
Karim Amellal
Un article du Monde daté du 5 août «
dévoile » une nouvelle idée lumineuse du Haut Conseil à l’Intégration :
interdire le port du voile (islamique bien sûr, quoi d’autre ?), cette fois à
l’université.
Passons sur le fait que le HCI est
un organisme public censé promouvoir l’intégration.
Passons aussi sur le fait,
évident, que si elle était traduite dans une loi, une de plus, celle-ci serait
discriminatoire à l’encontre d’une catégorie de la population.
Passons encore
sur le fait que l’université n’est pas l’école, que les étudiants sont des
personnes majeures, que leur liberté n’a pas vocation à y être entravée,
conformément d’ailleurs à l’article 50 de la loi du 26 janvier 1984 qui
reconnaît aux étudiants le droit d’exprimer, avec toutes les restrictions
nécessaires (prosélytisme, troubles à l’ordre public, etc.), leurs convictions
religieuses.
Passons enfin sur le fait que les présidents d’universités n’ont
jamais fait état de problèmes particuliers sur ce plan, ce qu’a d’ailleurs
rappelé le président de la Conférence des Présidents d’Universités (CPU)
Jean-Loup Salzmann.
Ce qui est intéressant dans cette
nouvelle affaire, ce n’est pas tant cette nouvelle idée stupide, qui sera
d’ailleurs rapidement enterrée, émanant d’un organisme qui se cherche de
nouvelles raisons d’exister, que ce qu’elle révèle de ce que l’on nomme
aujourd’hui « laïcité ».
De la loi proscrivant le port de
signes religieux ostensibles à l’école en 2004 à la loi interdisant le port du
voile intégral dans l’espace public, en passant par les innombrables polémiques
autour de la viande halal dans les cantines ou des salariées des crèches
privées comme dans l’affaire Baby-Loup, c’est en effet au nom de la laïcité que
les pouvoirs publics et les responsables politiques ont prétendu agir.
En vérité, il faut bien le
reconnaître, depuis 25 ans et la première affaire dite du « voile islamique » à
Creil, c’est contre l’islam et les musulmans que le principe de laïcité a
exclusivement fonctionné. En vérité, la laïcité est désormais en France le faux
nez et l’argument apparemment consensuel d’une congrégation de hérauts qui, de
l’extrême droite à l’extrême gauche, et pour des raisons différentes, ne
supportent pas que l’islam, et l’islam seulement, gagne du terrain en France.
Au mieux ceux-là agissent au nom d’une sécularisation intégrale de la société
qui ensevelit toutes formes de croyances sous le tapis de la Raison
républicaine, quand bien même celle-ci patauge. Au pire, ils brandissent
l’étendard de la laïcité pour mieux masquer leurs arrière-pensées racistes ou,
si l’on préfère, différentialistes.
Au fond, ce que l’on appelle aujourd’hui
laïcité n’a plus rien de laïc. Il y a un siècle, la laïcité était un principe
d’apaisement, d’équilibre, ainsi d’ailleurs que l’exprime la loi de 1905 dans
ses deux premiers articles : la République assure la liberté de conscience et
garantit le libre exercice des cultes ; la République ne reconnaît, ne salarie
ni ne subventionne aucun culte.
Trois piliers fondaient ainsi cette
laïcité « à la française ». D’une part, il s’agissait de faire en sorte que
l’Etat, par sa neutralité et son impartialité, soit sécularisé et ne s’immisce
plus dans les affaires religieuses, du seul apanage des Eglises, afin de mettre
définitivement un terme à toute tentation césaro-papiste. D’autre part, la
liberté de culte, corollaire de la liberté de conscience, ou d’opinion,
consacrée par l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen de 1789 et chèrement acquise au cours de notre histoire, était
garantie. Enfin, aucun culte ne l’emportait sur les autres : toutes les
religions étaient réputées égales entre elles.
Un siècle plus tard, le seul pilier
de la sécularisation demeure debout. Les autres ont volé en éclats.
Aujourd’hui, c’est ainsi au nom de la laïcité que l’Etat, censé être impartial,
tente de régenter les affaires musulmanes à travers le branlant CFCM et assomme
la liberté de culte à l’aide d’une massue discriminatoire qui frappe toujours
les mêmes visages, que ceux-ci soient d’ailleurs voilés ou non. Quant à
l’égalité entre les cultes, il n’y a qu’à considérer les territoires du culte,
les lieux où l’on prie, pour prendre acte du fait qu’elle n’est qu’un mythe.
Les raisons de ce renversement sont
nombreuses. La religion musulmane est dynamique en France tandis que les autres
religions s’essoufflent, en particulier la religion catholique, majoritaire.
L’islam gagne en visibilité et, parce qu’il offre aux plus démunis un sens, une
identité, une transcendance, il concurrence un idéal républicain qui n’est plus
que l’ombre de lui-même. Enfin, et il ne faut pas l’omettre, le radicalisme
islamique qui prospère partout où il peut s’enraciner sur fond de misère et de
relégation est une source d’effroi pour des opinions publiques fragilisées par
la crise économique et la dissolution des repères traditionnels. L’islam
radical est ultra-minoritaire en France, mais sa dramatique visibilité de par
le monde trouble légitimement les consciences et biaise les perceptions.
Pour autant, ces peurs et
incompréhensions, aussi légitimes soient-elles, doivent-elles conduire à
inverser la portée de la laïcité pour en faire, au lieu d’un principe
d’apaisement, un rempart contre l’islam? La lutte nécessaire contre des
pratiques religieuses extrémistes, à l’instar de la burqa, doit-elle se faire
en mettant à l’index, si j’ose dire, une population entière dont une fraction
importante subit de plein fouet le chômage et la pauvreté, avec pour
conséquence de les marginaliser, et donc peut-être de les radicaliser davantage
?
De lois en polémiques, la laïcité
est ainsi devenue l’euphémisme d’un athéisme idéologique qui se confond avec
une islamophobie rampante, divise notre pays, les croyants des incroyants, les
musulmans des autres.
Le problème, alors, n’est pas tant
l’exercice d’une conviction religieuse que la liberté, celle de croire ou de ne
pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer. Chacun doit comprendre que
derrière ce bout de tissu que l’on appelle « voile islamique » se dissimule
cette fragile lueur, toujours en péril, qui est au fondement de notre nation et
fait que nous pouvons être fiers de ce que nous sommes : la liberté. Pour
combien de temps encore ?
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