dimanche 10 février 2013

Marche (nuptiale)

Jacques Gaillard  

Ça y est, c’est voté. Banco pour le mariage gay. Un jour de débat, pas plus. À Londres, en tout cas….

Fin de partie ?
On y est enfin ! Jeudi 7 février, 14 h, sur le site du Figaro, il n’y a plus aucun article consacré à la guerre de tranchées que mène la droite à l’Assemblée. Fini, le feuilleton. Ou plutôt, le point de non-retour du ridicule a été atteint. Même si Wauquiez et Douillet s’en prennent à une journaliste du Monde assise dans les tribunes du public. Même si, cinq minutes après le départ de Bartolone, les chiens de garde de l’UMP ont créé de toutes pièces un incident avec la vice-présidente socialiste qui a pris le relais. Même si l’on commence à évaluer le coût de cette obstruction stérile et outrancière qui aura mobilisé les très onéreuses ressources humaines du Palais Bourbon pendant des jours et surtout des nuits, avec des tonnes d’heures supplémentaires ruineuses pour les deniers publics. C’est vrai, ça : au prix où sont payés les huissiers, on a intérêt, au moins, à les ménager…
Au bout d’une semaine et demi, la presse n’envoie quasiment plus à l’Assemblée que des stagiaires, et on a rapatrié les caméras vers les terrains de la vraie vie (les stades de foot, les joggeuses agressées, les chutes de neige dans les Pyrénées, si étonnantes en hiver…). Tout a fait pschitt : la circulaire Taubira, dont les commissions parlementaires avaient connaissance depuis deux mois ; le rappel de la proposition UMP en faveur de l’extension de la PMA, en 2010 ; la défilade de NKM et de Le Maire, qui sont supposés incarner l’avenir ; l’incroyable discrétion de Fillon et Copé, qui, après avoir lancé le souk, ne se dérangent même pas pour voter ; l’absence généralisé des auteurs d’amendements, qui avouent par là leur mépris du parlementarisme.
Tu m'as vu en tutu ?
Bon, c’est vrai, la gauche a elle aussi, en son temps, joué la guerre des amendements. Avec le même ridicule. Mais avec plus de retenue, et parfois des arguments : là, on a atteint des degrés d’exhibitionnisme, de machisme, de vulgarité et de bêtise qui seront difficilement dépassés par la postérité. Et pendant ce temps, l’opinion persiste et signe : elle approuve toujours très majoritairement la loi qui sera votée. Et trouve encore plus majoritairement que le débat n’a que trop duré. Les défilés avec Frigide, ça amuse un moment, puis bôf. Les zélotes qui prétendent dire un BBR (benedicite before radada) avant tout coït, on s’en méfie depuis La vie est un long fleuve tranquille. L’apologie de la « famille normale » papa-maman-Kevin-Juliette, pas vraiment crédible quand les familles se décomposent et se recomposent à la vitesse que l’on sait, même au sommet de l’UMP, en entassant les seconds pères, les mamans-bis et les demi-frères et sœurs, et alors qu’un enfant sur deux naît hors mariage et qu’un sur quatre n’a qu’un parent… Alors, cette agitation avait tout pour exaspérer tous les gens paisibles qui ne se sentent pas concernés. Objectif atteint.
Fausse manœuvre d’une UMP désemparée par le naufrage des primaires ? Le problème, c’est que si Wauquiez, Jacob, Mariton ou Douillet n’ont pas cette occasion de gesticuler (on ne sait jamais, une caméra complaisante peut passer par là, je vais mettre un costard violet ou mon tutu fluo, et deux plumes de paon dans le fion pour qu’on me remarque…), comment vont-ils faire pour avoir une quelconque visibilité ? Prenez le grand premier de la classe, ci-devant ministre d’on ne sait plus quoi (ah, oui, merci Wiki : l’emploi, et avec les résultats que l’on sait) : c’est paraît-il le fer de lance de la « droite sociale », oxymore aguichant, dernier héritier sans doute de Marc Sangnier, et il clame sur radio-bashing que la loi sur le mariage pour tous est une perte de temps, un cache-misère pervers, une esquive du problème crucial du chômage (qu’il n’a lui-même pas résolu, cela se saurait). Et par conséquent, il s’acharne, nuit blanche après nuit blanche, à faire perdre encore plus de temps. Parce que s’il avait énoncé des propositions efficaces pour inverser la courbe du chômage, on l’aurait remarqué : comme ce n’est pas le cas, il n’a l’air de rien, et il n’est rien.
Opposant, c’est un métier, mon p’tit gars ! Résultat, Wauquiez, comme Douillet du reste, n’est qu’un des caporaux de l’armée mexicaine qu’est devenue l’UMP, avec des vice-présidents par douzaines, pour ne froisser personne, belle résurgence du style «rad-soc» où l’on était toujours président de quelque chose dans la basse-cour. Il paraît qu’ils ont commandé une tribune à douze rangs de trente sièges, ça ne se fabrique plus qu’en Corée du nord et ça coûte la peau du fion, ils espèrent donc encore récupérer le fric de Sarko candidat…
Embrouilleurs ou embrouillés ?
Des esprits particulièrement mauvais pourraient se risquer à penser que tout ce fiasco résulte d’une habile manœuvre de la gauche, qui aurait savonné la planche. Evidemment, il y a des précédents qui pouvaient encourager la Hollande’s team à faire à l’UMP le coup du chiffon rouge devant la vachette : historiquement, la droite a toujours loupé les grandes lois progressistes qui ont modifié la morale sociétale en prenant acte de l’évolution des mœurs. La loi Neuwirth sur la pilule ? C’est Mitterrand, dans sa campagne de 1965, qui avait validé l’idée, la droite bigote a crié au scandale. Et le gouvernement gaulliste mettra deux ans à publier les décrets d’application ! L’IVG ? votée grâce aux voix de la gauche, mais majoritairement rejetée par les députés de droite. L’abolition de la peine de mort ? Pour un Chirac et 36 autres qui votent pour, 100 députés de droite votent contre, satisfaits sans doute de ce que la France soit le dernier pays d’Europe à exécuter ses criminels. Le PACS ? Seule Roselyne Bachelot l’a soutenu à droite, et un député de la Démocratie libérale proposait par amendement que la gestion de ce contrat soit confié « aux services vétérinaires ». L’UMP héritait donc d’une solide tradition de cécité, elle ne nous a pas déçus.
Mais de son côté, la gauche s’est salement mélangé les pinceaux. Notamment, en laissant certains avant-gardistes inclure la question de la Procréation Médicale Assistée dans le dossier du «mariage pour tous». La faute est d’abord juridique : le mariage relève du Code civil, les conditions de la PMA sont inscrites dans le Code de la Santé publique, article L2141-1. Mais la faute est également politique : une fois de plus, le vague des passions travaille une gauche hétéroclite. On peut prendre aussi toute l’histoire des gouvernements socialistes depuis 1981, l’orchestre n’a jamais joué à l’unisson, ce qui est, somme toute, le cas de toutes les majorités (et peut-être faut-il s’en féliciter, d’une certaine manière), mais avec une complaisance à l’autodestruction qui, pour le coup, est une spécialité gauchiste : la tentation de jeter le bébé avec l’eau du bain fait partie des beautés de la politique vues du côté gauche…
Rhapsodie ou symphonie ?
Et pour commencer, chacun joue sa partition selon sa tradition. L’actuelle majorité socialiste se compose d’au moins trois fanfares : la gauche « sociétale », la gauche « sociale », la gauche « nationale ». Les mots peuvent surprendre, mais ils ne disent pas trop mal ce qu’il en est.

