SÉVERIN
HUSSON, RÉMY PIGAGLIO et MICHEL WAINTROP
Alors que
s’ouvre la Quinzaine du commerce équitable, « La Croix » s’est penchée sur
l’impact réel de ce système d’échange. Il n’est pas toujours
à chercher dans le domaine économique.

Simple,
peut-être, mais la question principale est surtout de savoir à quoi ça sert.
Quelle place ces produits ont-ils pris chez nous, consommateurs des pays du
Nord ? Et pour quels résultats, à l’autre bout de la chaîne, dans la vie des
agriculteurs des pays du Sud ? Bref, quel est le vrai bilan du commerce
équitable ? Voici quelques éléments de réponse.
Au nord, une consommation TRÈS FAIBLE MAIS EN HAUSSE
Il
ne faut pas se le cacher, le commerce équitable ne représente guère qu’une
goutte d’eau dans les échanges commerciaux internationaux. Selon la Plate-forme
pour le commerce équitable (PFCE), le chiffre d’affaires mondial tiré de ce type
de produits devrait atteindre entre 5,5 et 6 milliards d’euros en 2012, contre
4,9 milliards un an plus tôt.
Même
les produits équitables les plus consommés, comme le café, le sucre, les bananes
ou le cacao n’atteignent pas 2 % de part de marché, selon les propres chiffres
de Fairtrade Max Havelaar, le principal label pour les produits
alimentaires.
Il
n’empêche, la progression continue, et reprend même avec un certain dynamisme.
C’est le cas en France, quatrième marché mondial, en volume.« Nous avons
dépassé, pour la première fois, la barre des 400 millions d’euros de ventes,
avec une croissance de 10 % », indique Julie Stoll, déléguée générale de la
PFCE.
Le
résultat est encourageant, après trois années de progression inférieure à
5 %. « La hausse est notamment tirée par la consommation hors
domicile, reconnaît Julie Stoll, que ce soit les cantines de
municipalités ou la distribution automatique de boissons chaudes. Les gros
contrats d’administrations ou d’entreprises publiques pour équiper leurs agents
de textile équitable contribuent aussi à cet essor. »
UN PLAN D’ACTION POUR FAIRE REMONTER LES VENTES
De
fait, le rôle prescripteur des hyper et supermarchés est moins important
qu’auparavant. « Il est clair que la grande distribution a perdu de
l’enthousiasme pour l’équitable, affirme le spécialiste, Olivier
Dauvers. Le bio remporte un plus grand succès auprès des clients, car ce type
d’achat se double d’un avantage personnel, tandis que l’équitable, lui, relève
davantage de l’altruisme. »
Les
acteurs du commerce équitable continuent néanmoins de juger essentiel
l’engagement de la distribution. Selon Julie Stoll, c’est en grande partie grâce
à son rôle qu’une banane sur deux, vendue en Suisse, est équitable. Ou qu’en
Angleterre, la part du thé dépasse les 15 %, alors qu’en France le café, l’un
des produits phares, atteint seulement 5 % de parts de
marché.
Le
panier moyen équitable s’en ressent : en 2012, il se montait à 41 € par
consommateur en Suisse, à 34,50 € au Royaume-Uni… et à 6,40 € en France. Au
début de la semaine, le gouvernement a d’ailleurs annoncé la mise en place d’un
plan d’action, doté de 7 millions d’euros sur les trois ans, pour faire remonter
ce chiffre.
AU SUD, DE PLUS EN PLUS DE PRODUCTEURS CONCERNÉS
Encore
marginale au Nord, la filière équitable l’est aussi au Sud, même si elle prend
de l’ampleur. En janvier, Fairtrade International, qui gère le fameux label Max
Havelaar, a publié un volumineux bilan de son activité pour l’année 2011. Il en
ressort que 1,24 million de cultivateurs des pays du Sud sont impliqués dans des
productions équitables. Comparé à la population agricole mondiale, le chiffre
demeure très faible, mais il est en progression constante : + 13 % sur un
an.
Géographiquement,
ces paysans sont majoritairement implantés en Afrique (663 000 producteurs),
loin devant le continent américain (285 400). Par filière, la concentration est
presque aussi forte : le sucre et le café sont, de loin, les deux productions
les plus représentées, avec respectivement 184 800 et 123 200 millions de tonnes
vendues aux conditions équitables (suivent le cacao et le
thé).
« En
réalité, les agriculteurs labellisés produisent beaucoup plus que cela, mais
faute de débouchés suffisants au Nord, ils ne vendent, en équitable, qu’une
partie de leur récolte », regrette
Valérie Hauchart, responsable des relations avec les producteurs pour Max
Havelaar France.
Les
revenus des ventes sont tout de même nettement orientés à la hausse, avec une
progression de 21 % entre 2010 et 2011, à 664 millions d’euros. Quatre filières
(café, banane, cacao et fleurs) et dix pays, principalement d’Amérique latine,
absorbent 87 % de cette somme.
