux de pouvoirs et de collusions, mais aussi de luttes écologiques et
sociales, les autoroutes méritent bien qu’on y mette notre grain de sel. Elles
représentent un enjeu stratégique pour la collectivité, à la fois en termes de
ressources financières et de planification écologique. Elles pourraient, sous
maîtrise publique et citoyenne, devenir un levier important de notre projet de
transformation écologique et sociale. Alors comme pour l’eau, l’énergie et le
rail, défendons le retour en exploitation publique des autoroutes nationales !
Pour revoir les conditions de travail, le niveau de sécurité et les règles de
fixation des tarifs.
Au lieu d’alimenter les caisses des grandes
multinationales, les droits de péage pourraient être réinvestis de manière
volontariste vers des investissements publics et la création d’emplois dans les
transports collectifs, la navigation fluviale, le frêt ferroviaire, et les modes
doux de déplacement. Et un coup d’arrêt pourrait être porté au productivisme
autoroutier.
Les autoroutes sont à nous. Reprenons le contrôle de ce qui nous
appartient !
Notes :
()1 La part modale du fret ferroviaire et fluviomaritime, qui devait passait
de 14% en 2006 à 17,5% d’ici à 2012 est actuellement de… 12% !
(2) En 2008, le transport routier représente 31% des émissions totales de CO2
en France (+473% entre 1960 et 2008 et +9% entre 1990 et 2008). Augmentation du
trafic routier : +646% entre 1960 et 2008 et +26% entre 1990 et 2008. Source :
CITEPA pour le Ministère MEEDDM
(3) A 70% contre cette privatisation selon les sondages.
(4) Article 4 de la loi du 18 avril 1955
(5) Créé le 7 octobre 2010 pour combattre la relance du tout routier
concoctée par M Borloo, il regroupe 15 associations.
Source : Le blog de Corinne Morel-Darleux

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