vendredi 9 août 2013

Comment les lobbies détricotent la taxe sur les transactions financières



Robin des Bois déshabillé 
                


Il s'agissait de tirer les leçons de la crise, de "s’assurer que le secteur financier contribue de manière équitable et substantielle aux finances publiques", selon les termes de la Commission européenne, alors que 1 600 milliards d'euros d'aides publiques, soit 13 % du PIB de l'Union européenne, ont été versés à des établissements financiers entre le 1er octobre 2008 et fin 2011.
Les Etats appelaient à l'unisson à plus de régulation, les banques ne contestaient pas. De cette apparente volonté de réforme était né
un accord de principe, en discussion à Bruxelles depuis le mois de février. Ce futur impôt devait rendre effectives, non pas une, mais plusieurs taxes sur toutes les transactions boursières. Taxe également appelée "Robin des Bois" ou Tobin, du nom de l'économiste qui l'a imaginée dans les années 1970.

Mais les lobbies ont travaillé d’arrache-pied et il faudra désormais compter avec les responsables des gouvernements actuellement en place, notamment le ministre de l'économie français, Pierre Moscovici et des gouverneurs de banques centrales (dont celui de la Banque centrale européenne, Mario Draghi) ayant déjà manifesté leur volonté de limiter les ardeurs de l'exécutif européen.
Le détricotage progressif de la taxe sur les transactions financières (TTF), lié à l'intense lobbying mené par l'industrie, risque de réduire considérablement son champ d'action pour les onze pays (Belgique, Allemagne, Estonie, Grèce, Espagne, France, Italie, Autriche, Portugal, Slovénie et Slovaquie) désireux de s'engager sur ce chantier. Alors que François Hollande rencontre pour la première fois, de façon officielle, les représentants des banques françaises, les principaux points de négociation émergent.
Guerre de chiffres sur le produit de la taxe
À la fin du mois de mai, un responsable proche des négociations avait confié à Reuters que les pays européens envisageaient déjà de réduire radicalement la portée de cette taxe, avec notamment un taux qui serait divisé par dix par rapport au projet initial.
Selon les calculs des hauts fonctionnaires de Bruxelles, la taxe sur les transactions financières permettrait de lever
30 à 35 milliards d'euros par an. Mais ce calcul se base sur une taxe de 0,1 % sur la valeur des transactions boursières concernées pour les actions et les obligations (qui représentent environ un tiers du revenu espéré). Si elle devait être ramenée, pour l'ensemble des transactions, à 0,01 %, le produit se situerait plus probablement vers 20 milliards d’euros.

Appliquée dans sa version d'origine, la TTF rapporterait, selon les calculs de l'ONG Oxfam, pas loin de 37 milliards d'euros. Bien moins pour le Medef, la Fédération bancaire française (FBF), Paris Europlace, la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), l'Association française de gestion (AFG) et l'Association française des marchés financiers (Amafi), qui ont écrit en avril à Bercy pour lui signifier que "la rentabilité de la plupart de ces opérations se situent bien en deçà du coût de la taxe qui leur serait appliquée".
"Non seulement cette collecte s'évaporera avec la disparition des activités devenues non rentables, mais les Etats risquent de perdre des revenus fiscaux existants conséquents", prévient la FBF. A cela s’ajoute le risque de destructions d'emplois (30 000 à brève échéance selon les "anti" TTF) : "C’est toute une génération de talents qui devrait rejoindre les secteurs de l’industrie financière non soumis à la taxe ou partir s’exercer à l’étranger sous la pression commerciale des clients", alerte l'AFG.

Le marché du "repo" en danger de mort

Le financement de l'économie, conditionné par la fluidité du marché interbancaire via le marché du "repo" (mise en pension de valeurs chez un autre établissement contre une somme d'argent et pendant une période donnée), est l'un des points de pression majeurs pour l'industrie bancaire. Si le "repo", un marché de près de 6 000 milliards d'euros, reste dans le champ d'application de la TTF, cela le tuerait, tout au moins sur les maturités courtes, selon un rapport édité par la profession.
Sauf que, répondent les thuriféraires de la TTF, la BCE pourrait tout à fait assurer cette activité, tout comme elle assume déjà l'activité "refi" (c'est-à-dire qu'elle prête de l'argent aux banques commerciales). D’après un des responsables de l'activité de marché de l'institution de Francfort, cela ne présenterait pas de problème technique, mais "idéologique" dans la mesure où l'on "sortirait de l'économie de marché".
Les partisans de la taxe ont déjà symboliquement gagné une première manche : le Parlement (qui n'a qu'un rôle consultatif), a voté des
recommandations le 3 juillet dernier, pour adopter un taux d'imposition plus favorable au "repo" pour les maturités inférieures à trois mois (0,01 % au lieu de 0,05 %).
"La proposition de la Commission (...) m'apparaît excessive et risque d'aboutir au résultat inverse si nous ne remettons pas les choses dans les rails", a déclaré pour sa part Pierre Moscovici la semaine dernière face aux inquiétudes de l'industrie,
sans considération pour les promesses de campagne du candidat Hollande.


Source : Le Monde

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