Discours prononcé le 28 mai 2013 à Paris à l’Institut du Monde Arabe une commémoration
du 65ème anniversaire de la Nakba.
La cause palestinienne est une cause universelle, et à ce titre tout citoyen du
monde a le droit de faire connaître son avis. Je m’inscris dans cette démarche.
Mes voyages réguliers en Palestine, et notamment à Gaza, ont fait l’objet de
conférences et de quelques livres, qui ont naturellement la subjectivité et la
fragilité du témoignage, j’en suis conscient. Mais ils ont aussi l’avantage de
constituer un point de vue « de l’intérieur », de rapporter peut-être ce qui se
passe réellement dans l’esprit des Palestiniens du terrain, de ceux qui y vivent
et résistent au quotidien.
Mais je voudrais ici évoquer des questions qui, bien que
d’ordre général, ne sont que rarement abordées ou approfondies dans nos médias
et par nos élus en Occident.
La première question est celle du droit.
La première question est celle du droit.
Je ne reviendrai pas sur la trentaine de résolutions du Conseil
de Sécurité de l’ONU négligées par Israël, où sur le droit International
Humanitaire bafoué. Je voudrais insister sur d’autres aspects juridiques.
Au plan international, le conflit israélien « bénéficie » d’un
traitement exorbitant. Alors que depuis la fin de la 2ème guerre mondiale
l’Organisation des Nations Unies est censée arbitrer les conflits
internationaux, voilà que pour le cas unique du conflit israélo-palestinien on a
confié la résolution du problème aux Russes, aux Américains, à l’Europe de
l’OTAN…. Et enfin à l’ONU qui n’a plus qu’un strapontin à la table de
négociation. On mesure ici le succès de l’entreprise de dé-légitimation de l’ONU
effectué par Israël. Certains pseudo professeurs de Droit international s’y
emploient à temps plein !
Un deuxième pan du droit qui mériterait sans doute aussi d’être
respecté est celui… du Droit palestinien lui-même. Sans cela, son propre
gouvernement prêterait le flanc à la même critique que ces nombreux
gouvernements arabes issus de la décolonisation, et qui sont ébranlés
aujourd’hui par les révolutions.
Il faut le dire et le répéter : les lois fondamentales
palestiniennes qui font office de Constitution nous disent que, lorsque le
président de l’Autorité Palestinienne a terminé son mandat et que de nouvelles
élections ne peuvent être tenues, c’est le président du parlement qui lui
succède : Aziz Duweik devrait être aujourd’hui le président de l’Autorité
Palestinienne.
Les élections législatives de 2006, et les élections
municipales qui les ont précédées, ont désigné un vainqueur qui a souhaité
intégrer au gouvernement le parti minoritaire. C’est le parti minoritaire qui a
refusé, et qui a essayé de refaire les élections dans la rue, de faire un coup
d’état, j’en ai été le témoin. Cette tentative a été un échec : le peuple n’en
voulait pas. Il faut le reconnaître !
La deuxième notion que je voudrais discuter est la notion
d’état. Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, il n’y a pas de
définition précise, réglementaire, juridique de la notion d’état. En particulier
il n’entre pas dans les prérogatives de l’ONU de faire ou de défaire les états.
Un état, c’est une population animée par un sentiment d’appartenance, sur un
territoire donné, sous une loi commune, une force unique chargée de faire
respecter la loi, etc. Un état, nous disent les meilleurs juristes, c’est comme
un enfant : il est né, il est sous nos yeux : son existence ne dépend ni de sa
reconnaissance par ses parents, ni de son enregistrement à l’état civil : un
état, c’est un fait ! La Palestine, Philistia, avec ses cinq villes historiques,
Gaza (mentionnée sur les temples égyptiens), Ashquelon, Ashdot, Ekron et Gath,
existe depuis trois mille ans ! Et elle figure sur toutes les cartes du
Proche-Orient sans interruption depuis la plus ancienne carte du monde gravée
sur le temple de Karnak en Egypte ! A l’époque moderne, en 1922, la Société des
Nations issue de la première guerre mondiale, a reconnu l’état de Palestine,
même si elle en a confié le mandat aux Britanniques. Et jusqu’en 1948 les
Palestiniens ont bénéficié d’un passeport portant sur sa couverture la mention :
« Etat de Palestine ». Un état est un fait, même s’il est sous mandat, ou sous
occupation. Et il n’est pas nécessaire d’être enregistré à l’ONU pour constituer
un état : les iles COOK, état indépendant, ne sont pas membres des Nations
Unies. Elles ont préféré confier leur sécurité et leur politique étrangère à la
Nouvelle Zélande toute proche. Mais ceci n’empêche pas les Iles Cook, le cas
échéant, de saisir la Cour Pénale Internationale.
