Didas Kalos

Gilberto Martinez est cubain. En 2003, avec soixante-quatorze autres
compatriotes, il a été jugé, condamné et emprisonné pour avoir rencontré à
plusieurs reprises James Cason, chargé d’affaires étasunien à La Havane, et
discuté avec lui du renversement du pouvoir en place à Cuba, pour en établir un
autre, qui conviendrait mieux à Georges Bush. C’est un dissident. C’est un
héros. Nos grands médias et nos hérauts des Droits de l’Homme, comme Robert
Ménard, ex-président de Reporters Sans Frontières, ont protesté vigoureusement
contre son incarcération, comme contre celle des soixante-quatorze autres
Cubains.
De même, tous ceux qui, pendant la guerre froide, fuyaient les pays
socialistes – par exemple en se réfugiant dans des ambassades occidentales –
étaient des dissidents, donc des héros, loués par nos grands médias et
intellectuels amis des Droits de l’Homme.
Edward Snowden est étasunien. Il a transmis à la presse des preuves que la
National Security Agency
espionnait les messageries électroniques du monde entier sous prétexte de lutte
contre le terrorisme. Poursuivi par les autorités de son pays pour trahison, il
s’est réfugié fin juin à l’aéroport de Moscou, où il a demandé l’asile politique
à l’Équateur, pays ami de Cuba. Ce n’est pas un dissident. C’est un « lanceur
d’alerte ». Nos médias l’aiment bien, mais ils ne protestent pas franchement
contre ce qui lui arrive. BHL, Glucksmann et Ménard n’ont rien à dire sur
lui.
Bradley Manning est étasunien aussi. C’est un soldat. Il a transmis à
Wikileaks des informations sur les exactions de l’armée étasunienne en Irak et
en Afghanistan. Il risque 136 ans de prison. Ce n’est pas un dissident. Mais
alors, qu’est-ce ? Le Monde.fr interroge ses lecteurs : « Bradley Manning :
traître ou héros ? » BHL, Glucksmann et Ménard semblent ignorer son
existence.
À la lumière de ces quatre exemples simples, on peut construire la vraie
définition du mot « dissident ». La définition actuellement donnée par les
dictionnaires est en gros : « qui se sépare à cause d’une opposition au
système politique en place », et l’emploi du mot par les intellectuels et
médias défenseurs des Droits de l’Homme sous-entend clairement que ledit système
politique est « totalitaire ».
Aujourd’hui, il devient clair qu’un dissident,
c’est quelqu’un qui s’oppose au système politique de son pays pour soutenir
celui des États-Unis. En revanche, quelqu’un qui s’oppose au système politique
des États-Unis ne peut pas être un dissident.
Mais, me direz-vous, quid de Gilberto Martinez et des autres dissidents
Cubains libérés en 2011, partis vivre en Espagne, et qui cherchent maintenant à retourner à Cuba tellement la vie en
Espagne est insupportable ? Pour eux il faudrait inventer un nouveau mot.
Re-sident ? Ac-sident ? Désoc-sident ? J’ai demandé à BHL et Glucksmann ce
qu’ils en pensent, mais ils n’ont pas l’air au courant…
Résistance politique