Pierre Levy
…Selon les déclarations
du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, les grandes puissances
préparent déjà l’après El Assad. Elles ont même réfléchi à trouver un successeur
au président syrien, au mépris de la souveraineté du peuple. Pierre Levy « se
frotte les yeux ».
On peut être rassuré sur un point : la propagande de
guerre n’a rien perdu de son allant. Ainsi la BBC (modèle de rigueur
journalistique, dit-on) a-t-elle mis à la une de son site la photo d’un massacre syrien… prise
quelques années plus tôt en Irak. Quant à la tuerie d’Houla – des familles
entières achevées à l’arme blanche – qui a été présentée comme un « tournant dans
l’horreur », ses auteurs ne semblent pas être les affidés du président, mais bien
ses adversaires armés ; c’est en tout cas ce qu’indiquent les
indices et témoignages recueillis par un reporter chevronné, et publiés dans le
quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung , qui ne passe pas pour être
un suppôt du président Assad.
Le régime de ce dernier serait-il alors blanc comme
neige ? Certes non. Mais cela est l’affaire du peuple syrien, qui semble loin
d’être majoritairement acquis à l’opposition.
En réalité, les souffrances de celui-ci sont bien la
dernière des préoccupations des chancelleries : celles-ci tentent de
déstabiliser la Syrie afin d’affaiblir l’Iran, contre qui l’étranglement
économique vient de monter d’un cran.
Pour l’heure, une intervention armée directe n’est
pas à l’ordre du jour : Moscou et Pékin semblent cette fois décidés à garantir
le principe de non-ingérence, seul fondement d’un ordre international qui ne
soit pas la loi du plus fort. Et quand bien même ce verrou sauterait, il n’est
pas certain qu’une invasion soit envisagée avec enthousiasme par les alliés
atlantiques, tant le terrain est miné. Ce qui n’empêche nullement les livraisons
d’armes occidentales, ainsi que la présence de forces spéciales (notamment sous
couvert Qatarien et saoudien) aidant les rebelles armés, qui multiplient les
attentats.
« Un pouvoir doit avoir un successeur »
Le ministre français des Affaires étrangères assume un soutien officiel
à la rébellion, confirmant en la matière la parfaite continuité entre les deux
locataires successifs de l’Élysée. Mais Laurent Fabius ne s’en tient pas là. Appelant à ce que «le tyran (soit) dégagé
au plus tôt», il a précisé au micro de France Inter : «un pouvoir doit avoir un successeur ; donc
il y a des discussions très précises et très difficiles». On se frotte les yeux : pour la première
fois ouvertement, un responsable avoue que les grandes puissances entendent non
seulement abattre un régime, mais choisir qui le
remplacera. Le plus extraordinaire est qu’une telle déclaration soit passée
quasiment inaperçue, comme s’il s’agissait d’une chose finalement très
naturelle.
Après tout, n’étaient-ce pas déjà Bruxelles, Berlin
et Paris qui avaient organisé la mise à pied de l’Italien Berlusconi et du Grec
Papandréou, puis nommément introduit leurs successeurs ? Plus discrètement, un
double règlement européen (baptisé «pack de deux») est actuellement en
discussion entre le Conseil et le parlement européens, qui permettrait de placer
directement sous tutelle (et sans son aval) un pays qui se montrerait incapable
d’«assainir» suffisamment ses finances publiques. La banalisation, en quelque
sorte, de l’expropriation politique que subissent Grecs, Portugais et
Irlandais.
La raison d’être des empires a toujours été d’imposer leurs choix. En
cette ère postmoderne, les armes, selon les circonstances, sont celles des
services spéciaux ou de l’Otan ; ou bien de la BCE, de la Commission et du
FMI.
Retrouvez cet article sur le site Bastille République Nations.
Photo : (Laurent Fabius, juillet 2012 - Franck Robichon/AP/SIPA)

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