UN IMPACT ÉCONOMIQUE INATTENDU
Permettre
aux petits producteurs de vivre décemment de leur travail : voilà la principale
promesse du commerce équitable, celle sur laquelle communiquent les acteurs de
la filière. Cet engagement repose sur deux dispositifs. D’abord, un « prix
minimum garanti », en dessous duquel les acheteurs équitables s’engagent à ne
pas descendre, même si les cours mondiaux s’effondrent. Établi par filière et
pour un espace géographique donné (par pays, par région, ou même pour toute la
planète dans le cas du cacao), il est censé couvrir les coûts de production et
assurer les besoins élémentaires du cultivateur.
En
réalité, ce prix est fixé si bas que les cours mondiaux atteignent rarement un
tel niveau. « Le prix minimum n’a quasiment pas d’impact,explique
Sylvaine Lemeilleur, chercheuse au Cirad. Au point que certains producteurs
se disent qu’ils n’ont plus besoin du commerce équitable ! » En réponse,
Marc Blanchard, directeur général de Fairtrade Max Havelaar France,
rappelle « que les produits équitables ne sont pas subventionnés et qu’ils
sont soumis à la concurrence. On ne peut donc pas fixer le prix minimum trop
haut. »
D’autant
que le second dispositif, beaucoup moins connu mais nettement plus efficace,
coûte, lui, relativement cher. Il s’agit cette fois, pour l’acheteur équitable,
de verser une « prime de développement » non pas au producteur lui-même, mais à
sa coopérative, qui a la liberté de l’utiliser comme elle l’entend. Fixée à
environ 10 % de chaque facture, elle se monte pour les 991 organisations
concernées, à 61,5 millions d’euros en 2011, selon le rapport Fairtrade Max
Havelaar.
FINANCEMENT D’INFRASTRUCTURES OU AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ
Une
somme importante, qui permet de mener d’importants projets. Elle est peut-être
utilisée pour financer des frais de scolarité ou acheter des livres aux élèves,
pour bâtir des écoles ou des dispensaires, ou encore pour équiper les
cultivateurs en matériel ou construire des entrepôts…
« Il
revient à chaque coopérative de décider, rappelle
Valérie Hauchart.Schématiquement, dans les pays les plus pauvres, elles ont
tendance à pallier les défaillances de l’État, en menant des projets
d’infrastructures de santé ou éducatives. Ailleurs, elles préfèrent investir
pour améliorer la qualité de la production, de façon à augmenter les prix de
vente et donc les revenus individuels des
cultivateurs. »
« Ces
deux outils sont utiles, analyse
Sylvaine Lemeilleur. La prime de développement, en particulier, est d’autant
plus intéressante qu’elle sert à la collectivité. Mais beaucoup de coopératives
l’utilisent aussi individuellement, en versant des fonds directement aux
producteurs par exemple, ce qui rapproche alors l’organisation d’une structure
classique, non équitable. »
UN OUTIL EFFICACE DE CONSTRUCTION DÉMOCRATIQUE
Au-delà
de ces aspects strictement financiers, le système du commerce équitable a
d’abord été imaginé pour renforcer l’autonomie des petits producteurs. Ses
promoteurs sont partis du constat que les petits paysans du Sud ne disposaient
pas des outils nécessaires pour peser dans les négociations avec des acheteurs
plus puissants qu’eux. Qu’ils n’avaient pas les moyens de transformer et
valoriser leurs produits, qu’ils manquaient d’informations sur les prix et les
marchés.
Bref,
ils ont estimé que pour aider ces agriculteurs à sortir de la pauvreté, il
convenait de les inciter à sortir de leur isolement. La constitution de
coopératives de producteurs, gérée de manière démocratique, est donc la pierre
angulaire du système. « Les règles de justice, de transparence et de
démocratie sont centrales, confirme Marc Blanchard. Il est essentiel que
chaque membre soit associé aux prises de décision, notamment à l’utilisation de
la prime de développement. »
La
mise en place de telles structures se double d’autres ambitions, inscrites elles
aussi, dans le cahier des charges du commerce équitable : interdiction du
travail des enfants, égalité homme-femme, et lorsqu’il s’agit d’agriculteurs
salariés dans de grandes plantations, respect de la liberté
syndicale.
DIFFICILE CONTRÔLE DU TRAVAIL DES ENFANTS
Ces
objectifs sont particulièrement difficiles à évaluer et ne peuvent être atteints
que progressivement. C’est le cas, notamment, du travail des enfants, véritable
fléau dans les plantations d’Afrique de l’Ouest.
« Ils
ont interdiction de travailler quand ils ont moins de 15 ans. Puis, jusqu’à
18 ans, leur travail est limité, explique
Sylvaine Lemeilleur. C’est un principe globalement appliqué même s’il demeure
très difficile à contrôler. D’ailleurs vouloir interdire totalement ces
pratiques, comme certains voudraient le faire, ne me semble pas réaliste.
L’objectif, en réalité, c’est que les enfants aillent à l’école, qu’ils
travaillent ou pas. » Raison de plus, pour les coopératives, d’utiliser avec
clairvoyance, la manne du commerce équitable.
SÉVERIN
HUSSON, RÉMY PIGAGLIO et MICHEL WAINTROP
Photo : REUTERS/Eduardo
Munoz
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