Alors bien entendu on ne peut que se réjouir de l’entrée
progressive de la Palestine dans les organisations internationales. Mais ceci
appelle aussi des commentaires. Par exemple l’intégration de la Palestine à
l’UNESCO est une excellente chose. Elle a eu une conséquence imprévue, je dis
bien imprévue : la suspension du versement de la cotisation américaine. Mais il
faut savoir que la réglementation de l’UNESCO prévoit qu’un état, s’il souhaite
se retirer, dépose un préavis de trois ans. Actuellement les Etats-Unis
devraient continuer à payer, ce qu’ils ne font pas. Et des programmes entiers de
l’agence ont dû être amputés. Logiquement une action juridique de l’UNESCO à
l’encontre des Etats Unis devrait être engagée pour non-paiement illégal de leur
contribution ; action juridique que la direction actuelle de l’UNESCO n’a pas
souhaitée.
Concernant l’intégration de la Palestine à L’ONU, on nous a
fait croire que cette intégration était nécessaire pour pouvoir saisir la
juridiction internationale pour les crimes de guerre commis par Israël notamment
à Gaza en 2009. C’est faux : les mouvements de libération nationale, comme le
Fatah, peuvent parfaitement saisir la Cour Pénale Internationale. L’Autorité
Palestinienne a d’ailleurs ébauché une demande en ce sens au printemps 2009,
avant de faire marche arrière, alors que cette démarche avait été jugée
recevable par la CPI.
En face du désormais état palestinien, quelle est la nature de
l’état d’Israël ? Nombreux sont ceux qui parlent d’un « état colonial ». Certes
en Cisjordanie il existe des colonies. Mais le terme de « colonies » implique
une métropole : est-ce le territoire situé à l’intérieur des frontières de
1967 ? Ce serait rayer d’un trait les millions de Palestiniens qui vivent dans
des conditions de discrimination inacceptables notamment au Liban, en Syrie, en
Jordanie, en Israël même. Non Israël n’est pas un « état colonial » : Israël se
dit un « état juif ». Un état réservé à un groupe constitué à titres divers sur
les bases d’une religion, d’une philosophie, d’un sentiment d’appartenance. Je
refuse pour ma part la constitution d’un groupe sur une base matri-linéaire,
génétique. Les races humaines n’existent pas. La race juive n’existe pas.
L’ethnie, version actualisée de la race, n’existe pas non plus. Alors l’état
d’Israël est le produit d’un Lobby. Et un lobby, par définition, on ne le
convainc pas. La « négociation », ça ne sert à rien. On n’oppose pas une
diplomatie honnête au mensonge diplomatique. Israël n’est donc pas, stricto
sensu, un état colonial, c’est un état tribal, qui utilise des moyens illégaux,
c’est un état maffieux.
Alors dans ce contexte, dans ce conflit dont je viens de
rappeler les protagonistes, se pose inévitablement la question de donner la
parole au peuple, de rentrer dans le Droit, de reconnaître la victoire du parti
qui a gagné les élections. La diplomatie occidentale s’est tiré une balle dans
le pied en plaçant un mouvement de libération nationale, le Hamas, sur la liste
des organisations terroristes. Dix ans plus tard, la position de notre
diplomatie est intenable : le Hamas est le parti majoritaire en Palestine,
jusqu’à preuve du contraire, et les pays arabes font massivement leur révolution
et désignent démocratiquement des dirigeants politiquement proches du Hamas.
Quelle cohérence y-a-t-il à reconnaître la victoire d’Enahda en
Tunisie, du PJD au Maroc, de Morsi en Egypte, sans reconnaitre le Hamas ?
Le crime originel du Hamas est de ne pas avoir accepté les
accords d’Oslo. Mais aujourd’hui qui peut contester que le Hamas avait raison ?
Même l’Autorité palestinienne le reconnaît ! Leila Chahid le dit : « 20 ans de
négociations n’ont servi à rien » ! Alors, bien entendu, l’idéal serait un
retour aux urnes. Et le Fatah, s’il était éventuellement battu aux élections, et
le reconnaissait, retrouverait incontestablement sa légitimité politique. Mais
c’est justement parce que cette défaite est hautement probable qu’Israël ne
laissera pas avant longtemps des élections libres se tenir en Cisjordanie.
On parle beaucoup d’une soi-disant réconciliation qui serait
nécessaire entre Palestiniens. Mais je peux témoigner qu’il n’y a pas eu divorce
entre les Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie, sympathisants du Fatah ou du
Hamas, des camps de réfugiés, des prisons, des Palestiniens israéliens. Ils
souhaitent tous s’exprimer, dans le calme et la fraternité.