La gauche « sociétale » se passionne pour l’évolution des mœurs, les « espaces de libertés », la vie des communautés, l’environnement, la défense des minorités, le principe de précaution : son réseau, c’est la vie associative, son crédo, c’est l’égalité, son boulot, c’est l’accumulation des «interdictions protectrices» assez paradoxales pour assurer ses tendances libertaires. Ses affinités sont, évidemment, avec les Verts, avec moins d’amour pour les ours et un catastrophisme écologique moins affirmé.
La gauche « sociale » s’appuie sur une tradition historique (pas jusqu’au Congrès de Tours, mais presque, pas jusqu’à Marx, mais éventuellement jusqu’à Proudhon…). Elle se laisse aller à employer les mots « classe ouvrière » et « travailleurs » dans ses tracts électoraux. Elle est nostalgique de l’Union de la Gauche style 1977, celle qui n’a pas marché. Ses réseaux sont syndicaux, son crédo est ouvriériste et laïque, son boulot est d’interdire les licenciements par arrêté municipal. Ses affinités sont avec les dissidents du Front de Gauche, quitte à se faire traiter de social-traîtres par des despérados type Mélenchon et les rescapés de la place du Colonel Fabien.
La gauche « nationale » n’est pas nationaliste, mais essaye de formuler ses enjeux politiques en les dimensionnant à l’échelle de l’intérêt national. Sa référence, c’est évidemment Tonton Ier, mais aussi le vieux Léon, voire le fantôme de Bérégovoy. Son réseau, ce sont les présidents de Conseil Général ou de Régions, bref, tous les élus dont le rôle est de dire que tout n’est pas possible, son crédo, c’est le « réalisme », son boulot, c’est de fabriquer des majorités politiques de circonstance, ce qu’elle appelle : « rassembler ». Ses affinités sont avec le reste de la classe politique installée, sans trop d’exclusives idéologiques, mais avec des liens de clubs, de commissions parlementaires et d’ENA qui étonnent bien à tort les naïfs.
Le principe de l’alternance politique en France, c’est que la gauche « nationale » ne peut gagner le canard que si la gauche « sociétale » a ramassé plein de voix au premier tour, et que si la gauche «sociale» garantit un « front républicain » au second tour. En mai 81 et encore mieux en mai 2012, ça a parfaitement marché. Après, reste à gérer.
Mazel Tov !
Eh bien en l’occurrence, chacune de ces gauches à joué son rôle : les « sociétaux » ont tenté d’imposer la PMA, voire la GPA, poussés par les assoces radicales, comme ils ramènent toujours le vieux croûton du vote des immigrés, pour lequel il n’y a pourtant pas de demande véritable des intéressés. Faute de pouvoir inscrire la sexualité dans la lutte des classes, les «sociaux» ont recentré le débat sur le caractère purement civil du mariage et brandi la laïcité face aux curetons excités. Les « nationaux » ont soufflé sur les braises pour glaner quelques ralliements à droite et au centre, et stimuler les pantins (voir supra), juste assez pour affaiblir l’adversaire et adopter finalement une loi de timide alignement sur la tendance générale en Europe. Dommage : tant qu’à faire, pour respecter l’évolution des mœurs, on aurait peut-être pu supprimer l’article 212 du Code civil, qui impose la fidélité conjugale. C’était pour garantir la filiation, diront les historiens – mais aujourd’hui, les enfants nés hors mariage ayant les mêmes droits, c’est de la morale ou quoi ?
Le tout s’est opéré sur un fond général de cacophonie bien entretenue : dans ce brouhaha, la presse s’est distinguée par ses emphases (la couverture de la manif des « antis ») et ses approximations. Ici, on laisse croire que la PMA va « être autorisée » alors qu’elle fait naître chaque année 50 000 petits Français; là, on semble ignorer qu’un célibataire homosexuel peut légalement adopter; ailleurs encore, on fait des tirades sur le choix du nom d’un enfant de couple homosexuel, comme si, par exemple, le choix du nom double était une nouveauté (mince alors, toutes ces gynécologues Machin-Truc, toutes ces avocates Durand-Solal, c’est des filles d’homos ?) et je ne parle pas des rhapsodies sur la « circulaire Taubira » qui, certes, tombait mal (va savoir…), mais ne change rien à l’interdiction de la gestation pour autrui. Mais qui a dit que la presse était là pour informer ?
Dans le rôle de grand pacificateur national, Hollande ne s’en est pas mal tiré. Evoquer la liberté de conscience des maires était tout sauf une maladresse, vu qu’elle est déjà possible (dans la loi actuelle, personne n’oblige un maire à marier lui-même qui que ce soit, c’est à la tête du client et l’essentiel est fait par délégation aux adjoints ou autres, surtout en ville !), juste une manière de faire tousser la gauche « sociale », en lui rappelant qu’avoir une olive dans le cul n’est pas une ligne politique, et de mettre en porte-à-faux la conception droitière/sociétale de la liberté morale. Sa prudence sur la PMA (qui n’est pas dans ses promesses !) lui permet de replacer cette question dans son cadre réel, à savoir l’éthique médicale et son fameux Comité. Son apparent respect du parlementarisme, même bordélique, accrédite encore un peu plus l’idée somme toute rassurante d’un gouvernement de la France qui n’est pas soumis aux caprices d’un boss capable de lancer à l’improviste une loi par quinzaine sur le tapis de l’opinion, quitte à laisser béton trois jours plus tard.
Bon, maintenant, on croque trois dragées, et on s’attaque au chômage. Et là, mes p’tits gars, rendez-vous au point d’orgue…

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