D'abord
le nombre, bien entendu. Ces centaines de milliers, ce million et demie de
"likes" pour la page Facebook de
soutien au bijoutier de Nice, qui ont fait l'objet de toutes les investigations
du week-end. Truqué ou pas truqué, le vote ? Achetés ou pas achetés, les "like"
?
Aux
dernières nouvelles (1), il semble
que les "like" soient de vrais "like", du vrai soutien de vrais Français de
France, et non pas des "like" low-cost, achetés en gros dans des ateliers
clandestins asiatiques, comme on l'a un temps soupçonné. Dont acte. Mais la
portée du phénomène social de ce week-end dépasse le simple constat du nombre de
soutiens à ce bijoutier, qui a descendu, en lui tirant dans le dos, l'un de ses
agresseurs en fuite.
La
nouveauté, c'est l'affichage public de cet engagement. "Liker" ne coûterait pas grand chose ? Un
simple clic qui n'engagerait à rien ? Pas si simple. Les soutiens Facebook au
bijoutier de Nice ont agi à visage découvert, au vu et au su de leurs amis
Facebook. Il suffit de se connecter sur la page de soutien en question, pour y
voir apparaitre les photos de ceux de vos "amis" qui sont aussi désormais amis
du bijoutier meurtrier. Et là, comme
disait samedi sur Rue89 (2)
Blandine Grosjean, surprise ! Car la structure des "amitiés" Facebook fait qu'un
certain nombre de vos amis ne pensent pas comme vous. Dans ses "amis" Facebook,
on compte des parents, des copains de collège, de lycée ou de boulot, bref un
brassage d'opinions et de générations (sinon de milieux sociaux) propre à
générer les fameuses surprises du week-end. Je le savais évidemment, que mon
ancienne comptable, ou cette lointaine cousine, ne pensait pas exactement comme
moi. Je le soupçonnais. Je n'avais jamais creusé la question. Elle saute
désormais aux yeux. Du reste, Facebook ne fait que rendre plus visible le
phénomène. Beaucoup des soutiens du bijoutier, sans doute, le soutiennent moins
qu'ils ne le "comprennent". "Je
ne l'approuve pas, mais je le comprends" : qui n'a pas entendu prononcer cette
phrase, y compris par des amis en chair et en os, ce week-end ?
Par
son ampleur, par la virulence des commentaires, ce soutien est
éloquent. Car ils ne soutiennent pas seulement un symbole ambigu, victime et
meurtrier à la fois. L'acte du bijoutier de Nice n'est pas un "drame de la
légitime défense". Il est dicté par une pulsion de vengeance. De sang froid ?
Disons, de sang tiède (les malfaiteurs sont sur le scooter, mais le bijoutier
agressé brûle encore de rage, d'humiliation, de douleur peut-être). Le bijoutier
tire entre les deux, entre réflexe et vendetta. Dans cet interstice, par où se
faufilent tous les malentendus, toutes les ambiguïtés.
Evidemment, ce soutien
n'est pas l'équivalent d'un vote Marine Le Pen. Les "likeurs" ne disent pas
: "je
voterai pour elle". Ni même "je comprends ceux qui votent pour
elle". Pas encore.
Daniel
Schneidermann
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