Alors si Israël ne veut pas d’élections, peut-on au moins
avancer vers la réunion des forces palestiniennes ? Mais qui empêche le Hamas
d’intégrer l’OLP ? Combien de représentations diplomatiques à l’étranger
ont-elles été confiées au parti qui a gagné les élections ? Quand sera levée
cette mesure de Ramallah qui consiste à ne payer les fonctionnaires de Gaza qu’à
la condition expresse qu’ils ne travaillent pas ? Quand l’Autorité Palestinienne
va-t-elle entreprendre une action devant la juridiction internationale pour les
crimes de guerre commis par Israël à Gaza ? « Nous ne le ferons pas, dit-on, ce
serait une déclaration de guerre à Israël ». Parce que la Palestine n’est donc
pas en guerre ? Les massacres, le siège, la torture, ce n’est pas la guerre ?
Si, c’est la guerre, et dans cette logique l’Autorité Palestinienne pourrait
aussi démissionner, replaçant alors la Cisjordanie dans sa situation réelle qui
est celle de la guerre et de l’occupation, replaçant Gaza dans sa situation
réelle qui est celle de la guerre et du siège, replaçant Israël devant ses
propres responsabilités.
Alors quelles conclusions peut-on tirer aujourd’hui ?
Il est inutile de se limiter à brandir face à Israël l’argument
du droit international. Non seulement c’est inefficace, mais la politique de
conquête et d’annexion, alors que le droit est bafoué, contribue peut-être même
à renforcer les faits accomplis israéliens. Aux yeux des sionistes se trouve
accréditée l’idée de la relativité du droit. Une sorte de jurisprudence du
« Non-Droit ». En substance : « Vous vous rendez-compte, si on avait appliqué
les résolutions de l’ONU, Israël n’existerait pas, ou si peu ! »
Mais ce n’est pas parce qu’Israël ne respecte pas le droit que
les autres parties ne doivent pas le faire : l’ébauche d’un droit de nature
démocratique en Palestine, même imparfait, doit être respectée : respect des
lois fondamentales palestiniennes, respect du résultats des élections, respect
de l’alternance politique, consultation des citoyens sur les questions
fondamentales.
Les révolutions arabes ont commencé en Palestine, et la bande
de Gaza, même si elle ne s’étend que sur 1% du territoire de la Palestine
historique, constitue la tête de pont de la libération de la Palestine : une
population, des frontières, une administration, une force de protection
unifiée : l’état palestinien est là, en attendant plus.
Alors la seule manière de résoudre équitablement les conflits
est de recourir au Droit, à la Justice, en utilisant les outils que les hommes
ont construits. L’Organisation des Nations Unies en fait partie. Sa charte en
constitue le socle fondamental. Mais certaines règles doivent évoluer, en
particulier le fonctionnement du Conseil de Sécurité, ne serait-ce que le droit
de véto qui doit être réformé.
Alors, les milliards de la guerre ne pourraient-ils pas être
investis dans une paix élaborée par la représentation des nations ? Basée sur
une consultation de toutes les populations concernées par le conflit, y compris
les réfugiés palestiniens ?
Les peuples, comme les espèces, sont en permanente évolution.
L’état de guerre perpétuel n’existe pas. Au bout de la guerre, ou de la
négociation pacifique, il y a l’égalité des droits. L’état juif, c’est fini. La
libération de la Palestine est inéluctable.
Christophe Oberlin
Note
Chirurgien des hôpitaux et professeur à la faculté Denis
Diderot à Paris, Christophe Oberlin enseigne l’anatomie, la chirurgie de la main
et la microchirurgie en France et à l’étranger. Parallèlement à son travail
hospitalier et universitaire, il participe depuis 30 ans à des activités de
chirurgie humanitaire et d’enseignement en Afrique sub-saharienne, notamment
dans le domaine de la chirurgie de la lèpre, au Maghreb et en Asie. Depuis 2001,
il dirige régulièrement des missions chirurgicales en Palestine,
particulièrement dans la bande de Gaza où il a effectué près d’une trentaine de
séjours.
Christophe Oberlin a écrit de nombreux ouvrages.Il est notamment coauteur avec Jacques-Marie Bourget de Survivre à Gaza, (éditions Koutoubia, 2009) la biographie de Mohamed al-Rantissi, le chirurgien palestinien frère du dirigeant historique du HAMAS assassiné par l’État d’Israël.
Auteur de Chroniques de Gaza, 2001-2011, (éditions Demi-Lune, 2011)
Coauteur avec Acacia Condes de Bienvenue en palestine, destination interdite. (éditions Encre d’Orient, 2012) http://www.encredorient.com
Il est également le traducteur de Gaza, au carrefour de l’histoire du journaliste anglais Gerald Butt, (éditions Encre d’Orient, 2011).


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